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fierté de ne vouloir rien tenir de moi, et d'aspirer à la réputation d'un homme qui est au dessus de tous les honneurs : il ajouta que ce jeune homme qui me parloit si librement sur mes défauts, en parloit aux autres avec la même liberté ; qu'il laissoit assez entendre qu'il ne m'estimoit guère ; et qu'en rabaissant ainsi ma réputation, il vouloit, par l'éclat d'une vertu austère, s'ouvrir le chemin à la royauté.

D'abord je ne pus croire que Philoclès

voulût me détrôner : il y a dans la véritable vertu une candeur et une ingénuité que rien ne peut contrefaire, et à laquelle on ne se méprend point, pourvu qu'on y soit attentif. Mais la fermeté de Philoclès contre mes foiblesses, commençoit à me lasser. Les complaisances de Protésilas, et son industrie inépuisable pour m'inventer de nouveaux plaisirs, me faisoient sentir encore plus impatiemment l'austérité de l'autre.

Cependant Protésilas, ne pouvant souffrir que je ne crusse pas tout ce qu'il me

disoit contre son ennemi, prit le parti de ne m'en parler plus, et de me persuader par quelque chose de plus fort que toutes les paroles. Voici comment il acheva de me tromper. Il me conseilla d'envoyer Philoclès commander les vaisseaux qui devoient attaquer ceux de Carpathie; et, pour m'y déterminer, il me dit: Vous savez que je ne suis pas suspect dans les louanges que je lui donne j'avoue qu'il a du courage et du génie pour la guerre ; il vous servira mieux qu'un autre, et je préfère l'intérêt de votre service à tous mes ressentimens contre lui.

Je fus ravi de trouver cette droiture et cette équité dans le cœur de Protésilas, à qui j'avois confié l'administration de mes plus grandes affaires. Je l'embrassai dans un transport de joie, et me crus trop heureux d'avoir donné toute ma confiance à un homme qui me paroissoit ainsi au dessus de toute passion et de tout intérêt. Mais, hélas ! que les princes sont dignes de compassion! Cet homme me connoissoit mieux

que je ne me connoissois moi-même : il savoit que les rois sont d'ordinaire défians et inappliqués; défians, par l'expérience continuelle qu'ils ont de l'artifice des hommes corrompus dont ils sont environnés ; inappliqués, parce que les plaisirs les entraînent, et qu'ils sont accoutumés à voir des gens chargés de penser pour eux, sans qu'ils en prennent eux-mêmes la peine. Il comprit donc qu'il ne lui seroit pas difficile de me mettre en défiance et en jalousie contre un homme qui ne manqueroit pas de faire de grandes actions, sur-tout l'absence lui donnant une entière facilité de lui tendre des piéges.

Philoclès, en partant, prévit ce qui lui pouvoit arriver. Souvenez-vous, me dit-il, que je ne pourrai plus me défendre; que vous n'écouterez que mon ennemi ; et qu'en vous servant au péril de ma vie, je courrai risque de n'avoir d'autre récompense que votre indignation. Vous vous trompez, lui dis-je Protésilas ne parle point de vous comme vous parlez de lui; il vous loue,

il vous estime; il vous croit digne des plus importans emplois : s'il commençoit à me parler contre vous, il perdroit ma confiance. Ne craignez rien; allez, et ne songez qu'à me bien servir. Il partit, et me laissa dans une étrange situation.

Il faut vous l'avouer, Mentor, je voyois clairement combien il m'étoit nécessaire d'avoir plusieurs hommes que je consultasse; et que rien n'étoit plus mauvais, ni pour ma réputation, ni pour le succès des affaires, que de me livrer à un seul. J'avois éprouvé que les sages conseils de Philoclès m'avoient garanti de plusieurs fautes dangereuses, où la hauteur de Protésilas m'auroit fait tomber ; je sentois bien qu'il y avoit dans Philoclès un fonds de probité et de maximes équitables, qui ne se faisoit point sentir de même dans Protésilas: mais j'avois laissé prendre à Protésilas un certain ton décisif, auquel je ne pouvois presque plus résister. J'étois fatigué de me trouver toujours entre deux hommes que je ne pouvois accorder; et, dans cette lassitude, j'ai

mois mieux, par foiblesse, hasarder quelque chose aux dépens des affaires, et respirer en liberté. Je n'eusse osé me dire à moi-même une si honteuse raison du parti que je venois de prendre; mais cette honteuse raison, que je n'osois développer, ne laissoit pas d'agir secrètement au fond de mon cœur, et d'être le vrai motif de tout ce que je faisois.

Philoclès surprit les ennemis, remporta une pleine victoire, et se hâtoit de revenir pour prévenir les mauvais offices qu'il avoit à craindre mais Protésilas, qui n'avoit pas encore eu le temps de me tromper, lui écrivit que je desirois qu'il fit une descente dans l'île de Carpathie, pour profiter de la victoire. En effet, il m'avoit persuadé que je pourrois facilement faire la conquête de cette île mais il fit en sorte que plusieurs choses nécessaires manquèrent à Philoclès dans cette entreprise, et il l'assujettit à certains ordres qui causèrent divers contretemps dans l'exécution.

Cependant il se servit d'un domestique

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