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mes, qui les tentent de chercher des plaifirs dangereux, & qui les détournent du travail où ils trouveroient tous les biens réels, avec des mœurs pures, dans une pleine liberté. On comprit donc qu'un champ fertile & bien cultivé est le vrai tréfor d'une famille affez fage pour vouloir vivre frugalement, comme fes peres ont vécu. Heureux les Grecs, s'ils étoient demeurés fermes dans ces maximes fi propres à les rendre puiffans, libres, heureux, & dignes de l'être par une folide vertu ! Mais hélas ! ils commencent à admirer les fauffes richeffes, ils négligent peu à peu les vraies & ils dégénerent de cette merveilleufe fimplicité. O mon fils! tu régnéras un jour; alors fouviens toi de ramener les hommes à l'agriculture, d'honorer cet art, de foulager ceux qui s'y appliquent, & de ne fouffrir point que les hommes vivent, ni oififs ni occupés à des arts qui entretiennent le luxe & la molleffe. Ces deux hommes, qui ont été fi fages fur la terre, font ici chéris des Dieux. Remarquez, mon fils, que leur gloire furpaffe autant celle d'Achille & des autres héros qui n'ont excellé que dans les combats, qu'un doux printemps eft au-deffus de l'hiver glacé, & que la lumiere du foleil eft plus éclatante que celle de la lune.

Pendant qu'Arcéfius parloit de la forte, il apperçut que Télémaque avoit toujours les yeux arrêtés du côté d'un petit bois de lauriers, & d'un ruiffeau bordé de violettes, de rofes, de lys, & de plufieurs autres fleurs odoriférantes, dont les vives couleurs reffembloient à celles d'Iris, quand elle defcend du ciel fur la terre, pour annoncer à quelque mortal les ordres des Dieux. C'étoit le grand roi Sésoftris, que Télémaque reconnut dans ce beau lieu; il étoit mille fois plus majestueux qu'il ne l'avoit jamais été fur le trône d'Egypte. Des rayons d'une lumiere douce fortoient de fes yeux, & ceux de Télémaque en étoient éblouis. A le voir, on eût cru qu'il étoit enivré de nectar, tant l'efprit divin l'avoit mis dans un tranfport au-deffus de la raison humaine, pour récompenfer fes vertus.

Télémaque dit à Arcéfius: Je reconnois, ô mon

pere,

only in the imagination of men, which tempt them to purfue dangerous pleafures, and divert them from labour wherein they would find all real bleffings, together with purity of manners and perfect freedom. The Greeks therefore knew that a fertile and wellcultivated field is the real treasure of a family, which is wife enough to chufe to live frugally as their fathers lived. And happy had they been had they remained fteady in maxims fo proper to make them powerful. free, happy, and worthy of being fo by a folid virtue! But alas they begin to admire falfe riches; they by little and little neglect the true, and degenerate from this admirable fimplicity. O my fon, you will one day reign; then remember to bring men back to the practice of agriculture, to honour that art, to encourage thofe who apply themselves to it, and not to fuffer men to live idle, or to be employed in arts which nourish pomp and luxury. These two men, who were fo wife on the earth are here beloved of the Gods. Take notice, my fon, that their glory as much furpaffes that of Achilles and other heroes who excelled only in battle, as the delightful fpring is plea fanter than the icy winter, or as the light of the fun, is brighter than that of the moon.

While Arcefius was talking in this manner, he perceived that Telemachus's eyes were fixed on a little laurel grove, and a river bordered with violets rofes, lillies and feveral other fragant flowers, whofe lively colours refembled those of Iris, when she defcends from heaven to the earth, to declare the commands of the Gods to mortals. The great king Se foftris was in this beautiful grove, and Telemachus knew him again, though he was a thousand times more majestic than he had ever been on the throne of Egypt. Rays of benign light shot from his eyes, and dazzled thofe of Telemachus. When one faw him, one would have thought that he was inebriated with nectar; fo much had the divine spirit raised him above the reach of human reafon as a reward of his virtues.

Telemachus faid to Arcefius, O my father, I per

pere, Séfoftris, ce fage roi d'Egypte, que j'y ai vu il n'y a pas long-temps. Le voilà, répondit Arcéfius; & tu vois, par fon exemple, combien les Dieux font magnifiques à récompenfer les bons rois. Mais il faut que tu faches que toute cette félicité n'eft rien en comparaifon de celle qui lui étoit deftinée, fi une trop grande profpérité ne lui eût fait oublier dans fes guerres les regles de la modération & de la justice. La paffion de rabaiffer l'orgueil & l'infolence des Ty riens, l'engagea à prendre leur ville. Cette conquête lui donna le defir d'en faire d'autres; il fe laiffa féduire par la vaine gloire des conquérans; il fubjugua, ou pour mieux dire, il ravagea toute l'Afie. A fon retour en Egypte, il trouva que fon frere s'étoit emparé de la royauté, & avoit altéré, par un gouver nement injufte, les meilleures loix du pays. Ainfi fes grandes conquêtes ne fervirent qu'à troubler fon royaume. Mais ce qui le rendit plus inexcufable, c'est qu'il fut enivré de la propre gloire. Il fit atteler à fon char les plus fuperbes d'entre les rois qu'il avoit vaincus. Dans la fuite, il reconnut fa faute, & eut honte d'avoir été fi inhumain. Tel fur le fruit de fes victoires. Voilà ce que les conquérans font contre leurs états, & contre eux-mêmes en voulant ufurper ceux de leurs voifins. Voilà ce qui fit décheoir un roi, d'ailleurs fi jufte & si bienfaisant,`& c'est ce qui diminue la gloire que les Dieux lui avoient préparée.

