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s'y manifeste par des intervalles chromatiques, qui ajoutent au vague de la forme le vague de la tonalité, comme dans certains airs de Lulli et certaines élucubrations des compositeurs les plus avancés de la nouvelle Allemagne. Qui sait pourtant de quelle époque lointaine datent ces curieux spécimens de l'art perdu des aborigènes américains? J'ai soumis à mon savant ami M. Ambroise Thomas, ces airs péruviens qui lui ont paru d'une élévation de sentiment extrêmement remarquable. Il a bien voulu les harmoniser, ce qui, certes, n'était pas une entreprise facile, car il fallait donner aux parties accessoires le caractère d'étonnante tristesse, de pittoresque grandiose, de sombre fatalité qui caractérise à un si haut degré la partie principale.

Ce travail délicat, M. Ambroise Thomas l'a fait tel qu'on devait l'attendre du poétique auteur du Songe d'une Nuit d'été et d'Hamlet. L'habit sonore dont le compositeur a revètu la chaste nudité des thèmes péruviens n'est point un habit d'emprunt décroché au hasard de l'harmonie dans le grand vestiaire du contre-point par une main lourde et mal inspirée. Ici chaque note de l'accompagnement est un accent nouveau qui prête aux accents de la mélodie-mère une couleur plus vive sans en altérer le sens expressif. Le timbre, qui joue un rôle si important dans l'effet de ces airs, n'a point été négligé. En les écrivant pour trois saxophones, M. Ambroise Thomas a justement pensé que cet instrument, dont la voix est si suave, si sympathique, si émue, pouvait mieux qu'aucun autre rendre la pensée pathétique de ces étranges mélopées.

Les voici. Pour en comprendre tout le charme poignant, toute la poésie originale et la pénétrante expression, que l'auditeur ne perde pas de vue les circonstances dans lesquelles ces chants se produisent, la nuit, sur les cimes arides de la Sierra, au milieu des plus majestueuses beautés de la nature, avec le souvenir navrant des malheurs irréparables d'un peuple supprimé du globe, et dont seuls quelques rares survivants attestent l'ancienne existence, comme les épaves vivantes du plus désolant des naufrages humains.

EUX CHANTS DE L'ANCIEN PÉROU

JOUÉS PAR LES INDIENS SUR LA QUENA, LEUR INSTRUMENT NATIONAL HARMONISÉS POUR TROIS SAXOPHONES

Par AMBROISE THOMAS, Membre de l'Institut.

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Une trompette de l'âge de bronze.

Le plus ancien comme aussi le plus curieux des instruments envoyés à l'Exposition est sans contredit une trompette de l'âge de bronze que j'avais vue au musée de Copenhague et que j'ai mentionnée dans l'ouvrage que j'ai écrit sur le Danemark. Adolphe Sax en a fait faire une copie exacte dans ses ateliers, et cette copie prendra sa bonne place dans le rare musée instrumental de cet artiste inventeur. Naturellement la trompette de Copenhague était exposée dans la galerie consacrée à l'histoire du travail. Elle se trouvait classée parmi les quelques produits de l'époque anté-historique nommée l'âge de bronze.

L'âge de bronze est cette période perdue dans les siècles, dont nous ne connaissons l'existence que par un certain nombre d'objets trouvés dans les fouilles, et qui pourtant a succédé à une période plus ancienne encore l'âge de pierre.

Mais quest-ce que l'àge de pierre? Pour la grande majorité des savants, pour M. Boucher de Perthe, en tête, c'est l'enfance de l'humanité, l'époque primitive où l'homme primitif n'avait aucune industrie et n'employait aux usages grossiers commandés par la conservation de son existence que des outils en silex, en obsidienne, en jade, en serpentine, en diorite. Un jeune savant, qui est aussi un brillant écrivain, M. Denizet, a combattu très-énergiquement cette hypothèse. Pour lui, l'âge de pierre est une période très-avancée de l'humanité, au contraire, marquée par la chute d'un océan d'aérolithes. Il nomme cette période la période chaotique, et prétend prouver que les sciences avant ce cataclysme étaient de beaucoup plus avancées qu'elles ne le sont aujourd'hui. Il dit que les outils qu'on croit appartenir à nos ancêtres out échoué sur la terre avec des myriades de pierres provenant d'un monde brisé, quelque chose comme une seconde lune écroulée à la suite d'un choc, ou une portion de notre lune. Et il cite à l'appui de son opinion. des légendes celtiques, brahmines, indiennes, étrusques, égyptiennes, qui paraissent lui donner raison. Voyez plutôt :

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Légendes égyptiennes. Les historiens arabes ou coptes, Armélius, Abumazard et Murtadi, prétendent avoir découvert dans des papyrus trouvés sur des momies les deux récits qui suivent :

En ce temps-là,―deux ou trois siècles avant la ou les catastrophes célestes

1. Le Danemark tel qu'il est.

Un fort volume grand in-48. Paris.

