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application à obferver les bons muficiens. Comment peut-on efpérer de bien gouverner les hommes, fi on ne les connoît pas ? Et comment les connoîtra-t-on, fi l'on ne vit pas avec eux ? Ce n'eft pas vivre avec eux, que de les voir en public, où l'on ne dit, de part & d'autre , que des chofes indifférentes & préparées avec art. I eft question de les voir en particulier, de tirer du fond de leur cœur tous les refforts fecrets qui y font, de les tâter de tous côtés, de les fonder pour découvrir leurs maximes. Mais, pour bien juger des hommes, il faut commencer par favoir ce qu'ils doivent être ; il faut favoir ce que c'eft que le vrai & folide mérite, pour difcerner ceux qui en ont, d'avec ceux qui n'en ont pas. On ne ceffe de parler de vertu & de mérite, fans favoir ce que c'eft précisément que le mérite & la vertu. Ce ne font que de beaux noms, que des termes vagues pour la plupart des hommes, qui fe font honneur d'en parler à toute heure. Il faut avoir des principes certains de juftice, de raifon & de vertu, pour connoître ceux qui font raisonnables & vertueux. Il faut favoir les maximes d'un bon & fage gouvernement, pour connoître les hommes qui les ont, & ceux qui s'en éloignent par une fauffe fubtilité. En un mot, pour mefurer plufieurs corps, il faut avoir une mefure fixe pour juger des efprits, il faut avoir tout de même des principes conftants auxquels tous nos jugemens fe réduifent. Il faut favoir précisément quel eft le but de la vie humaine, & quelle fin on doit fe propofer en gouvernant les hommes. Ce but unique & effentiel eft de ne vouloir jamais l'autorité & la grandeur pour foi; car cette recherche ambitieufe n'iroit qu'à fatisfaire un orgueil tyrannique; mais on doit fe facrifier dans les peines infinies du gouvernement pour rendre les hommes bons & heureux : autrement on marche à tâtons & au hafard pendant toute la vie, on va comme un navire en pleine mer qui n'a point de pilote, qui ne confulte point les aftres, & à qui toutes les côtes voifines font inconnues; il ne peut que faire naufrage.

Souvent

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one expect to govern men well, if he does not know them? and how can he know them if he does not converfe with them? It is not converfing with them, to fee them in public, where nothing is faid on either fide but what is indifferent, and prepared with art. The business is to fee them in private, to draw out, to view all the fecret fprings of their hearts, to probe them on all fides, to found them in order to difcover their maxims. But to form a right judgment of men, it is neceffary to begin by knowing what they ought to be; it is neceffary to know what real and folid merit is, in order to diftinguish thofe who have it from thofe who have it not. Men are continually talking of virtue and merit, without knowing precisely what merit and virtue are. They are only fair words and indefinite terms in the mouths of the generality of mankind, who take a pride in talking of them eternally. It is neceffary to have certain principles of juftice reafon and vir tue to know who are reasonable and virtuous. It is neceffary to understand the maxims of a wife and good government, to know men who are furnished with them, and those who depart from them thro a falfe fubtilty. In a word, to measure several bɔdies it is neceffary to have a fixed measure form a judgment of men's minds it is likewife neceffary to have conftant principles which may be the ftandard of all our judgments. It is neceffary to know précisely what is the end of human life, and what end we ought to propofe to ourselves in the government of men. Now this fole this effential end is never to covet power and grandeur for one's own fake for this ambitious purfuit would only tend to gratify a tyrannical pride; but a man ought to facrifice himself to the infinite toils of government, to make men virtuous and happy he otherwife walks in darknefs and at random as long as he lives he drives like a ship on the open fea, that has no pilot, that does not confult the ftars, nor know any of the neighbouring coafts; he cannot but be wrecked.

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Pr

to

Souvent les princes, faute de favoir en quoi confifte la vraie vertu, ne favent point ce qu'ils doivent chercher dans les hommes. La vraie vertu a pour eux quelque chofe d'âpre; elle leur paroît trop auftere & indépendante, elle les effraie & les aigrit: ils fe tournent vers la flatterie. Dès lors ils ne peuvent plus trouver ni de fincérité ni de vertu. Dès-lors ils courent après un vain phantôme de fauffe gloire, qui les rend indignes de la véritable. Ils s'accoutument bientôt à croire qu'il n'y a point de vraie vertu fur la terre: car les bons connoiffent bien les méchans ; mais les méchans ne connoiffent point les bons, & ne peuvent pas croire qu'il y en ait. De tels princes ne favent que fe défier de tout le monde également; ils fe cachent, ils fe renferment, ils font jaloux fur les moindres choses, ils craignent les hommes, & fe font craindre d'eux. Ils fuient la lumiere; ils n'ofent paroître dans leur naturel. Quoiqu'ils ne veuillent pas être connus, ils ne laiffent pas de l'être; car la curiofité maligne de leurs fujets pénetre & devine tout; mais ils ne connoiffent perfonne. Les gens intéreffés qui les obfedent, font ravis de les voir inacceffibles. Un roi inacceffible aux hommes l'eft auffi à la vérité. On noircit par d'infames rapports, & on écarte delui tout ce qui pourroit lui ouvrir les yeux. Ces fortes de rois paffent leur vie dans une grandeur fauvage & farouche, où craignant fans ceffe d'être trompés, ils le font toujours inévitablement, & méritent de l'être. Dès qu'on ne parle qu'à un petit nombre de gens, on s'engage à recevoir toutes leurs paffrons & tous leurs préjugés. Les bons mêmes ont leurs défauts & leurs préventions. De plus, on eft à la merci des rapporteurs, nation baffe & maligne, qui fe nourrit de venin, qui empoifonne les chofes innocentes, qui groffit les petites, qui invente le mal plutôt que de ceffer de nuire, qui fe joue, pour fon intérêt, de la défiance & de l'indigne curiofité d'un prince foible & ombrageux.

