Imágenes de página
PDF
ePub

faire un grand éclat, pour fortir des mains d'un homme corrompu, & pour tomber dans celles de quelqu'autre qui ne fera pas plus défintéreffé, ni plus fincere que lui? Cependant l'armée navale commandée par Polimene revint. Je ne fongai plus à la conquête de l'Ifle de Carpathie, & Protéfilas ne put diffimuler fi profondément, que je ne découvriffe combien il étoit affligé de favoir que Philoclès étoit en sûreté dans Samos.

Mentor interrompit encore Idoménée pour lui demander s'il avoit continué, après une fi noire trahison, à confier toutes fes affaires à Protéfilas. J'étois, lui répondit Idoménée trop ennemi des affaires, & trop inappliqué pour pouvoir me tirer de fes mains, il auroit fallu renverfer l'ordre que j'avois établi pour ma commodité, & inftruire un nouvel homme; c'eft ce que je n'eus jamais la force d'entreprendre. J'aimai mieux fermer les yeux pour ne pas voir les artifices de Protéfilas. Je me confolois feulement en faifant entendre à certaines perfonnes de confiance, que je n'ignorois pas fa mauvaife foi. Ainfi je m'imaginois n'y être trompé qu'à demi puifque je favois que j'étois trompé. Je faifois même de temps en temps fentir à Protéfilas que je fupportois fon joug avec impa tience. Je prenois fouvent plaifir à le contredire, à blâmer publiquement quelque chofe qu'il avoit fait & à décider contre fon fentiment; mais comme il con coiffoit ma lenteur & ma pareffe, il ne s'embarraffoit point de tous mes chagrins, I revenoit opiniâtrément à la charge; il ufoit tantôt de manieres preffantes, tantôt de foupleffe & d'infinuation; fur - tout quand il s'appercevoit que j'étois piqué contre lui, il redoubloit fes foins pour me fournir de nouveaux amusemens propres à m'amollir, ou pour m'embarquer en quelque affaire où il eût occafion de fe ren dre néceffaire & de faire valoir fon zèle pour ma réputation.

Quoique je fuffe en garde contre lui, cette ma◄ niere de flatter mes paffions m'entraînoit toujours; il favoit mes fecrets; il me foulageoit dans mes embarras; il faifoit trembler tout le monde par mon autorité. Enfin je ne pus me réfoudre à le perdre mais

[ocr errors]

en

tom. What fignifies it, faid I, to make a great ftir to get out of the hands of one corrupt man, only to fall into thofe of another, who will not be more difinterested nor more fincere than he. Mean time the fleet under the command of Polymenes returned, I thought no more of the conqueft of the ifle of Carpathus, and Protefilaus could not diffemble fo deeply, but that I difcovered how vexed he was to hear that Philocles was fafe in Samos.

[ocr errors]

Mentor interrupted Idomeneus in order to ask him, if he continued, after fo black a piece of treachery, to entrust all his affairs to Protefilaus. I was replied Idomeneus, too averfe to bufinefs, and too fupine to be able to get out of his hands; for I then must have difconcerted the fcheme I had laid down for my own eafe, and have been at the trouble of inftructing fomebody elfe, which I had not refolution enough to undertake: I rather chofe to shut my eyes, that I might not fee Protefilaus's artifices; and only eafed my mind by letting fome of my particular confidents know, that I was not a stranger to his villainies. Thus did I fancy that I was but half deceived, fince I knew that I was deceived. Sometimes, however, I made Protefilaus himself fenfible that I bore his yoke with impatience; and often took a pleasure in contradicting him, in publickly cenfuring fome of his actions, and in determining contrary to his opinion; but as he knew my floth and fupineness, he gave himself no concern about any difcontent of mine. He obftinately returned to the attack; fometimes in an importunate, and fometimes in a cringing and infinuating way. And when he perceived that I was exafperated against him, he then particularly doubled his diligence to furnish new amufements which were likely to mollify or embark me in fome affair, wherein he might have an oppor tunity to render himself neceffary, and to make the most of his zeal for my honour.

Though I was upon my guard against him, yet this way of foothing my paffions always got the bet ter of me. He knew my fecrets; he eafed me under

my

en le maintenant dans fa place, je mis tous les gens de bien hors d'état de me représenter mes véritables intérêts. Depuis ce moment on n'entendit plus dans mes confeils aucune parole libre. La vérite s'éloigna de moi; l'erreur, qui prépare la chûte des rois, me. punit d'avoir facrifié Philoclès à la cruelle ambition de Protéfilas. Ceux mêmes qui avoient le plus de zèle pour l'état & pour ma perfonre, fe crurent difpenfés de me détromper après un fi terrible exemple. Moi-même, mon cher Mentor, je craignois que la vérité ne perçât le nuage, & qu'elle ne parvînt jufqu'à moi malgré les flatteurs; car n'ayant plus la force de la fuivre, fa lumiere m'étoit importune. Je fentois en moi-même qu'elle m'eût caufé de cruels remords, fans pouvoir me tirer d'un fi funefte engagement. Ma molleffe & l'afcendant que Protéfilas avoit pris infenfiblement fur moi, me jettoient dans une efpece de défespoir de rentrer jamais en liberté. Je ne voulois ni voir un fi honteux état, ni le laiffer voir aux autres. Vous favez, cher Mentor, la vaine hauteur & la fauffe gloire dans laquelle on éleve les rois ils ne veulent jamais avoir tort. Pour couvrir une faute, il en faut faire cent. Plutôt que d'avouer qu'on s'eit trompé, & que de fe donner la peine de revenir de fon erreur, il faut fe laiffer tromper toute fa vie. Voilà l'état des princes foibles & inappliqués ; c'étoit précisément le mien, lorfqu'il fallut que je partiffe pour le fiege de Troye.