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qui dévastèrent l'astre lunaire de tout ce qui ne faisait pas partie de son ossature pour en encombrer la surface terrestre, en ce temps-là, Sauryd, fils de Sahaloc, roi d'Égypte, songea qu'il voyait un vaste corps céleste choir sur la terre en y répandant les ténèbres et faire en tombant des bruits horribles, épouvantables; puis les populations décimées de cette contrée ne savoir par où nj ni comment se sauver de la chute des pierres et de l'eau chaude et puante qui tombait en même temps; enfin il les voyait resserrées entre deux chaînes de montagnes qui s'épanchaient l'une vers l'autre. Ces événements devaient se passer quand le Coeur du Lion serait arrivé à la première minute de la Tête du Cancer. Le roi Sauryd ordonna la construction des pyramides.

Dans le même temps que le roi Sauryd songeait, un pontife supérieur, nommé Achmon, songeait aussi qu'il regardait par son télescope un miroir fait de toutes sortes de minéraux et placé sur une tour d'airain au milieu de l'antique ville d'Emsos (ancienne Masre) en Égypte. Il voyait le ciel, s'abaissant au-dessous de sa situation ordinaire, s'approcher fort du sommet de la tour, et couvrir la terre en l'environnant comme ferait un vaste bassin renversé; puis des corps en mille figures se mêlaient parmi les hommes. Alors, une éclaircie s'étant faite, un soleil brillant se montrait; mais le ciel ne prenait la situation normale qu'il a conservée depuis qu'après que celui-ci eut fait trois cents tours, c'est-à-dire un peu moins d'une année ou d'une révolution terrestre entière.

D'après les anciens prêtres de l'Égypte, Hérodote dit que les pyramides s'enfoncent autant par-dessous terre que leur sommet s'élève au-dessus. Quoique les générations successives, postérieures à l'ensevelissement d'une portion des pyramides par la chute du ciel, n'aient pas eu la curiosité de vérifier le fait, on peut se faire une idée de la masse effroyable de terre qui est venue surcharger et engloutir le sol africain. Les pyramides étaient donc des refuges construits en prévision de la catastrophe sidéro-terrestre, refuges à l'intérieur dans d'immenses chambres superposées et qu'on n'a pas encore découvertes, refuges à l'extérieur sur les gradins. Elles furent le travail de plusieurs générations d'un grand peuple, très-civilisé, très-savant, et qui ne ressemble en rien à la population actuelle de l'Égypte, ni à celle dont Hérodote croyait pouvoir porter le chiffre à six millions d'habitants, chiffre très-exagéré assurément.

« L'ancienne terre d'Égypte, avant son engloutissement, devait nourrir plusieurs centaines de millions d'habitants, et posséder des machines et des outils d'une grande perfection, pour avoir pu mener à fin des travaux aussi gigantesques que les quinze ou vingt pyramides plus ou moins enfouies qui y existent encore. Car, d'après le rapport des savants de l'expédition d'Égypte, la seule pyramide de Chéops, si on voulait l'entreprendre aujourd'hui, emploierait plusieurs centaines de mille ouvriers, plusieurs millions de mètres cubes de pierres taillées, et plusieurs milliards de francs. L'Europe tout entière, malgré ses ressources de toutes sortes, n'oserait aujourd'hui entreprendre un travail semblable aux seules pyramides. Et encore n'oublions pas qu'étant en contre-bas d'une profondeur égale à leur hauteur découverte, leur dimension cubique prend des proportions telles qu'on n'ose y songer.

Les sciences, avant la période chaotique, étaient donc de beaucoup plus avancées qu'elles ne le sont aujourd'hui. Et quand on considère qu'après six mille années elles se trouvent encore à l'état d'enfance, on peut préjuger du laps de temps inouï qui a dù s'écouler pour les amener au point où elles étaient arrivées à l'époque de la construction des pyramides; on peut également se faire une idée de la perfection de l'outillage mécanique par les immenses constructions, actuellement souterraines, de l'ancienne Thébaïde, de ses syringes, palais enterrés à plusieurs étages, décorés de sculptures et de peintures. Je ne võis toujours là rien qui, même de très-loin, rappelle le ridicule åge des haches en silex. ›

Il est toujours fort intéressant-et c'est quelquefois fort plaisant-de voir des savants aux prises avec l'inconnu. Vous souvenez-vous de l'historiette suivante, qui n'a que quelques années de date? Une inscription carthaginoise fut donnée à traduire. Le général Duvivier n'hésita pas à fournir cette version:

«Ici repose Amilcar, père d'Annibal, comme lui cher

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De son côté, M. de Sauley- depuis sénateur n'avait pas non plus hésité à traduire cette inscription de la manière suivante :

La prêtresse d'Isis a élevé ce monument au Printemps,

« aux Grâces et aux Roses qui charment

a et fécondent le monde ».

On comprend que les deux savants ne purent se mettre d'accord. Alors survint l'Académie des inscriptions et belles-lettres qui, contrainte de nommer un expert, donna cette traduction :

a Cet autel est dédié au dieu des vents et des tempêtes,

afin d'apaiser ses colères ».

Jugez si le public rit de l'aventure!

Quoi qu'il en soit de l'âge de pierre, de l'âge de bronze et de l'âge de fer, la trompette de bronze du musée de Copenhague est aussi curieuse au point de vue archéologique qu'au point de vue musical. Infiniment olus ancien que les trompettes de Jéricho, ce tuba fondu en deux pièces nesure sept pieds de longueur, et produit un son grave, plein, sonore,

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