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à Salente pendant mon abfence? D'où vient que l'on n'y remarque plus cette magnificence qui éclatoit par-tout avant mon départ ? Je ne vois plus ni or, ni argent, ni pierres précieufes; les habits font fimples; les bâtimens qu'on y fait font moins vaftes & moins ornés, les arts languiffent, la ville eft devenue une folitude.

Mentor lui répondit en fouriant : Avez-vous remarqué l'état de la campagne autour de la ville? Oui, reprit Télémaque; j'ai vu par-tout le labourage en honneur, & les champs défrichés. Lequel vaut mieux, ajouta Mentor, ou une ville fuperbe en marbre, en or & en argent, avec une campagne négligée & ftérile, ou une campagne cultivée & fertile avec une ville médiocre & modefte dans fes mœurs ? Une grande ville fort peuplée d'artifans occupés à amollir les mœurs par les délices de la vie, quand elle eft entournée d'un royaume pauvre & mal cultivé, reffemble à un monftre dont la tête est d'une groffeur énorme, & dont tout le corps exténué & privé de nourriture n'a aucune proportion avec cette tête: c'est le nombre du peuple & l'abondance des alimens qui forment la vraie force & la vraie richeffe d'un royaume. Idoménée a maintenant un peuple innombrable & infatigable dans le travail, qui remplit toute l'étendue de fon pays; tout fon pays n'eft plus qu'une ville... Salente n'en eft que le centre. Nous avons transporté de la ville dans la campagne, les hommes qui manquoient à la campagne, & qui étoient fuperflus dans la ville. De plus, nous avons attiré dans ce pays beaucoup de peuples étrangers. Plus ces peuples fe multiplient, plus ils multiplient les fruits de la terre par leur travail; cette multiplication fi douce & fi paifible augmente plus fon royaume qu'une conquête. On n'a rejetté de cette ville que les arts fuperflus qui détournent les pauvres de la culture de la terre pour les vrais befoins, & qui corrompent les riches, en les jettant dans le fafte & dans la molleffe: mais nous n'avons fait aucun tort aux beaux arts, ni aux hommes qui ont un vrai génie pour les cultiver. Ainfi Idoménée est beaucoup plus puiffant qu'il ne l'étoit, quand vous admiriez fa magnifi

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cence.

calamity befallen Salentum in my abfence? Whence comes it that one no longer fees that magnificence which shone every where at my departure? I now fee neither gold, nor filver, nor precious ftones; the habits are plain; the buildings which are carrying on are lefs fpacious and have fewer ornaments; languish, and the city is become a defert.

arts

Mentor replied with a fmile, Did you obferve the condition of the country round the city? Yes, anfwered Telemachus, I faw that tillage is every where efteemed, and that the fields are cultivated. Which is preferable, added Mentor, a city proud of its marble, gold and filver, with an untilled and barren country, or a well-cultivated and fruitful country, with a city that is modeft in its buildings and manners? A great city crowded with artifts, who are employed in corrupting mens manners by adminiftering to their luxury, and furrounded with a poor and ill-cultivated kingdom, refembles à monster, whofe head is of an enormous bulk, and bears no proportion to its ftarved and meagre body: It is the number of the inhabi→ tants and the plenty of provisions which constitute the true ftrength and the true riches of a kingdom. Idomeneus has now innumerable fubjects who are indefatigable in labour, and crowd the whole extent of his country, which is now but one city, and Salentum no more than the center of it. We have tranfported from the city into the country, men who were wanted in the country, and who were fuperfluous in the city. We have moreover allured a great many foreigners into the kingdom. The more these people multiply, the more are the fruits of the earth multiplied by their labour; this calm, this gentle increafe inlarges his kingdom more than a conquest. We have expelled from the city only fuperfluous arts which divert the poor from tilling the earth to fatisfy their real wants, and corrupt the rich by plunging them into pomp and luxury; we have not done the leaft prejudice to the liberal arts, nor to men who really have a genius to cultivate them. Thus is Idomeneus much more powerful than he was when you admired

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cence. Cet éclat éblouiffant cachoit une foibleffe & une mifere qui euffent bientôt renverfé fon empire = maintenant il a un plus grand nombre d'hommes, & il les nourrit plus facilement. Ces hommes accoutumés au travail, à la peine & au mépris de la vie par l'amour des bonnes loix, font tous prêts à combattre, pour défendre les terres cultivées de leurs propres mains. Bientôt cet état, que vous croyez déchu, fera la merveille de l'Hefpérie.

