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ment, n'ofant le violer; les Dieux m'en ont puni : je frappai du pied la terre à l'endroit où j'avois mis les cendres d'Hercule; enfuite j'allai joindre les Rois ligués, qui me reçurent avec la même joie qu'ils auroient reçu Hercule même. Comme je paffois dans l'ifle de Lemnos je voulus montrer à tous les Grecs ce que mes fleches pouvoient faire me préparant à percer un daim qui s'élançoit dans un bois je laiffai tomber par mégarde la fleche de l'arc fur mon pied, & elle me fit une bleffure que je reffens encore. Auffitôt j'éprouvai ces mê mes douleurs qu'Hercule avoit fouffertes; je rempliffois nuit & jour l'ifle de mes cris; un fang noir & corrompu coulant de ma plaie infectoit l'air, & répandoit dans le camp des Grecs une puanteur capable de fuffoquer les hommes les plus vigoureux. Toute l'Armée eut horreur de me voir dans cette extrémité; chacun conclut que c'étoit un fupplice qui m'étoit envoyé par les justes Dieux.

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Ulyffe, qui m'avoit engagé dans cette guerre fut le premier à m'abandonner. J'ai reconnu depuis qu'il l'avoit fait, parce qu'il préféroit l'intérêt commun de la Grece & de la victoire, à toutes les raifons d'amitié ou de bienféance particuliere. On ne pouvoir plus facrifier dans le camp, tant l'horreur de ma plaie, fon infection, & la violence de mes cris troubloient toute l'Armée. Mais au mo ment que je me vis abandonné de tous les Grecs par les confeils d'Ulyffe, cette politique me parut pleine de la plus horrible inhumanité, & de la plus noire trahifon. Hélas! j'étois aveugle & je ne voyois pas qu'il étoit juste que les plus fages hommes fuffent contre moi, de même que les Dieux que j'avois irrités.

Je demeurai prefque pendant tout le fiege de Troye feul, fans fecours, fans efpérance, fans foulagement, livré à d'horribles douleurs dans cette Ifle déferte & fauvage, où je n'entendois que le bruit des vagues. de la mer qui fe brifoient contre les rochers. Je trouvai, au milieu de cette folitude, une caverne vuidedans un rocher qui élevoit vers le ciel deux pointes

femblables

as to evade the oath which I durft not violate: the Gods have punished me for it: I ftamped with my foot on the earth where I had depofited the ashes of Hercules. I then went and joined the confederate kings, who received me with the fame joy as they would have received Hercules himself. As I was paffing through the island of Lemnos, I had a mind to show all the Greeks the efficacy of my arrows, and going to shoot a deer which was rushing into a wood, I heedlefsly let the arrow fall from my bow on my foot, where it made a wound which I still feel. I was immediately racked with the fame tortures which Hercules himself had fuffered, and filled the ifland both night and day with my wailings; black corrupted blood iffuing from my wound, infected the air, and diffufed a stench through the whole Grecian camp, which was enough to fuffocate men of the most robust constitutions. The whole army was ftruck with horror at my diftrefs; every one concluding that it was a judgment which the righteous Gods had inflicted upon me.

Ulyffes, who had engaged me in this war, was the first to forfake me. I have fince been convinced that he did it, because he preferred victory and the common interest of Greece to all motives of friendship and decency with regard to any particular perfon. It was no longer poffible to facrifice in the camp; fo much did the horror and infection of my wound, and the violence of my shrieks difturb the whole army. But as foon as I faw myfelf deferted hy all the Greeks at the inftigation of Ulyffes, his conduct feemed to me to be full of the most shocking inhumanity and the blackeft treachery. Alas! I was blind, and did not fee that it was just that the wifeft men should be my enemies, as well as the Gods whom I had offended.

I remained, during almost the whole fiege of Troy, all alone, without fuccour, without hope without comfort, a prey to the most terrible tortures in this defert and favage ifland, where I heard but the roaring of the billows that dashed against the rocks. In the midft of this folitude I found an empty cave, in

femblables à deux têtes. De ce rocher fortoit une fontaine claire. Cette caverne étoit la retraité des bêtes farouches, à la fureur defquelles j'étois expofé nuit & jour : j'amaffai quelques feuilles pour me coucher; il ne me reftoit pour tout bien qu'un pot de bois groffiérement travaillé, & quelques habits déchirés, dont j'enveloppois ma plaie pour arrêter le fang, & dont je me fervois auffi pour la nettoyer. Là, : abandonné des hommes, & livré à la colere des Dieux, je paffois mon temps à percer de mes fleches les colombes & les autres oifeaux qui voloient autour de ce rocher. Quand j'avois tué quelque oifeau pour ma nourriture, il falloit que je me traînaffe contre terre avec douleur pour aller ramaffer ma proie: ainfi mes mains me préparoient de quoi me nourrir.

