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s'accusent.

O douleur! Il fallait cacher la pénitence avec le même soin qu'on eût fait des crimes; et JésusChrist même se voyait contraint, au grand malheur des hommes ingrats, de chercher d'autres voiles et d'autres 5 ténèbres que ces voiles et ces ténèbres mystiques dont il se couvre volontairement dans l'eucharistie. A l'arrivée

de la reine, la rigueur se ralentit, et les catholiques respirèrent. Cette chapelle royale qu'elle fit bâtir avec tant de magnificence dans son palais de Sommerset1 10 rendait à l'église sa première forme. Henriette, digne fille de saint Louis, y animait tout le monde par son exemple; et y soutenait avec gloire par ses retraites, par ses prières et par ses dévotions l'ancienne réputation de la très chrétienne 2 maison de France. Les prêtres 15 de l'Oratoire que le grand Pierre de Bérulle3 avait conduits avec elle, et après eux les pères Capucins, y donnèrent par leur piété, aux autels leur véritable décoration, et au service divin sa majesté naturelle. Les prêtres et les religieux, zélés et infatigables pasteurs de ce 20 troupeau affligé, qui vivaient en Angleterre, pauvres, errants, travestis, «desquels aussi le monde n'était pas. digne,1» venaient reprendre avec joie les marques glorieuses de leur profession dans la chapelle de la reine; et l'Église désolée, qui autrefois pouvait à peine gémir 25 librement et pleurer sa gloire passée, faisait retentir hautement les cantiques de Sion dans une terre étrangère. Ainsi la pieuse reine consolait la captivité des fidèles, et relevait leur espérance.

Quand Dieu laisse sortir du puits de l'abîme la fumée 30 qui obscurcit le soleil, selon l'expression de l'Apocalypse," c'est-à-dire l'erreur et l'hérésie; quand pour punir les scandales ou pour réveiller les peuples et les pasteurs, il

permet à l'esprit de séduction de tromper les âmes hautaines, et de répandre partout un chagrin superbe, une indocile curiosité et un esprit de révolte, il détermine dans sa sagesse profonde les limites qu'il veut donner aux malheureux progrès de l'erreur et aux souffrances de 5 son Église. Je n'entreprends pas, chrétiens, de vous dire la destinée des hérésies de ces derniers siècles, ni de marquer le terme fatal dans lequel Dieu a résolu de borner leur cours. Mais si mon jugement ne me trompe pas; si, rappelant la mémoire des siècles passés, j'en fais 10 un juste rapport à l'état présent: j'ose croire, et je vois les sages concourir à ce sentiment, que les jours d'aveuglement sont écoulés, et qu'il est temps désormais que la lumière revienne. Lorsque le roi Henri VIII, prince en tout le reste accompli, s'égara dans les passions qui ont 15 perdu Salomon et tant d'autres rois,1 et commença d'ébranler l'autorité de l'Église, les sages lui dénoncèrent qu'en remuant ce seul point, il mettait tout en péril, et qu'il donnait, contre son dessein, une licence effrénée aux âges suivants. Les sages le prévirent; mais les 201 sages sont-ils crus dans ces temps d'emportement, et ne se rit-on pas de leurs prophéties? Ce qu'une judicieuse prévoyance n'a pu mettre dans l'esprit des hommes, une maîtresse plus impérieuse, je veux dire l'expérience, les a forcés de le croire. Tout ce que la religion a de plus 25 saint a été en proie. L'Angleterre a tant changé, qu'elle ne sait plus elle-même à quoi s'en tenir; et plus agitée en sa terre et dans ses ports mêmes que l'océan qui l'environne, elle se voit inondée par l'effroyable débordement de mille sectes bizarres. Qui sait si, étant revenue de 30 ses erreurs prodigieuses touchant la royauté, elle ne poussera pas plus loin ses réflexions; et si, ennuyée de

ces changements, elle ne regardera pas avec complaisance l'état qui a précédé? Cependant admirons ici la piété de la reine, qui a su si bien conserver les précieux restes de tant de persécutions. Que de pauvres, que de malheu5 reux, que de familles ruinées pour la cause de la foi ont subsisté pendant tout le cours de sa vie par l'immense profusion de ses aumônes! Elles se répandaient de toutes parts jusqu'aux dernières extrémités de ses trois royaumes: et s'étendant par leur abondance même sur les ennemis Io de la foi, elles adoucissaient leur aigreur et les ramenaient à l'Église. Ainsi non seulement elle conservait, mais encore elle augmentait le peuple de Dieu.

