Imágenes de página
PDF
ePub

que, fi les Dieux appaifés fouffrent enfin qu'il puisse jamais faluer fes Dieux Pénates.

A peine cet étranger eut prononcé triftement ces paroles, qu'il fe jetta dans un petit bois épais fur le haut d'un rocher, d'où il regardoit attentivement la mer, fuyant les hommes qu'il voyoit, & paroiffant aligé de ne pouvoir partir. Télémaque le regardoit fixement; plus il le regardoit, plus il étoit ému & étonné. Cet inconnu, difoit-il à Mentor, m'a répondu comme un homme qui écoute à peine ce qu'on lui dit, & qui eft plein d'amertume. Je plains les malheureux depuis que je le fuis, & je fens que mon cœur s'intéreffe pour cet homme, fans favoir pourquoi. Il m'a affez mal reçu. A peine a-t-il daigné m'écouter & me répondre. Je ne puis ceffer néanmoins de fou haiter la fin de fes maux.

Mentor fouriant, répondit: Voilà à quoi fervent les malheurs de la vie ; ils rendent les princes modérés, & fenfibles aux peines des autres. Quand ils n'ont jamais goûté que le doux poifon des profpérités, ils fe croient des Dieux; ils veulent que les montagnes s'applaniffent pour les contenter; ils comptent pour rien les hommes ; ils veulent fe jouer de la nature entiere. Quand ils entendent parler des fouffrances, ils ne favent ce que c'eft; c'eft un fonge pour eux; ils n'ont jamais vu la diftance du bien & du mal; l'infortune feule peut leur donner de l'humanité & changer leur cœur de rocher en un cœur humain. Alors ils fentent qu'ils font hommes, & qu'ils doivent ménager les autres hommes qui leur reffemblent. Si un inconnu vous fait tant de pitié, parce qu'il eft comme vous errant fur ce rivage combien devrezvous avoir plus de compaffion pour le peuple d'Ithaque, lorfque vous le verrez un jour fouffrir! Ce peuple que les Dieux vous auront confié, comme on confie un troupeau à un berger, fera peut-être malheureux par votre ambition, ou par votre fafte, ou par votre imprudence; car les peuples ne fouffrent que par les fautes des rois, qui devroient veiller pour les em pêcher de fouffiir.

Pendant

[ocr errors]

will at length fuffer him to falute his houshold Gods again.

This ftranger had hardly fpoken thefe words in a melancholy manner, but he rushed into a thick grove on the top of a rock, whence he ftedfaftly viewed the fea, flying from every one he faw, and feeming uneafy at not being able to profecute his voyage. Telemachus looked ftedfaftly upon him, and the more he looked the more he was moved, and aftonished. This ftranger, faid he to Mentor, anfwered me like one who does not much attend to what is faid to him, and who is oppreft with grief. I pity the unfortunate, fince I have been fo myself, and I feel that my heart is concerned for this man without knowing why. He was not over-civil to me, hardly vouchfafing to hear and answer me; and yet I cannot help wishing that his miferies were at an end.

[ocr errors]

Mentor replied with a fmile, Lo the ufe of the evils of life; they foften the hearts of princes, and make them feel the woes of others. When they have tafted only of the fweet poifon of profperity. they fancy themfelves Gods; they will have moun tains become plains, to gratify them; they esteem mankind as nothing, and make all nature their fsport. When they hear of fufferings, they know not what it means; it is a dream to them; they have never seen the diftance between good and evil misfortune alone can teach them humanity, and change their hearts of stone into hearts of flesh. They then find that they are men, and that they ought to be tender of others who are like them. If a ftranger excites fo much pity, because he is a wanderer on this shore like you; how much more compaffion ought you to have for the people of Ithaca, when you hereafter fee them fuffer! This people, whom the Gods will commit to your care, as a flock is committed to a shepherd, will perhaps be rendered miferable by your ambition, or pride, or imprudence; for the people fuffer only through the faults of princes, who ought to be watchful to prevent their fufferings. Q

TOM. II.

While

[ocr errors]

Pendant que Mentor parloit ainfi Télémaque étoit plongé dans la trifteffe & dans le chagrin; & il lui répondit enfin avec un peu d'émotion : Si toutes ces chofes font vraies, l'état d'un roi eft bien malheureux; il eft l'efclave de tous ceux auxquels il paroît commander; il n'eft pas tant fait pour leur commander, qu'il eft fait pour eux; il fe doit tout entier à eux; il eft chargé de tous leurs befoins; il eft l'homme de tout le peuple & de chacun en particulier; il faut qu'il s'accommode à leurs foibleffes, qu'il les corrige en pere, qu'il les rende fages & heureux. L'autorité, qu'il paroît avoir, n'eft pas la fienne; il ne peut rien faire ni pour fa gloire, ni pour fon plaifir: fon autorité eft celle des loix, il faut qu'il leur obéisse, pour en donner l'exemple à fes fujets. A proprement parler, il n'eft que le défenfeur des loix, pour les faire régner; il faut qu'il veille & qu'il travaille pour les maintenir; il eft l'homme le moins libre & le moins tranquille de fon royaume. C'eft un efclave qui facrifie fon repos & fa liberté, pour la liberté & la félicité publique.

