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voudroient trouver une espece de récompenfe, en époufant certaines filles riches; je n'ai qu'un mot à dire pour leur procurer ces établissemens.

Il est vrai, répondit Mentor, qu'il ne vous en coûteroit qu'un mor; mais ce mot lui-même vous coûteroit trop cher. Voudriez-vous ôter aux peres & aux meres la liberté & la confolation de choisir leurs gendres, & par conféquent leurs héritiers? Ce feroit mettre toutes les familles dans le plus rigoureux esclavage. Vous vous rendriez refponfable de tous les malheurs domestiques de vos citoyens. Les mariages ont affez d'épines, fans leur donner encore cette amertume. Si vous avez des ferviteurs fideles à récompenser, donnez-leur des terres incultes; ajoutez-y des rangs & des honneurs proportionnés à leur condition & à leurs fervices. Ajoutez-y, s'il le faut, quelque argent pris par vos épargnes fur les fonds destinés à votre dépenfe; mais ne payez jamais vos dettes en facrifiant les filles riches malgré leur parenté.

Idoménée paffa bientôt de cette question à une autre. Les Sibarites, difoit-il, fe plaignent de ce que nous avons ufurpé des terres qui leur appartiennént, & de ce que nous les avons données, comme des champs à défricher aux étrangers que nous avons attirés depuis peu ici. Céderai-je à ces peuples ? Si je le fais, chacun croira qu'il n'a qu'à former des prétentions fur nous.

Il n'eft pas jufte, répondit Mentor, de croire les Sibarites dans leur propre caufe: mais il n'eft pas juste auffi de vous croire dans la vôtre. Qui croirons-nous donc, repartit Idoménée ? Il ne faut croire, pourfuivir Mentor, aucune des deux parties; mais il faut prendre pour arbitre un peuple voifin, qui ne foit fulpect d'aucun côté : tels font les Sipontins; ils n'ont aucun intérêt contraire aux vôtres. Mais fuis-je obligé, répondit Idoménée, à croire quelque arbitre ? Ne fuis-je pas un roi ? Un fouverain eft-il obligé à fe foumettre à des étrangers fur l'étendue de fa domination?

Mentor reprit ainfi le difcours puifque vous vous lez tenir ferme, il faut que vous jugiez que votre droit

est

large eftates in my fervice, aim at a fort of recompence by marrying certain rich maidens; and I need but fpeak one word to procure thefe fortunes for them. It is true, replied Mentor, that it would coft you but one word; but this word itfelf would cost you too dear. Would you deprive fathers and mothers of the liberty and fatisfaction of chufing their fonsin-laws, and confequently their heirs? This were to bring all families into the fevereft flavery. You would make yourself anfwerable for all the domeftic evils of your fubjects. Marriage is full enough of thorns without this addition of bitternefs. If you have faithful fervants to reward, give them uncultivated lands; to these add rank and honours in proportion to their condition and fervices. Add likewife, if neceffary fome money faved out of the funds appointed for your own expences: But never pay your debts by facrificing young maidens of fortune contrary to the inclination of their families.

Idomeneus foon paft from this question to another. The Sibarites, faid he, complain of our ufurping fome lands that belong to them, and of our giving them as grounds to be cultivated to the ftrangers whom we have lately allured hither. Shall I yield to thefe people? If I do, every one will think that he needs only to form pretenfions upon us, to have what he claims.

It is not reasonable, replied Mentor, to believe the Sibarites in their own caufe, neither is it reafonable to believe you in yours. Who then must decide the matter, replied Idomeneus? Neither of the two parties, continued Mentor. A neighbouring people, whom neither fide can fufpect of partiality must be chofen as an umpire; fuch are the Sipontines, who have no intereft oppofite to yours. But am I obliged, rejoined Idomeneus, to be determined by an umpire ? Am I not a king? Muft a fovereign fubmit himfelf to foreigners as to the extent of his dominions?

Since you

Mentor thus refumed the difcourfe. perfift in keeping the lands, you must neceffarily be

