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leur humeur violente, ils ne gardent plus ni lois ni mesures, et qu'ils ôtent les égards et la crainte aux hommes, en faisant que les maux qu'ils souffrent leur paraissent plus insupportables que ceux qu'ils prévoient: alors, ou la licence excessive, ou la patience poussée 5 à l'extrémité menacent terriblement les maisons régnantes.

Charles Ier, roi d'Angleterre, était juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner. Jamais prince ne fut plus capable de rendre la 10 royauté, non seulement vénérable et sainte, mais encore aimable et chère à ses peuples. Que lui peut-on reprocher, sinon la clémence? Je veux bien avouer de lui ce qu'un auteur célèbre a dit de César, «qu'il a été clément jusqu'à être obligé de s'en repentir: Cæsari1proprium et 15 peculiare sit clementiæ insigne, quâ usque ad pœnitentiam omnes superavit.» Que ce soit donc là, si l'on veut, l'illustre défaut de Charles aussi bien que de César: mais que ceux qui veulent croire que tout est faible dans les malheureux et dans les vaincus, ne pensent pas pour 20 cela nous persuader que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même. Malgré les mauvais succès de ses armes infortunées, si 25 on a pu le vaincre, on n'a pas pu le forcer: et comme il n'a jamais refusé ce qui était raisonnable étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui était faible et injuste étant captif. J'ai peine à contempler son grand cœur dans ces dernières épreuves. Mais certes il a montré 30 qu'il n'était pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un roi qui sait se connaître; et ceux qui ont

vu de quel front il a paru dans la salle de Westminster et dans la place de Whitehall, peuvent juger aisément combien il était intrépide à la tête de ses armées, combien auguste et majestueux au milieu de son palais et de sa 5 cour. Grande reine, je satisfais à vos plus tendres désirs quand je célèbre ce monarque: et ce cœur1 qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre2 qu'il est, et devient sensible même sous ce drap mortuaire, au nom d'un époux si cher, à qui ses ennemis mêmes accorIo deront le titre de sage et celui de juste; et que la postérité mettra au rang des grands princes, si son histoire trouve des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser aux événements ni à la fortune.

Ceux qui sont instruits des affaires, étant obligés d'a15 vouer que le roi n'avait point donné d'ouverture ni de prétexte aux excès sacrilèges dont nous abhorrons la mémoire, en accusent la fierté indomptable de la nation: et je confesse que la haine des parricides pourrait jeter les esprits dans ce sentiment. Mais quand on considère 20 de plus près l'histoire de ce grand royaume, et particulièrement les derniers règnes, où l'on voit non seulement les rois majeurs, mais encore les pupilles, et les reines mêmes, si absolues et si redoutées; quand on regarde la facilité incroyable avec laquelle la religion a été ou renver25 sée, ou rétablie par Henri, par Édouard, par Marie, par Élisabeth, on ne trouve ni la nation si rebelle, ni ses parlements si fiers et si factieux. Au contraire, on est obligé de reprocher à ces peuples d'avoir été trop soumis, puisqu'ils ont mis sous le joug leur foi même et leur conscience. N'ac30 cusons donc pas aveuglément le naturel des habitants de

l'île la plus célèbre du monde, qui, selon les plus fidèles histoires, tirent leur origine des Gaules; et ne croyons

pas que les Merciens, les Danois et les Saxons aient tellement corrompu en eux ce que nos pères leur avaient donné de bon sang, qu'ils soient capables de s'emporter à des procédés si barbares, s'il ne s'y était mêlé d'autres causes. Qu'est-ce donc qui les a poussés? Quelle force, 5 quel transport, quelle intempérie a causé ces agitations et ces violences? N'en doutons pas, chrétiens: les fausses religions, le libertinage d'esprit,1 la fureur de disputer des choses divines sans fin, sans règle, sans soumission, a emporté les courages. Voilà les ennemis que la reine 10 a eu à combattre, et que ni sa prudence, ni sa douceur, ni sa fermeté n'ont pu vaincre.