En partant, je laiffai Protéfilas maître des affaires il les conduifoit en mon abfence avec hauteur & inhumanité. Tout le royaume de Crete gémiffoit fous fa tyrannie: mais perfonne n'ofoit me mander l'oppreffion des peuples. On favoit que je craignois de voir la vérité : & que j'abandonnois à la cruauté de Protéfilas tous ceux qui entreprenoient de parler contre lui: mais moins on ofoit éclater, plus le mal étoit violent. Dans la fuite il me contraignit de chaffer le vaillant Mérion, qui m'avoit fuivi avec tant de gloire au fiege de Troye. Il en étoit devenu jaloux, comme de

tous

my difficulties; he made every body tremble at my
power. In short, I could not refolve to part with
kim; and, by maintaining him in his poft, I put ic
out of the power of all honeft men to shew me my
true intereft. From this time there was no freedom
of fpeech in my counfels; truth fled far from me
and error, which paves the way to the downfall of
princes, was a judgment upon me for having facri-
ficed Philocles to Protefilaus's cruel ambition. Even
they, who had moft zeal for my perfon and the good
of the ftate, thought themselves under no obligation
to undeceive me, after fo dreadful an example. I
myfelf, dear Mentor, was afraid left truth should
break through the cloud, and reach even to me, in
fpite of all my flatterers for not having the refolu-
tion to follow it, its light was troublefome to me:
And then I was confcious that it would have occa-
fioned me the bittereft compunction, and not have ref
cued me from fo unhappy a fituation. My effeminacy,
and the afcendant which Protefilaus had infenfibly
gained over me, plunged me into a kind of defpair
of ever recovering my liberty. I was unwilling to
view my shameful condition myfelf, or to fuffer others
to do it. You know, my dear Mentor, the vain pride
and falfe glory in which kings are bred up; they will
never be in the wrong. To hide one fault they com-
mit a hundred. Rather than own that they are mif-
taken, and give themfelves the trouble of rectifying
their errors, they fuffer themselves to be deluded all
their lives long. Such is the condition of weak and
indolent princes, and fuch was mine precifely, when
I was obliged to go to the fiege of Troy.

At my departure I left the management of my affairs to Protefilaus, and he governed in my abfence with pride and inhumanity. The whole kingdom of Crete groaned under his tyranny; but no body durft fend me word of the oppreffion of my people; knowing that I was afraid of feeing the truth, and that I gave up to Protefilaus's cruelty all who ventured to fpeak against him. But the more fearful people were of difcovering the evil, the more violent it grew. He TOM. II. afterwards

B

[ocr errors]

tous ceux que j'aimois, & qui montroient quelque

vertu.

que tous

2

Ce

Il faut que vous fachiez mon cher Mentor › mes malheurs font venus de là. n'eft pas tant la mort de mon fils qui caufa la révolte des Crétois , que la vengeance des Dieux irrités contre mes foibleffes, & la haine des peuples que Protéfilas m'avoit attirée. Quand je répandis le fang de mon fils, les Crétois, laffés d'un gouvernement rigoureux, avoient épuifé toute leur patience & l'horreur de cette derniere action ne fit que montrer au-dehors ce qui étoit depuis long-temps dans le fond des cœurs.

Timocrate me fuivit au fiege de Troye, & rendoit compte fecrétement par fes lettres à Protéfilas de tout ce qu'il pouvoit découvrir. Je fentois bien que j'étois en captivité; mais je tâchois de n'y penfer pas, défefpérant d'y remédier. Quand les Crétois, à mon arrivée, fe révoiterent, Protéfilas & Timocrate furent les premiers à s'enfuir. Ils m'auroient fans doute abandonné, fi je n'euffe été contraint de m'enfuir prefque auffitôt qu'eux. Comprez mon cher Mentor , que les hommes infolens pendant la profpérité font toujours foibles & tremblans dans la difgrace. La tête leur tourne auffitôt que l'autorité abfolue leur échappe. On les voit auffi rampans qu'ils ont été hautains, & c'eft en un moment qu'ils paffent d'une extrémité à l'autre.

[ocr errors]
[ocr errors]

Mentor dit à Idoménée: Mais d'où vient que connoiffant à fonds ces deux méchans hommes, vous les gardez encore auprès de vous, comme je le vois? Je ne fuis pas furpris qu'ils vous aient fuivi, n'ayant rien de meilleur à faire pour leurs intérêts. Je comprens même que vous aviez fait une action généreufe de leur donner un afyle dans votre nouvel établissement; mais pourquoi vous livrer encore à eux après tant de cruelles expériences?

Vous ne favez pas, répondit Idoménée, combien toutes les expériences font inutiles aux princes amollis & inappliqués qui vivent fans réflexion. Ils font mécontens

« AnteriorContinuar »