Connoiffez donc, ô mon cher Télémaque, connoiffez les hommes, examinez-les, faites les parler

les

Princes many times, for want of knowing wherein true virtue confifts, know not what they ought to look for in men. True virtue has fomething of harshness for them, it feems to them too auftere and too independant, it affrights and fours them: they incline to flattery. From that moment they can no longer find either fincerity or virtue, from that moment they purfue an empty phantom of vain glory, which renders them unworthy of the true, and they foon habituate themselves to think that there is no true virtue in the world. For the good do indeed difcern the wicked; but the wicked do not difcern the good, nor can they believe that there are any. Such princes fufpect every body alike; they hide themselves, they shut themfelves up, they are jealous on the most trifling occafions, they dread mankind and make themselves dreaded by them. They shum the light, and dare not appear in their natural colours. Though they would not be known, they always are fo; for the malicious curiofity of their fubjects pries into and gueffes every thing, but they themselves know nobody. The felfish crew which befets them, is overjoyed to fee them inacceffible. A king who is inacceffible to men, is inacceffible to truth alfo. They blacken by infamous tales, and remove every thing from him which might open his eyes. Such kings pafs their lives in a favage inhuman grandeur; they are continually afraid of being impofed upon, and yet they always unavoidably are and deferve to be fo. When a man converfes only with a small number of perfons, he neceffarily imbibes all their paffions and prejudices: And even virtuous men have their faillings and prepoffeffions. Befides, one is at the mercy of tale-bearers, a bafe ma licious tribe, who feed upon venom, who poifon the most innocent things and magnify the leaft, who invent the evil rather thin ceale to injure, and who for their own intereft play upon the jealoufy and base curiofity of a weak and fufpicious prince.

Get a knowledge therefore, my dear Telemachus, get a knowledge of men; fift them, make them

fpeak

les uns fur les autres, éprouvez-les peu à peu; ne vous livrez à aucun; profitez de vos expériences, lorfque vous aurez été trompé dans vos jugemens; car vous ferez trompé quelquefois : apprenez par-là à ne juger promptement de perfonne, ni en bien, ni en mal. Les méchans font trop profonds, pour ne furpren dre pas les bons par leurs déguisemens; mais vos érreurs paffées vous inftruiront très-utilement. Quand Vous aurez trouvé des talens & de la vertu dans un homme, fervez-vous-en avec confiance; car les honnêtes gens veulent qu'on fente leur droiture: ils aiment mieux de l'eftime & de la confiance que des tréfors mais ne les gâtez pas en leur donnant un pouvoir fans bornes. Tel eût été toujours vertueux, qui ne l'eft plus, parce que fon maître lui a donné trop d'autorité & de richeffes. Quiconque eft affez aimé des Dieux, pour trouver dans tout un royaume deux ou trois vrais amis d'une fageffe & d'une bonté conftantes, trouve bientôt par eux d'autres perfonnes qui leur reffemblent, pour remplir les places inférieures. Par les bons, auxquels on fe confie, on apprend ce qu'on ne peut pas difcerner par foi-même dans les autres fujets.

Mais faut-il, difoit Télémaque, fe fervir des méchans quand ils font habiles, comme je l'ai ouï dire tant de fois? On eft fouvent, répondit Mentor, dans la néceffité de s'en fervir. Dans une nation agitée & en défordre, on trouve fouvent des gens injuftes & artificieux qui font déjà en autorité; ils ont des em plois importans qu'on ne peut leur ôter; ils ont acquis la confiance de certaines perfonnes puiffantes qu'on a befoin de ménager : il faut les ménager euxmêmes, ces hommes fcélérats, parce qu'on les craint, & qu'ils peuvent tout bouleverfer. Il faut bien s'en fervir pour un temps; mais il faut auffi avoir en vue de les rendre peu à peu inutiles. Pour la vraie & intime confiance, gardez-vous bien de la leur donner jamais; car ils peuvent en abufer, & vous tenir enfuite malgré vous par votre fecret, chaîne plus difficile à rompre que toutes les chaînes de fer. Ser.

vez-vous

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