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elle fe précipite fans efpérance; les fpectres hideux; les fantômes qui repréfentent les morts pour épouvan ter les vivans; les fonges affreux; les infomnies auffi cruelles que les triftes fonges. Toutes ces images funeftes environnoient le fier Pluton, & rempliffoient le palais où il habite. Il répondit à Télémaque d'une voix fourde, qui fit mugir le fond de l'Erebe.

Jeune mortel, le deftin t'a fait violer cet afyle facré des ombres; fuis ta haute deftinée; je ne te dirai point où eft ton pere; il fuffit que tu fois libre de le chercher. Puifqu'il a été roi fur la terre, tu n'as qu'à parcourir d'un côté l'endroit du noir Tartare où les mauvais rois font punis, & de l'autre les champs Elyfées où les bons rois font récompenfés. Mais tu ne peux aller d'ici dans les champs Elyfées, qu'après avoir paffé par le Tartare. Hâte-toi d'y aller, & de fortir de mon empire.

A l'inftant Télémaque femble voler dans ces efpaces vuides & immenfes, tant il lui tarde de favoir s'il verra fon pere, & de s'éloigner de la présence horrible du tyran qui tient en crainte les vivans & les morts. Il apperçoit bientôt affez près de lui le noir Tartare; il en fortoit une fumée noire & épaiffe dont l'odeur empestée donneroit la mort, fi elle fe répandoit dans la demeure des vivans. Cette fumée couvroit un fleuve de feu & des tourbillons de flamme, dont le bruit femblable à celui des torrens les plus impétueux quand ils s'élancent des plus hauts rochers dans le fond des abymes, faifoit qu'on ne pouvoit rien entendre distinctement dans ces triftes lieux.

Télémaque fecrettement animé par Minerve, entre fans crainte dans ce gouffre. D'abord il apperçut un grand nombre d'hommes qui avoient vécu dans les plus baffes conditions, & qui étoient punis pour avoir cherché les richeffes par des fraudes, des trahifons & des cruautés. Il y remarqua beaucoup d'impies hypocrites qui faifant femblant d'aimer la religion, s'en étoient fervis comme d'un beau prétexte pour contenter leur ambition, & pour fe jouer des hommes crédules. Ces hommes, qui avoient abufé de la vertu même, quoiqu'elle

toms which affume the form of the dead to terrify the living frighful dreams, and want of fleep as tormenting as they : All thefe dreadful images environed the haughty Pluto, and crowded his palace. He anfwered Telemachus in a voice which made the bottom of Erebus roar.

Young mortal, deftiny has given thee to violate this facred afylum of shades; purfue thy glorious fortune; I shall not tell thee where thy father is; it fuffices that thou art free to look for him. As he was a king upon the earth, you need only run through, on one hand, that part of dreary Tartarus where wicked kings are punished, and the Elyfian fields, on the other, where good kings are rewarded. But you cannot go from hence to the Elyfian fields without paffing through Tartarus. Haften thither, and quit my dominions.

Telemachus inftantly feems to. fly through thofe empty and immenfe fpaces, fo much did he long to know if he should fee his father, and to get out of the dreadful prefence of the tyrant who awes both the living and the dead. Near him he prefently perceives the difmal Tartarus, from which iffued a black thick fmoke, whofe poisonous fteam would have been mortal, had it been diffused in the manfions of the living. This fmoke hovered over a river of fire and whirlwinds of flames, whofe roaring like that of the most impetuous torrents falling from the highest rocks into the deepest abyffes, prevented ones hearing any thing diftinctly in thefe regions of forrow.

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Telemachus being fecretly encouraged by Minerva, enters this gulph undaunted. He immediately perceived a great number of men who had lived in the loweft ftations and were punished for having fought riches by fraud, treachery and cruelty. He obferved many impious hypocrites, who pretending to love religion, had ufed it only as a fpecious pretence to gratify their ambition, and to impofe upon the credulous. Thefe wretches, who had abufed

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virtue

qu'elle foit le plus grand don des Dieux, étoient punis comme les plus fcélérats de tous les hommes. Les enfans qui avoient égorgé leurs peres & leurs meres; les époufes qui avoient trempé leurs mains dans le fang de leurs maris; les traîtres qui avoient livré leur patrie après avoir violé tous les fermens, fouffroient des peines moins cruelles que ces hypocrites. Les trois juges des enfers l'avoient ainfi voulu, & voici leur raifon : c'eft que les hypocrites ne fe contentent pas d'être méchans comme le refte des impies; ils veulent encore passer pour bons, & font par leur fauffe vertu que les hommes n'ofent plus fe fier à la véritable. Les Dieux dont ils fe font joués, & qu'ils ont rendus méprifables aux hommes, prennent plaifir à employer toute leur puiffance pour fe venger de leurs infultes.

