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jeuneffe, & tout ce qu'il avoit vu faire de plus remarquable aux héros de l'âge paffé. La mémoire de ce fage vieillard qui avoit vécu trois âges d'hommes, étoit comme une hiftoire des anciens temps, gravée fur le marbre & fur l'airain.

Philoctete n'eut pas d'abord la même inclination pour Télémaque, que Neftor. La haine qu'il avoit nourrie fi long-temps dans fon cœur contre Ulyffe, l'éloignoit de fon fils, & il ne pouvoit voir qu'avec peine tout ce qu'il fembloit que les Dieux préparoient en faveur de ce jeune homme pour le rendre égal aux héros qui avoient renverfé la ville de Troye. Mais enfin la modération de Télémaque vainquit tous les reffentimens de Philoctete; il ne put fe défendre d'aimer cette veru douce & modefte. Il prenoit fouvent Télémaque, & lui difoit: Mon fils (car je ne crains plus de vous nommer ainfi) votre pere & moi, je l'avoue, nous avons été long-temps ennemis l'un de l'autre : j'avoue même qu'après que nous eûmes fait tomber la fuperbe ville de Troye mon cœur n'étoit point encore appaifé; & quand je vous ai vu j'ai fenti de la peine à aimer la vertu dans le fils d'Ulyffe. Je me le fuis fouvent reproché. Mais enfin la vertu, quand elle eft doace fimple, ingénue & modefte, furmonte tout. Enfuite Philoctete s'engagea infenfiblement à lui raconter ce qui avoit allumé dans fon cœur tant de haine contre Ulyffe.

Il faut, dit-il, reprendre mon hiftoire de plus haut. Je fuivis par-tout le grand Hercule qui a délivré la terre de tant de monftres, & devant qui les autres héros n'étoient que comme font les foibles rofeaux auprès d'un grand chêne, ou comme les moindres oifeaux en préfence de l'aigle. Ses malheurs & les miens vinrent d'une paffion qui caufe tous les défaftres les plus affreux, c'eft l'amour. Hercule, qui avoit vaincu tant de monftres, ne pouvoit vaincre cette paffion honteufe, & le cruel enfant Cupidon fe jouoit de lui. Il ne pouvoit fe reffouvenir, fans rougir de honte, qu'il avoit autrefois oublié fa gloire jufqu'à filer auprès d'Omphale reine de Lydie, comme le plus lâche & le plus efféminé de tous les hommes i

tures of his youth, and all the most remarkable things which he had seen performed by the heroes of the last age. The memory of this wife fenior, who had lived thrice the age of man was as it were an history of ancient times engraved on brafs and marble.

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Philoctetes had not at first the fame affection for Telemachus as Neftor had. The hatred which he had fo long harboured in his heart against Ulysses, prejudiced him against his fon; and he could not without uneafinefs fee all that he thought the Gods were doing in favour of this youth, in order to render him equal to the heroes who had fubverted the city of Troy. But at length the prudent deportment of Telemachus entirely overcame the refentmert of Philoctetes, who could not help loving his engaging and modeft virtue. He often took him afide, and faid, my fon, (for I no longer fcruple to call you fo) your father and I were, I own, a long while enemies to each other. I own alfo that my heart was not appeafed after we had fubverted the haughty city of Troy; and that I found it difficult when I faw you to love virtue in the fon of Ulyffes: With this I often reproached my felf. But virtue, when it is gentle, unaffected, ingenuous and modeft, at length overcomes every thing. Philoctetes was afterwards infenfibly engaged to tell him what had kindled in his heart fo much enmity against Ulyffes.

I muft, faid he, begin my hiftory higher. I every where attended the great Hercules, who freed the earth from fo many monsters, and in whofe fight the other heroes were but as feeble reeds near a large oak, or little birds in the prefence of the eagle. His misfortunes and mine proceeded from love, the fource of all the most terrible difafters. Hercules who had conquered fo many monsters, could not conquer this shameful paffion: Cupid, the cruel boy, made him his fport. Nor could he recollect without blushing with shame, that he had formerly been fo forgetful of his glory, as to fpin with Omphale queen of Lydia, like the most abject and effeminate of manind; fo far was he hurried away by his blind paf

hommes; tant il avoit été entraîné par un amour. aveugle. Cent fois il m'a avoué que cet endroit de fa vie avoit terni fa vertu, & prefque effacé la gloire de tous fes travaux. Cependant, ô Dieux! telle eft la foibleffe & inconftance des hommes ! ils fe promettent tout d'eux-mêmes, & ne réfiftent à rien. Hélas! le grand Hercule retomba dans les pieges de l'amour qu'il avoiť fi fouvent détefté : il aima Déjanire. Trop heureux, s'il eût été conftant dans cette paffion pour une femme qui fut fon époufe! Mais bientôt la jeuneffe d'Iole, fur le vifage de laquelle les graces étoient peintes, ravirent fon cœur. Déjanire brûla de jaloufie; elle fe reffouvint de cette fatale tunique que le centaure Nef fus lui avoit laiffée en mourant, comme un moyen affuré de réveiller l'amour d'Hercule, toutes les fois qu'il paroîtroit la négliger pour en aimer quelque autre. Cette tunique pleine du fang venimeux du Centaure, renfermot le poifon des fleches dont ce monftre avoit été percé. Vous favez que les fleches d'Hercule, qui tua ce perfide Centaure, avoient été trempées dans le fang de l'Hydre de Lerne, & que ce fang empoifonnoit ces fleches, en forte que toutes les bleffures qu'elles faifoient, étoient incurables.