Il eft vrai que les Grecs, en partant, me laifferent quelques provifions; mais elles durerent peu. J'allumois du feu avec des cailloux. Cette vie, toute affreufe qu'elle eft, m'auroit paru douce, loin des hommes ingrats & trompeurs, fi la douleur ne m'eût accable, & fi je n'euffe fans ceffe repaffé dans mon efprit ma trifte aventure. Quoi ! difois-je, tirer un homme de fa patrie, comme le feul homme qui puiffe venger la Grece, & puis l'abandonner dans cette ifle déferte pendant fon fommeil ! car ce fut pendant mon fommeil que les Grecs partirent. Jugez quelle fur ma furprife, & combien je verfai de larmes à mon réveil, quand je vis les vaiffeaux fendre les ondes. Hélas! cherchant de tous côtés dans cette ifle fauvage & horrible, je n'y trouvai que la douleur. En effet, il n'y a ni port, ni commerce, ni hospitalité, ni homme qui y aborde volontairement. On n'y voit que les malheureux que les tempêtes y ont jettés, & on n'y peut efpérer de fociété que par des naufrages encore même ceux qui venoient en ce lieu, n'ofoient me prendre pour me ramener : ils craignoient la colere des Dieux & celle des Grecs. Depuis dix ans, je fouffrois la douleur, la faim; je nourriffois une plaie qui me dévoroit; l'efpérance même étoit éteinte dans mon cœur.

Tout-à-coup revenant de chercher des plantes mé

dicinales

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a rock that lifted its two points like two heads to the heavens and poured forth a limpid fpring. This cave was a harbour for wild beafts, to whofe fury I was expofed both night and day. I heaped fome leaves together for a bed: My whole furniture was a wooden bowl rudely wrought, and fome tattered cloaths, with which I bound up my wound to ftop its bleeding, and with which I likewife ufed to cleanfe ir. Here, abandoned by men, the object of the wrath of the Gods, I spent my time in shooting doves and other birds which flew around the rock with my arrows. And when I had killed any for my fuftenance, I was forced with extreme, pain to crawl along the earth to pick up my prey. In this manner did my hands provide me wherewithal to fubfift on.

The Greeks indeed, when they went away, left me fome provifions but they did not last long. I ufed to kindle my fire with flints. This life, dreadful as it was, as it was remote from falfe ungrateful men, would have feemed pleasant to me, had I not been borne down by my pains, and inceffantly ruminating on my dire mifchance. What! faid I; entice a man from his native country, under pretence of his being the only one who could avenge Greece, and then leave him in this defert island while he was afleep! For I was afleep when the Greeks departed. Judge how great was my furprife, and how many tears I shed, when I awaked and faw their veffels ploughing through the waves. I fearched every corner of this favage and frightful ifland, but alas ! I found in it nothing but forrow. In fact, there is neither harbour, nor trade, nor hospitality, nor does any man willingly land there. One fees but wretches who have been driven upon it by ftorms, and one cannot hope for fociety but from shipwrecks; and even thofe durft not take me along with them: they dreaded the wrath of the Gods and that of the Greeks. Here for ten long years did I fuffer pain and hunger; here I fed my devouring wound, and even hope itself was extinguished in my heart.

Returning one day from feeking fome medicinal

DS

herbs

dicinales pour ma plaie, j'apperçus dans mon antre un jeune homme beau & grâcieux, mais fier & d'une taille de héros. Il me fembla que je voyois Achille, tant il en avoit les traits, les regards & la démarche fon âge feul me fit comprendre que ce ne pouvoit être lui. Je remarqual fur fon vifage tout ensemble la compaffion & l'embarras; il fut touché de voir avec quelle peine & quelle lenteur je me traînois. Les cris perçans & douloureux dont je faifois retentir les échos de tout le rivage, attendrirent fon cœur.

O étranger! lui difois-je d'affez loin, quel malheur t'a conduit dans cette iffe inhabitée ? Je reconnois l'habit Grec, cet habit qui m'eft encore fi cher. O qu'il me tarde d'entendre ta voix, & de trouver fur tes lévres cette langue que j'ai apprife dès l'enfance & que je ne puis plus parler à perfonne depuis fi long-temps dans cette folitude. Ne fois point effrayé de voir un homme fi malheureux, tu dois en avoir pitié.

A peine Neoptoleme m'eut dit je fuis Gree; que je m'écriai : O douce parole après tant d'années de filence & de douleur fans confolation ! O mon fils! quel malheur, quelle tempête ou plutôt quel vent favorable t'a conduit ici pour finir mes maux ? Il me répondit: Je fuis de l'iffe de Scyros, j'y retourne: on dit que je fuis fils d'Achille; tu fais tout.

Des paroles fi courtes ne contentoient pas ma curiofité; je lui dis: O fils d'un pere que j'ai tant aimé ! cher nourriffon de Lycomede, comment viens-tu donc ici? d'où viens-tu ? Il me répondit, qu'il venoit du fiege de Troye. Tu n'étois pas, lui dis-je, de la premiere expédition. Et toi, me dit-il, en étois-tu? Alors je lui répondis: Tu ne connois, je le vois bien, ni le nom de Philoctete, ni fes malheurs. Hélas! infortuné que je fuis, mes perfécuteurs m'infultent dans ma mifere la Grece ignore que je fouffre; ma douleur augmente; les Atrides m'ont mis en cet état que les Dieux le leur rendent !

Enfuite je lui racontai de quelle maniere les Grecs m'avoient abandonné. Auffi-tôt qu'il eut écouté mes plaintes, il fit les fiennes. Après la mort d'Achille,

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