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lieve

eft bon. D'un autre côté, les Sibarites ne relâchent rien; ils foutiennent que leur droit eft certain. Dans cette oppofition de fentimens, il faut qu'un arbitre choifi par les parties vous accommode, ou que le fort des armes décide; il n'y a point de milieu. Si vous entriez dans une république où il n'y eût ni Magiftrats ni juges, & où chaque famille fe crût en droit de le faire juftice à elle-même par violence fur toutes fes prétentions contres fes voifins, vous déploreriez le malheur d'une telle nation, & vous auriez horreur de cet affreux défordre, où toutes les familles s'armeroient les unes contre les autres. Croyez-vous que les Dieux regardent avec moins d'horreur le monde entier, qui eft la république univerfelle, fi chaque peuple, qui n'y eft que comme une grande famille, fe croit en plein droit de fe faire par violence justice à foi-même fur toutes fes prétentions contre les autres peuples voifins Un particulier qui poffede un champ, comme l'héritage de fes ancêtres, ne peut s'y maintenir que par l'autorité des loix, & par le jugement des magiftrats. Il feroit très-févérement puni comme un féditieux, s'il vouloit conferver par la force ce que la justice lui a donné. Croyez-vous que les rois puiffent employer d'abord la violence pour foutenir leurs prétentions, fans avoir tenté toutes les voies de douceur & d'humanité ? La juftice n'est-elle pas encore plus facrée & plus inviolable pour les rois, par rapport à des pays entiers, que pour les familles, Par rapport à quelques champs labourés? Sera-t-on injufte & raviffeur, quand on ne prend que quelques arpens de terre? Sera-t-on jufte, fera-t-on héros quand on prend des provinces ? Si on fe prévient, ៤ on fe flatte, fi on s'aveugle dans les petits intérêts des particuliers, ne doit-on pas encore plus craindre de fe flatter & de s'aveugler fur les grands intérêts d'état ? Se croira-t-on foi-même dans une matiere où l'on a tant de raifons de fe défier de foi ? Ne craindra-t-on point de fe tromper dans des cas où l'erreur d'un feul homme a des conféquences affreufes ? L'erreur d'un roi, qui fe flatte fur prétentions, caufe fouvent des ravages

lieve that your title to them is good. The Siba rites, on the other fide, abate nothing of their pretenfions, and maintain that their right is incontestable. In this oppofition of opinions an arbitrator chofen by both parties must make up the difference, or the fate of arms decide it; there is no medium. Were you to go into a republic, where there are neither magiftrates nor judges, and where every fa mily should think it had a right to do itself justice by violence against all the pretenfions of its neighbours; you would deplore the mifery of fuch a na tion, and be ftruck with horror at its dreadful diforders, where all families would arm themselves one against another. Do you think the Gods would with lefs horror behold the whole world, which is the univerfal commonwealth, should every nation, which is but as a large family, think it had a right to do itself justice by violence, as to all the pretenfions it had upon other neighbouring nations ? A private man, who poffeffes a field by inheritance from his ancestors, cannot maintain himself in it but by the authority of the laws and the decree of the magistrates; he would be feverely punished as a fe ditious perfon, should he attempt to maintain by force what juftice has given him. And do you think that kings may immediately make ufe of violence to fupport their pretensions, without having first tried all the ways of gentleness and humanity? Is not justice much more facred and inviolable in kings with regard to whole countries, than in private families with regard to a few plough'd fields? Is a man unjust, and a robber, who feizes a few acres of land? And is he just, and an hero, who feizes whole provinces ? If men are prejudiced, if they are deceived and blinded in the trifling concerns of priva te perfons, ought they not to be much more afraid of being deceived and blinded in the great concerns of ftate? Shall a man rely upon his own judgment in an affair wherein he has fo much reafon to miftruft it? Will he not dread being mistaken in cafes, wherein the error of a fingle perfon has fuch terrible confequences?

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ravages, des famines, des massacres, des pertes, des dépravations de mœurs dont les effets funeftes s'étendent jufques dans les fiecles les plus reculés. Un roi qui affemble toujours tant de flatteurs autour de Jui ne craindra-t-il point d'être flatté en ces occafions? S'il convient de quelque arbitre pour terminer le différend, il montre fon équité, fa bonne foi, fa modération : il publie les folides raifons fur lefquelles fa caufe eft fondée. L'arbitre choisi est un médiateur amiable, & non un juge de rigueur. On ne se foumet pas aveuglément à fes décifions, mais on a pour lui une grande déférence. Il ne prononce pas une fentence en juge fouverain; ma's il fait des propofitions, & on facrifie quelque chofe par fes confeils, pour conferver la paix. Si la guerre, vient, malgré tous les foins qu'un roi prend pour conferver la paix, il a du moins alors pour lui le témoignage de fa confcience, l'eftime de fes voifins, & la jufte protection des Dieux. Idoménée, touché de ce difcours, confentit que les Sipontins fuflent médiateurs entre lui & les Sibarites.

Alors le roi voyant que tous les moyens de retenir les deux étrangers lui échappoient, effaya de les arrêter par un lien plus fort. Il avoit remarqué que Télémaque aimoit Antiope, & il efpéra de le prendre par cette paffion. Dans cette vue, il la fic chanter plufieurs fois pendant des feftins; elle le fit pour ne pas défobéir à fon pere, mais avec tant de modeftie & de trifteffe, qu'on voyoit bien la peine qu'elle fouffroit en obéiffant. Idoménée alla jufqu'à vouloir qu'elle chantât la victoire remportée fur les Dauniens & fur Adratte mais elle ne put fe réfoudre à chanter les louanges de Telémaque; elle s'en défendit avec refpect, & fon pere n'ofa la contraindre. Sa voix douce & touchante pénétroit le cœur du jeune fils d'Ulyffe; il étoit tout ému. Idoménée, qui avoit les yeux attachés fur lui, jouiffoit du plaifir de remarquer fon trouble; mais Télémaque ne faifoit pas femblant d'appercevoir les deffejns du roi. Il ne pouvoit s'empêcher en ces occafions d'être fort tou

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