Hercule s'étant revêtu de cette tunique, fentir bientôr le feu dévorant qui fe gliffoit jufques dans la moëlle de fes os il pouffoit des cris horribles dont le mont Oëta réfonnoit, & faifoit retentir toutes les profondes vallées; la mer même en paroiffoit émue les taureaux les plus furieux qui auroient mugi dans leurs combats, n'auroient pas fait un bruit auffi affreux. Le malheureux Lychas, qui lui avoit apporté de la part de Déjanire cette tunique, ayant ofé s'approcher de lui, Hercule, dans le tranfport de fa douleur, le prit, le fit pirouetter comme un frondeur fait avec sa fronde tourner la pierre qu'il veut jetter loin de lui. Ainfi Lychas lancé du haut de la montagne par la puissante main d'Hercule, tomba dans les flots de la mer, où il fut chargé tout-à-coup en un rocher, qui garde encore la figure humaine, & qui étant toujours battu par les vagues irritées, épouvante de loin les fages pilotes. Après ce malheur de Lychas, je crus que je ne pou

fion. An hundred times has he confeffed to me, that this part of his life had tarnished his virtue, and almolt effaced the glory of all his labours. How great ye Gods! is the weakness and inconstancy of men they think themselves all fufficient, though they can withitand nothing. Alas! the great Hercules was entangled again in the fnares of love, which he had fo often detelted. He conceived a paffion for Dejanira: She was his wife, and happy had he been had he been conftant to her, but Iole's youth, on whofe face the graces were pictured, quickly ravished his heart. Dejanira, burning with jealoufy, bethought her of the fatal tunic, which the centaur Neffus had bequeathed her at his death, as a certain means to awaken the love of Hercules, as often as he should feem to neglect her, and to be fond of another. This tunic, imbrued with the venomous blood of the cens taur, contained the poison of the arrows with which that monster was flin. You know that the arrows with which Hercules killed this perfidious centaur 2 had been dipt in the blood of the Lernaan Hydra, and that this blood poifoned thofe arrows to fuch a degree, that all their wounds were incurable.

Hercules having put on this tunic, prefently felt the devouring fire, which infinuated itself even into the marrow of his bones. He roared in a horrible manner, making mount Oeta and all the deep vallies ring with his cries: nay, the fea itself feemed to be moved: the most furious bulls in their conflicts could not have made a more terrible bellowing. The ill-fated Lychas, who had brought him this tunic from Dejanira, prefuming to approach him, Hercules feized him in the tranfports of his anguish, and as a flinger whirls a ftone in his fling, in order to cast it the farther whirled him fwiftly round, and then with his potent hands hurled him from the top of the mountain into the billows of the fea; where he was immediately transformed into a rock, which ftill retains an human shape, and being continually beaten by the angry waves, alarms the wary pilot at a distance.

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After this misfortune of Lychas, believing I should

no

vois plus me fier à Hercule; je fongeois à me cacher dans les cavernes les plus profondes. Je le voyois déraciner fans peine d'une main les hauts fapins & les vicux chênes, qui depuis plufieurs fiecles avoient méprifé les vents & les tempêtes. De l'autre main, il tâchoit en vain d'arracher de dessus son dos la fatale tunique; elle s'étoit collée fur fa peau, & comme incorporée à fes membres. A mefure qu'il la déchiroit, il déchiroit auffi fa peau & fa chair; fon fang ruiffeloit & trempoit la terre. Enfin fa vertu furmontant fa douleur, il s'écria: Tu vois, ô mon cher Philoctete, les maux que les Dieux me font fouffrir; ils font juftes; c'est moi qui les ai offensés; j'ai violé l'amour conjugal. Après avoir vaincu tant d'ennemis, je me fuis lâchement laiffé vaincre par l'amour d'une beauté étrangere; je péris, & je suis content de périr pour appaifer les Dieux. Mais hélas ! cher ami, où est-ce que tu fuis? L'excès de la douleur m'a fait commettre, il est vrai, contre ce miférable Lychas une cruauté que je me reproche; il n'a pas fu quel poifon il me préfentoit; il n'a point mérité ce que je lui ai fait fouffrir mais crois-tu que je puiffe oublier l'amitié que je te dois, & que je veuille t'arracher la vie? Non, non, je ne cefferai point d'aimer Philoctete. Philoctete recevra dans fon fein mon ame prête à s'envoler; c'est lui qui recueillira mes cendres. Où es-tu donc, ô mon cher Philoctete, Philoctete, la feule efpérance qui me reste ici - bas?

A ces mots, je me hâte de courir vers lui: il me tend les bras, & veut m'embraffer; mais il fe retient, dans la crainte d'allumer dans mon fein le feu cruel dont il est lui-même brûlé. Hélas! dit-il, cette confolation même ne m'est plus permife. En parlant ainfi, il affemble tous ces arbres qu'il vient d'abattre ; il en fait un bûcher fur le fommet de la montagne; il monte tranquillement fur le bûcher; il étend la peau du lion de Nemée, qui avoit fi long-temps couvert fes épaules, lorfqu'il alloit d'un bout de la terre à l'autre abattre les monftres, & délivrer les malheureux; il s'appuie fur fa maffue, & il m'ordonne d'allumer le feu du bûcher.

Mes

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