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Souvenez-vous, ô Télémaque, qu'il y a deux chofes pernicieufes dans le gouvernement des peuples, auxquelles on n'apporte prefque jamais aucun remed La premiere eft une autorité injufte & trop violente dans les rois. La feconde eft le luxe qui corrompt les mœurs. Quand les rois s'accoutument à ne connoître plus d'autres loix que leurs volontés abfolues & qu'ils ne mettent plus de frein à leurs paffions, ils peuvent tout; mais à force de tout pouvoir, ils fappent le fondement de leur puiffance. Ils n'ont plus de regle certaine ni de maximes de gouvernement; chacun à l'envi les flatte; ils n'ont plus de peuples; il ne leur refte que des efclaves, dont le nombre diminue chaque jour. Qui leur dira la vérité? Qui donnera des bornes au torrent? Tout cede; les fages s'enfuient, fe cachent & gémiffent. Il n'y a qu'une révolution foudaine & violente, qui puisse ramener cette puiffance débordée dans fon cours naturel. Souvent même le coup qui pourroit la modérer l'abat fans reffource. Rien ne menace tant d'une chûte funeste, qu'une autorité qu'on pouffe trop loin. Elle eft femblable à un arc trop rendu qui fe rompt enfin tout-àcoup, fi on ne le relâche: mais qui eft-ce qui ofera le relâcher? Idoménée étoit gâté jufqu'au fond du cœur par cette autorité fi flatteufe; il avoit été renverfé de fon trône, mais il n'avoit pas été détrompé. Il a fallu que les Dieux nous aient envoyé ici pour le défabufer de cette puiffance aveugle & outrée, qui ne convient pas à des hommes; encore a-t-il fallu des efpeces de miracles pour lui ouvrir les yeux.

L'autre mal, prefque incurable, eft le luxe. Comme la trop grande autorité empoisonne les rois, le luxe empoifonne

admired his magnificence. That dazzling luftre concealed a weakness and indigence which would foon have overthrown his empire: he has now a greater number of fubjects, and he fubfifts them with more cafe. These men, inured to labour, pain, and a contempt of life through their attachment to good laws, are all ready to fight in the defence of a country which they have cultivated with their own hands. And this kingdom which you think decayed, will foon be the wonder of Hefperia.

Remember, Telemachus, that there are two evils in the government of a nation, which are hardly ever cured. The first is an unjust and too violent a power in the prince; the fecond is luxury, which corrupts the morals of the people. When kings accustom themfelves to know no law but their own abfolute will, and no longer curb their paffions, they may do any thing but by their being able to do any thing, they fap the foundations of their power. They have no certain rules or maxims of government; every one ftrives who shall flatter them moft; they have no longer any fubjects, nothing is left them but flaves, whofe number daily decreafes. Who will tell them the truth? Who will fet bounds to the torrent? Every thing gives way; the wife fly, hide themselves, and mourn in private. Nothing but a fudden and violent revolution can reduce this overflowing power into its natural channel, and the measures which might circumfcribe, often irrecoverably destroy it. Nothing is fo near a fatal fall as authority ftretched too far. It resembles an over-ftrained bow, which at length fnaps of a fudden, unless it be flackened; but who will presume to flacken it? The very foul of Idomeneus was feduced by the allurements of this power; he had been dethroned but not undeceived. The Gods were forced to fend us hither, to put him out of conceit with this blind and exceffive power, which does not befit men; and a fort of miracles moreover were neceffary to open his eyes..

The other almost incurable evil is luxury. As too much power poifons princes, fo luxury poifons a

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whole

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empoisonne toute une nation. On dit que le luxe fert à nourrir les pauvres aux dépens des riches, comme fi les pauvres ne pouvoient pas gagner leur vie plus utilement en multipliant les fruits de la terre, fans amollir les riches par des rafinemens de volupté. Toute une nation s'accoutume à regarder, comme des néceffités de la vie, les chofes fuperflues: ce font tous les jours de nouvelles néceffités qu'on invente; & on ne peut plus fe paffer des chofes qu'on ne connoiffuit pas trente ans auparavant. Ce luxe s'appelle bon goût, perfection des arts, & politeffe de la nation. Ce vice, qui en attire une infinité d'autres, est loué. comme une vertu; il répand fa contagion depuis le roi jufqu'aux derniers de la lie du peuple. Les proches parens du roi veulent imiter fa magnificence; les grands celle des parens du roi; les gens médiocres veulent égaler les grands; car qui eft-ce qui fe fait juftice? Les petits veulent paffer pour médiocres. Tour le monde fait plus qu'il ne peut, les uns par falte & pour fe prévaloir de leurs richeffes, les autres par mauvaife honte & pour cacher leur pauvreté. Ceux mêmes qui font affez fages pour condamner un fi grand défordre, ne le font pas affez pour ofer lever la tête les premiers, & pour donner des exemples contraires. Toute une nation fe ruine; toutes les conditions fe confondent. La paffion d'acquérir du bien, pour foutenir une vaine dépenfe, corrompt les ames les plus pures; il n'eft plus question que d'être riche la pauvreté eft une infamie. Soyez favant, habile, vertueux, inftruifez les hommes, gagnez des batailles, fauvez la patrie, facrifiez tous vos intérêts; vous êtes méprifé, fi vos talens ne font relevés par le fafte. Ceux mêmes qui n'ont pas de bien, veulent paroître en avoir; ils dépenfent comme s'ils en avoient: on emprunte, on trompe, on use de mille artifices indignes pour parvenir. Mais qui remédiera à ces maux? Il faut changer le goût & les habitudes de toure une nation; il faut lui donner de nouvelles loix. Qui le pourra entreprendre, fi ce n'eft un roi philofophe, qui fache, par l'exemple de fa pro.pre

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