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Ne vois-tu pas cet autre, ô mon fils, dont la blesfure paroit fi éclatante? C'eft un roi de Carie, nommé Dioclides, qui fe dévoua pour fon peuple dans'une bataille, parce que l'oracle avoit dit que dans la guerre des Cariens & des Lyciens, la nation dont le roi périroit, feroit victorieufe.

Confidere cet autre : c'eft un fage législateur, qui, ayant donné à fa nation des loix propres à les rendre bons & heureux, leur fit jurer qu'ils ne violeroient jamais aucune de ces loix pendant fon abfence. Après quoi il partit, s'exila lui-même de fa patrie, & moufut pauvre dans une terre étrangere, pour obliger fon peuple, par ce ferment, à garder à jamais des Joix & utiles.

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ceive Sefoftris, the wife king of Egypt, whom I faw not long fince. That indeed is Sefoftris, replied Arcefius; and you fee by him how bountifully the Gods reward good princes. But you must know that all this happiness is nothing in comparifon of that which was defigned him, if too great a profperity had not made him forget the rules of moderation and juftice. His paffion to lower the pride and infolence of the Tyrians, engaged him to take their city. This conqueft infpired him with a defire of making others; and fuffering himself to be feduced by the vanity of conquerors, he fubdued, or to speak more justly, he ravaged all Afia. At his return to Egypt he found that his brother had feized upon the crown, and had by an unrighteous adminiftration changed the beft laws of the country. Thus did his great conquefts only ferve to imbroil his own kingdom. But what made him more inexcusable, was his being fo intoxicated with wain glory, as to caufe his chariot to be drawn by the proudelt of the kings he had conquered. He was afterwards fenfible of his error, and ashamed of having been fo inhuman. Such was the fruit of his victories, and fuck are the milchiefs which conquerors bring upon themfelves and their kingdoms, by endeavouring to ufurp thofe of their neigbours. This was what fullied the reputation of a prince who was otherwise fo juft and beneficent, and it is this which diminishes the happiness which the Gods had prepared for him,

Doft thou not fee him, my fon, whofe wound ap pears fo glorious? He was a king of Caria, Dioclides by name, who facrificed himself for his people in battle, because the oracle had declared that the nation whofe king should perish, would be victorious in the war between the Carians and the Lycians.

Take notice of that other perfonage alfo: He was a wife legiflator, who having enacted laws which were adapted to make his fubjects virtuous and happy, made them fwear that they would never violate any of them in his abfence. This done, he departed, became a voluntary exile from his country, and died poor in a foreign land, in order to oblige his people by this oath for ever to obferve fuch falutary laws. The

Cet autre que tu vois, eft Eunéfyme, roi des Pyliens, & un des ancêtres du fage Neftor. Dans une pelte qui ravageoit la terre, & qui couvroit de nouvelles ombres les bords de l'Acheron, il demanda aux Dieux d'appaifer leur colere, en payant, par sa mort, pour tant de milliers d'hommes innocens. Les Dieux l'exaucerent, & lui firent trouver ici la vraie royauté dont toutes celles de la terre ne font que de vaines ombres.

Ce vieillard, que tu vois couronné de fleurs, eft le fameux Bélus: il régna en Egypte, & il épousa Anchinoé, fille du Dieu Nilus, qui cache la fource de fes eaux, & qui enrichit les terres qu'il arrofe par fes inondations. Il eut deux fils, Danaus, dont tu fais Phiftoire, & Egyptus, qui donne fon nom à ce beau royaume. Bélus fe croyoit plus riche par l'abondance où il mettoit fon peuple, & par l'amour de fes fujets pour lui, que par tous les tributs qu'il auroit pu leur impofer. Ces hommes, que tu crois morts vivent, mon fils; & c'eft la vie qu'on traîne miférablement fur la terre, qui n'eft qu'une mort: les noms feulement font changés. Plaife aux Dieux de te rendre affez bon pour mériter cette vie heureuse, que rien ne peut plus finir ni troubler! Hâte-toi, il eft temps d'aller chercher ton pere. Avant que de le trouver hélas ! que tu verras répandre de fang! mais quelle gloire t'attend dans les campagnes de l'Hefpérie! Souviens-toi des confeils du fage Mentor; pourvu que tu les fuive, ton nom fera grand parmi tous les peuples & dans tous les fecles.

Il dir; & auffitôt il conduifit Télémaque vers la porte d'yvoire, par où l'on peut fortir du ténébreux empire de Pluton. Télémaque, les larmes aux yeux, le quitta fans pouvoir l'embraffer; & fortant de cesfombres lieux, il retourna en diligence vers le camp des alliés, après avoir rejoint fur le chemin les deux jeunes Crétois qui l'avoient accompagné jufques au près de la caverne, & qui n'efpéroient plus de le revoir.

Fin du dix-neuvieme Livre.

LES

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