J'ai déjà dit quelque chose de la licence où se jettent les esprits, quand on ébranle les fondements de la religion, et qu'on remue les bornes une fois posées. Mais 15 comme la matière que je traite me fournit un exemple manifeste et unique dans tous les siècles de ces extrémités furieuses, il est, Messieurs, de la nécessité de mon sujet de remonter jusqu'au principe, et de vous conduire pas à pas par tous les excès où le mépris de la religion 20 ancienne et celui de l'autorité de l'Église ont été capables de pousser les hommes.

Donc la source de tout le mal est que ceux qui n'ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre 25 toutes leurs nouveautés que la sainte autorité de l'Église, ils ont été obligés de la renverser. Ainsi les décrets des conciles, la doctrine des Pères et leur sainte unanimité, l'ancienne tradition du Saint-Siège et de l'Église catholique n'ont plus été, comme autrefois, des lois sacrées et 30 inviolables. Chacun s'est fait à soi-même un tribunal où il s'est rendu l'arbitre de sa croyance: et encore qu'il

semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les renfermant dans les limites de l'Écriture sainte, comme ce n'a été qu'à condition que chaque fidèle en deviendrait l'interprète, et croirait que le Saint-Esprit 5 lui en dicte l'explication, il n'y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine à adorer ses inventions, à consacrer ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu'il pense. Dès lors on a bien prévu que, la licence n'ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu'à Io l'infini; que l'opiniâtreté serait invincible; et que, tandis que les uns ne cesseraient de disputer, ou donneraient leurs rêveries pour inspirations, les autres, fatigués de tant de folles visions, et ne pouvant plus reconnaître la majesté de la religion déchirée par tant de sectes, iraient 15 enfin chercher un repos funeste et une entière indépendance dans l'indifférence des religions, ou dans l'athéisme.

Tels, et plus pernicieux encore, comme vous verrez dans la suite, sont les effets naturels de cette nouvelle 20 doctrine. Mais de même qu'une eau débordée ne fait pas partout les mêmes ravages, parce que sa rapidité ne trouve pas partout les mêmes penchants et les mêmes ouvertures: ainsi, quoique cet esprit d'indocilité et d'indépendance soit également répandu dans toutes les 25 hérésies de ces derniers siècles, il n'a pas produit universellement les mêmes effets; il a reçu diverses limites, suivant que la crainte, ou les intérêts, ou l'humeur des particuliers et des nations, ou enfin la puissance divine, qui donne quand il lui plaît des bornes secrètes aux pas30 sions des hommes les plus emportés, l'ont différemment Que s'il s'est montré tout entier à l'Angleterre, et si sa malignité s'y est déclarée sans réserve, les rois

retenu.

Ils

en ont souffert, mais aussi les rois en ont été cause. ont trop fait sentir aux peuples que l'ancienne religion se pouvait changer. Les sujets ont cessé d'en révérer les maximes, quand ils les ont vues céder aux passions et aux intérêts de leurs princes. Ces terres trop remuées 5 et devenues incapables de consistance sont tombées de toutes parts, et n'ont fait voir que d'effroyables précipices. J'appelle ainsi tant d'erreurs téméraires et extravagantes qu'on voyait paraître tous les jours. Ne croyez pas que ce soit seulement la querelle de l'épiscopat,1 ou 10 quelques chicanes sur la liturgie anglicane, qui aient ému les Communes. Ces disputes n'étaient encore que de faibles commencements, par où ces esprits turbulents faisaient comme un essai de leur liberté. Mais quelque chose de plus violent se remuait dans le fond des cœurs: 15 c'était un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, et une démangeaison d'innover sans fin après qu'on en a vu le premier exemple.

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Ainsi les Calvinistes, plus hardis que les Luthériens, ont servi à établir les Sociniens, qui ont été 20 plus loin qu'eux, et dont ils grossissent tous les jours le parti. Les sectes infinies des Anabaptistes sont sorties de cette même source: et leur opinions, mêlées au calvinisme, ont fait naître les Indépendants, qui n'ont point eu de bornes; parmi lesquels on voit les 25 Trembleurs, gens fanatiques, qui croient que toutes leurs rêveries leur sont inspirées; et ceux qu'on nomme Chercheurs, à cause que, dix-sept cents ans après JésusChrist, ils cherchent encore la religion, et n'en ont point d'arrêtée.

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C'est, Messieurs, en cette sorte que les esprits une fois émus, tombant de ruines en ruines, se sont divisés en

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