Les conver

sions étaient innombrables; et ceux qui en ont été témoins oculaires nous ont appris que, pendant trois ans 15 de séjour1 qu'elle a fait dans la cour du roi son fils, la seule chapelle royale a vu plus de trois cents convertis, sans parler des autres, abjurer saintement leurs erreurs entre les mains de ses aumôniers. Heureuse d'avoir conservé si soigneusement l'étincelle de ce feu divin que 20 Jésus est venu allumer au monde !2 Si jamais l'Angleterre revient à soi, si ce levain3 précieux vient un jour à sanctifier toute cette masse où il a été mêlé par ces royales mains, la postérité la plus éloignée n'aura pas assez de louanges pour célébrer les vertus de la religieuse 25 Henriette, et croira devoir à sa piété l'ouvrage si mémorable du rétablissement de l'Église.

Que si l'histoire de l'Église garde chèrement la mémoire de cette reine, notre histoire ne taira pas les avantages qu'elle a procurés à sa maison et à sa patrie. Femme et 30 mère tres chérie et très honorée, elle a réconcilié avec la France le roi son mari et le roi son fils. Qui ne sait qu'après la mémorable action de l'île de Ré et durant ce

fameux siège de la Rochelle,1 cette princesse, prompte à se servir des conjonctures importantes, fit conclure la paix qui empêcha l'Angleterre de continuer son secours aux calvinistes révoltés? Et dans ces dernières années, après que notre grand roi, plus jaloux de sa parole et du 5 salut de ses alliés que de ses propres intérêts, eut déclaré la guerre aux Anglais, ne fut-elle pas une sage et heureuse médiatrice?2 Ne réunit-elle pas les deux royaumes? Et depuis encore ne s'est-elle pas appliquée en toutes rencontres à conserver cette même intelligence? Ces 10 soins regardent maintenant vos Altesses Royales: et l'exemple d'une grande reine, aussi bien que le sang de France et d'Angleterre, que vous avez uni par votre heureux mariage, vous doit inspirer le désir de travailler sans cesse à l'union de deux rois qui vous sont si proches, 15 et de qui la puissance et la vertu peuvent faire le destin de toute l'Europe.

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Monseigneur, ce n'est plus seulement par cette vaillante main et ce grand cœur que vous acquerrez de la gloire. Dans le calme d'une profonde paix, vous aurez 20 des moyens de vous signaler; et vous pouvez servir l'État sans l'alarmer, comme vous avez fait tant de fois, en exposant au milieu des plus grands hasards de la guerre une vie aussi précieuse et aussi nécessaire que la vôtre. Ce service, Monseigneur, n'est pas le seul qu'on attend 25 de vous; et l'on peut tout espérer d'un prince que la sagesse conseille, que la valeur anime, et que la justice accompagne dans toutes ses actions. Mais où m'emporte mon zèle si loin de mon triste sujet? Je m'arrête à considérer les vertus de Philippe, et ne songe pas que je 30 vous dois l'histoire des malheurs de HENRIETTE.

II

J'avoue, en la commençant, que je sens plus que jamais la difficulté de mon entreprise. Quand j'envisage de près les infortunes inouïes d'une si grande reine, je ne trouve plus de paroles: et mon esprit, rebuté de tant 5 d'indignes traitements qu'on a faits à la majesté et à la vertu, ne se résoudrait jamais à se jeter parmi tant d'horreurs, si la constance admirable avec laquelle cette princesse a soutenu ses calamités ne surpassait de bien. loin les crimes qui les ont causées. Mais en même temps, Io chrétiens, un autre soin me travaille. Ce n'est pas un ouvrage humain que je médite. Je ne suis pas un historien qui doive vous développer le secret des cabinets, ni l'ordre des batailles, ni les intérêts des partis: il faut que je m'élève au-dessus de l'homme pour faire trembler 15 toute créature sous les jugements de Dieu. «J'entrerai avec David dans les puissances du Seigneur;1» et j'ai à vous faire voir les merveilles de sa main et de ses conseils; conseils de juste vengeance sur l'Angleterre; conseils de miséricorde pour le salut de la reine: mais conseils 20 marqués par le doigt de Dieu, dont l'empreinte est si vive et si manifeste dans les événements que j'ai à traiter qu'on ne peut résister à cette lumière.

Quelque haut qu'on puisse remonter pour rechercher dans les histoires les exemples des grandes mutations, on 25 trouve que jusqu'ici elles sont causées ou par la mollesse ou par la violence des princes. En effet, quand les princes, négligeant de connaître leurs affaires et leurs armées, ne travaillent qu'à la chasse, comme disait cet historien,2 n'ont de gloire que pour le luxe, ni d'esprit 30 que pour inventer des plaisirs; ou quand, emportés par

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