Il est vrai, répondit Mentor, que le roi n'est roi, que pour avoir foin de fon peuple, comme un berger de fon troupeau, ou comme un pere de fa famille. Mais trouvez-vous, mon cher Télémaque, qu'il foit malheureux, d'avoir du bien à faire à tant de gens? Il corrige les méchans par des punitions; il encourage les bons par des récompenfes; il repréfente les Dieux, en conduifant ainfi à la vertu tout le genre humain. N'a-t-il pas affez de gloire à faire garder les loix ? Celle de fe mettre au-deffus des loix eft une gloire fauffe, qui n'iafpire que de l'horreur & du mépris. S'il est méchant, il ne peut être que malheureux; car il ne fauroit trouver aucune paix dans fes paffions & dans fa vanité. S'il eft bon, il doit goûter le plus pur & le plus folide de tous les plaifirs, à travailler pour la vertu, & à attendre des Dieux une éternelle récompenfe.

Télémaque, agité au-dedans par une peine fecrette, fembloit n'avoir jamais compris ces maximes, quni

[ocr errors]

While Mentor was fpeaking thus, Telemachus was overwhelmed with grief and trouble and at length replied with fome emotion: If all these things are true the condition of a king is very unhappy; he is the flave of all whom he feems to command; he is not fo much born to command as to serve them; he owes himself entirely to them; he is burdened with all their wants; he is the fervant of all the people, and of every one in particular; he must accommodate himfelf to their weakneffes, and. correct them like a father, that he may render them wife and happy. The authority which he feems to have, is not his own; he can do nothing for his own glory or pleasure; his authority is that of the laws; he must obey them, in order to be an example to his fubjects. Properly fpeaking, he is only the guardian of the laws, to make them reign; he muft watch and toil to maintain them; he has the least freedom and tranquillity of any man in his kingdom; he is a flave, who facrifices his own repofe and liberty for the liberty and happinefs of the public.

It is true, replied Mentor, that a king is a king only to take care of his people, as a shepherd takes care of his flock, or a father of his family. But do you think, my dear Telemachus, that he is unhappy in being obliged to do good to fuch multitudes ? He corrects the wicked by punishments; he encou rages the good by rewards, and reprefents the Gods in thus conducting all the human race to virtue. Has he not glory enough in caufing the laws to be obferved? That of placing him above the laws Visa falfe glory, which infpires nothing but horror and tontempt. If he is wicked, he cannot but be unhappy for he can find no peace in his paffions and vanity. If he is virtuous, he must needs taste the purest and most folid of all pleasures, in toiling in the fervice of virtue, and in the expectation of an eternal recompence from the Gods. Telemachus, who had a fecret uneafinefs in his heart, feemed as if he had never understood thefe

[blocks in formation]

qu'il en fût rempli, & qu'il les eût lui-même enfeignées aux autres. Une humeur noire lui donnoit, contre fes véritables sentimens, un esprit de contradiction & de fubtilité, pour rejetter les vérités que Mentor lui expliquoit. Télémaque oppofoit à ces raifons l'ingratitude des hommes. Quoi difoit-il, prendre tant de peine pour fe faire aimer des hommes, qui ne vous aimeront peut-être jamais, & pour faire du bien à des méchans, qui fe ferviront de vos bienfaits pour vous nuire.

Mentor lui répondoit patiemment : Il faut compter fur l'ingratitude des hommes, & ne laiffer pas de leur faire du bien: il faut les fervir moins pour l'amour d'eux, que pour l'amour des Dieux qui l'ordonnent. Le bien qu'on fait n'eft jamais perdu : fi les hommes l'oublient, les Dieux s'en fouviennent & le récompenfent. De plus, fi la multitude est ingrate, il y a toujours des hommes vertueux qui font touchés de votre vertu : la multitude même, quoique changeante & capricieufe, ne laiffe pas de faire tôt ou tard une efpece de juftice à la véritable vertu. Mais voulez-vous empêcher l'ingratitude des hommes ? Ne travaillez pas uniquement à les rendre puiffans riches, redoutables par les armes, heureux par les plaifirs cette gloire, cette abondance, ces délices les corrompent; ils n'en feront que plus méchans, & par conféquent plus ingrats; c'eft leur faire un préfent funefte; c'est leur offrir un poison délicieux : Mais appliquez-vous à redreffer leurs mœurs à leur infpirer la juftice, la fincérité, la crainte des Dieux, l'humanité, la fidélité, la modération, le défintéreffement. En les rendant bons vous les empêcherez d'être ingrats, vous leur donnerez le véritable bien, qui eft la vertu; & la vertu, fi elle eft folide, les attachera toujours à celui qui la leur aura infpirée. Ainfi, en leur donnant les véritables biens, vous ferez du bien à vous-même, & vous n'aurez point à craindre leur ingratitude. Faut-il s'étonner que les hommes foient ingrats pour des princes qui ne les ont jamais por

tés

« AnteriorContinuar »