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des recettes du royaume : on y joignit une compagnie du Mississipi, compagnie dont on faisait espérer de grands avantages. Le public, séduit par l'appât du gain, s'empressa d'acheter avec fureur les actions de cette compagnie et de cette banque réunies. Les ríchesses, auparavant resserrées par la défiance, circulerent avec profusion; les billets doublaient, quadruplaient ces richesses, La France fut très riche en effet par le crédit. Toutes les professions connurent le luxe; et il passa chez les voisins de la France qui eurent part à ce commerce.

La banque fut déclarée banque du roi en 1718. Elle se chargea du commerce du Sénégal; elle acquit le privilege de l'ancienne compagnie des Indes, fondée par le célebre Colbert, tombée depuis en décadence, et qui avait abandonné son commerce aux négociants de Saint-Malo. Enfin elle se chargea des fermes générales du royaume. Tout fut donc entre les mains de l'Écossais Lass, et toutes les finances du royaume dépendirent d'une compagnie de commerce.

Cette compagnie paraissant établie sur de si vase tes fondements, ses actions augmenterent vingt fois au-delà de leur premiere valeur. Le duc d'Orléans fit sans doute une grande faute d'abandonner le public à lui-même. Il était aisé au gouvernement de mettre un frein à cette frénésie mais l'avidité des courtisans et l'espérance de profiter de ce désordre empêcherent de l'arrêter. Les variations fré quentes dans le prix de ces effets produisirent à des hommes inconnus des biens immenses; plusieurs en moins de six mois devinrent beaucoup

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plus riches que beaucoup de princes. Lass, séduit lui-même par son systême, et ivre de l'ivresse publique et de la sienne, avait fabriqué tant de billets, que la valeur chimérique des actions valait, en 1719, quatre-vingts fois tout l'argent qui pouvait circuler dans le royaume. Le gouvernement remboursa en papiers tous les rentiers de l'état.

Le régent ne pouvait plus gouverner une machine si immense, si compliquée, et dont le mouvement rapide l'entraînait malgré lui. Les anciens financiers et les gros banquiers réunis épuiserent la banque royale en tirant sur elle des sommes considérables. Chacun chercha à convertir ses billets en especes; mais la disproportion était énorme. Le crédit tomba tout d'un coup; le régent voulut le ranimer par des arrêts qui l'anéantirent. On ne vit plus que du papier ; une misere réelle commençait à succéder à tant de richesses fictives. Ce fut alors qu'on donna la place de contrôleur-général des finances à Lass, précisément dans le temps qu'il était impossible qu'il la remplit; c'était en 1720, époque de la subversion de toutes les fortunes des particuliers et des finances du royaume. On le vit en peu de temps, d'Écossais, devenir Français par la naturalisation; de protestant, catholique; d'aventurier, seigneur des plus belles terres; et de banquier, ministre d'état. Je l'ai vu arriver dans les salles du palais royal suivi de ducs et pairs, de maréchaux de France, et d'évêques. Le désordre était au comble. Le parlement de Paris s'opposa autant qu'il le put à ces innovations, et il fut exilé à Pontoise. Enfin dans la même année Lass,

chargé de l'exécration publique, fut obligé de fair du pays qu'il avait voulu enrichir, et qu'il avait bouleversé. Il partit dans une chaise de poste que lui prêta le duc de Bourbon-Condé, n'emportant avec lui que deux mille louis, presque le seul reste de son opulence passagere.

Les libelles de ce temps-là accusent le régent de s'être emparé de tout l'argent du royaume pour les vues de son ambition; et il est certain qu'il est mort endetté de sept millions exigibles. On accusait Lass d'avoir fait passer pour son profit les especes de la France dans les pays étrangers. Il a vécu quelque temps à Londres des libéralités du marquis de Lassay, et est mort à Venise, en 1729, dans un état à peine au-dessus de l'indigence. J'ai vu sa veuve à Bruxelles, aussi humiliée qu'elle avait été fiere et triomphante à Paris. De telles révolutions ne sont pas les objets les moins utiles de l'histoire.

Pendant ce temps la peste désolait la Provence; on avait la guerre avec l'Espagne. La Bretagne était prête à se soulever. Il s'était formé des conspirations contre le régent ; et cependant il vint à bout presque sans peine de tout ce qu'il voulut au dehors et au dedans. Le royaume était dans une confusion qui faisait tout craindre, et cependant ce fut le regne des plaisirs et du luxe.

Il fallut après la ruine du systême de Lass réformer l'état: on fit un récensement de toutes les fortunes des citoyens, ce qui était une entreprise non moins extraordinaire que le systême: ce fut l'opération de finance et de justice la plus grande

et la plus difficile qu'on ait jamais faite chez aucun peuple. On la commença vers la fin de 1721. Elle fut imaginée, rédigée et conduite par quatre (1) freres, qui jusque-là n'avaient point eu de part principale aux affaires publiques, et qui, par leur génie et par leurs travaux, mériterent qu'on leur confiât la fortune de l'état. Ils établirent assez de bureaux de maîtres des requêtes et d'autres juges; ils formerent un ordre assez sûr et assez net pour que le chaos fût débrouillé; cinq eent onze mille et neuf citoyens, la plupart peres de famille, porterent leur fortune en papier à ce tribunal. Toutes ces dettes innombrables furent liquidées à près de seize cent trente et un millions numéraires effectifs en argent, dont l'état fut chargé. C'est ainsi que finit ce jeu prodigieux de la fortune, qu'un étranger inconnu avait fait jouer à toute une nation.

Après la destruction de ce vaste édifice de Lass, si hardiment conçu et qui écrasa son architecte, il resta de ses débris une compagnie des Indes, qu'on erut quelque temps à Paris la rivale de celle de Londres et d'Amsterdam,

La fureur du jeu des actions, qui avait saisi les Français, anima aussi les Hollandais et les Anglais. Ceux qui avaient observé en France les ressorts par lesquels tant de particuliers avaient élevé des fortunes si rapides et si immenses sur la crédulité et sur la misere publiques, porterent dans Amsterdam, dans Roterdam, dans Londres, le même artifice et la même folie. On parle encore avec étonnement de

(1) Les freres Pâriş.

ces temps de démence et de ce fléau politique; mais qu'il est peu considérable en comparaison des guerres civiles et de celles de religion qui ont si long-temps ensanglanté l'Europe, et des guerres de peuple à peuple, ou plutôt de prince à prince, qui dévastent tant de contrées! Il se trouva dans Londres et dans Roterdam des charlatans qui firent des dupes. On créa des compagnies et des commerces imaginaires. Amsterdam fut bientôt désabusé. Ro terdam fut ruiné pour quelque temps. Londres fut bouleversé pendant l'année 1720. Il résulta de cette manie, en France et en Angleterre, un nombre prodigieux de banqueroutes, de fraudes, de vols publics et particuliers', et toute la dépravation de mœurs que produit une cupidité effrénée.

CHAPITRE III.

De l'abbé du Bois, archevêque de Cambrai, cardinal, premier ministre. Mort du duc d'Orléans.

IL ne faut pas passer sous silence le ministere du cardinal du Bois. C'était le fils d'un apothicaire de Brive-la-Gaillarde, dans le fond du Limousin. Il avait commencé par être instituteur du duc d'Orléans, et ensuite en servant son éleve dans ses plaisirs, il en acquit la confiance: un peu d'esprit, beaucoup de débauche, de la souplesse, et sur-tout le goût de son maître pour la singularité, firent sa prodigieuse fortune. Si ce cardinal premier ministre avait été un homme grave, cette fortunc aurait ex

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