Auprès de ceux-ci paroiffoient d'autres hommes que le vulgaire ne croit gueres coupables, & que la vengeance divine pourfuit impitoyablement : ce font les ingrats, les menteurs, les flatteurs qui ont loué le vice; les critiques malins qui ont tâché de flétrir la plus pure vertu; enfin ceux qui ont jugé témérairement des chofes fans les connoître à fond, & qui par-là ont nui à la réputation des innocens.

on

Mais parmi toutes les ingratitudes, celle qui étoit punie comme la plus noire, c'eft celle qui fe commer envers les Dieux. Quoi donc ! difoit Minos, paffe pour un monftre, quand on manque de reconnoiffance pour fon pere ou pour fon ami, de qui on a reçu quelques fecours, & on fait gloire d'être ingrat envers les Dieux, de qui on tient la vie, & tous les biens qu'elle renferme ! Ne leur doit-on pas fa naiffance plus qu'au pere & à la mere de qui on est né? Plus les crimes font impunis & excufés fur la terre plus ils font dans les enfers l'objet d'une vengeance implacable, à qui rien n'échappe.

Télémaque voyant les trois juges qui étoient affis, qui condamnoient un homme, ofa leur demander quels étoient fes crimes. Auffitôt le condamné prenant la parole, s'écria: Je n'ai jamais fait aucun mal; j'ai mis tout mon plaifir à faire du bien; j'ai éte mag

nifique

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virtue itself, though it is the most precious gift of the Gods, were punished as the most wicked of all mankind. Children who had killed their fathers and their mothers, wives who had dipt their hands in their husband's blood, and traytors who had violated all the most folemn oaths, and facrificed their country fuffered lefs cruel tortures than thefe hypocrites Such is the pleasure of the three judges of hell and their reafon for it is, because hypocrites are not fatisfied with being wicked like other impious wretches; they endeavour to be thought good, and make men by their counterfeit virtue, afraid of relying on true. The Gods whom they mocked and rendered contemptible to men, take a pleasure in exerting their whole power to revenge themfelves of their infults.

Near thefe appeared others, who, though not efteemed culpable by the vulgar, are perfecuted by the divine vengeance without mercy: These are the ungrateful, the liar, the flatterer who applauded vice malignant cenfurers who endeavoured to fully the purest virtue, and thofe who rashly judged of things without knowing them thoroughly, and thereby injured the reputation of the innocent.

But of all kinds of ingratitude, that which is conmitted with regard to the Gods, was punished as the blackeft. What faid Minos is a man reputed a monfter, who is ungrateful to his father, or his friend, of whom he has received fome favours, and does le glory in being ungrateful to the Gods, of whom he holds his life, and all the bleffings it includes! Dors he not owe his birth to them more than to the father and mother of whom he was born? The more crimes are winked at and excufed on the earth, the more are they the objects of an implacable venge◄ ance, which nothing efcapes, in hell.

Telemachus feeing the three judges fitting, and paffing fentence on a perfon before them

was fo free as to ask them what his crimes were. Upon which the criminal took the word, and cried, 1 never did any harm; I placed all my delight in doing

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good;

nifique, libéral, jufte, compatiffant : que peut-on donc me reprocher ? Alors Minos lui dit : On ne te reproche rien à l'égard des hommes; mais ne devois-tu pas moins aux hommes qu'aux Dieux ? Quelle est donc cette juftice dont tu te vantes? Tu n'as manqué à aucun devoir envers les hommes, qui ne font rien tu as été vertueux; mais tu as rapporté toute ta vertu à toi-même, & non aux Dieux qui te l'avoient donnée ; car tu voulois jouir du fruit de ta propre vertu, & te renfermer en toimême. Tu as été ta Divinité; mais les Dieux, qui ont tout fait, & qui n'ont rien fait que pour euxmêmes, ne peuvent renoncer à leurs droits. Tu les as oubliés; ils t'oublieront, ils te livreront à toimême, puifque tu as voulu être à toi, & non pas à eux. Cherche donc maintenant, fi tu le peux, ta confolation dans ton propre cœur. Te voilà à jamais féparé des hommes auxquels tu as voulu plaire. Te voilà feul avec toi - même qui étois ton idole: Apprends qu'il n'y a point de véritable vertu, fans le refpect & l'amour des Dieux à qui tout est dû. Ta fauffe vertu, qui a long-temps ébloui les hommes faciles à tromper, va être confondue. Les hommes ne jugeant des vices & des vertus, que par ce qui les choque ou les accommode, font aveugles & fur le bien & fur le mal. Ici une lumiere divine renverfe tous leurs jugemens fuperficiels; elle condamne fouvent ce qu'ils admirent, & juftifie ce qu'ils condam

ment.

A ces mots, ce philofophe, comme frappé ďan coup de foudre, ne pouvoit fe fupporter lui-même. La complaifance qu'il avoit eue autrefois à contempler fa modération, fon courage & fes inclinations géné ́reufes, fe changent en défefpoir. La vue de fon propre cœur, ennemi des Dieux, devient fon fupplice. Ilfe voit & ne peut ceffer de fe voir. Il voit la vanité des jugemens des hommes, auxquels il a voulu plaire dans toutes fes actions. Il fe fait une révolution universelle de tout ce qui eft au-dedans de lai, comme fi on bouleverfoit toutes fes entrailles; il ne

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