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croit que de semblables entreprises sont impossibles en France, et qu'il faut nécessairement, pour que l'administration d'un théâtre convenablement monté ne soit pas en perte, que le prix des entrées atteigne, pour la grande majorité des places, un chiffre élevé. Ce qu'il faut à une administration théâtrale, c'est une recette suffisante, que cette recette soit perçue en gros sous ou en louis d'or. Or, voulez-vous que la recette en gros sous soit suffisante agrandissez vos salles et diminuez le prix des places. Ce n'est pas plus difficile que cela. Jamais les spectateurs ne manqueront pour voir de belles œuvres jouées et chantées par de bons artistes, quand vous aurez rendu les entrées des théàtres accessibles au plus grand nombre. Suivez en cela l'exemple des Italiens et des Américains du Nord. On sait ce que sont les théâtres en Italie, où les plus pauvres vont à l'Opéra. En Amérique, les salles de concert sont bâties pour recevoir de trois à quatre mille personnes. Les salles de spectacle sont conçues dans le même esprit de vulgarisation artistique, et partout le prix des places est mis à la portée de tous. On a construit à Philadelphie un théâtre lyrique auquel on a donné le nom de The American Academy of music. Ce théâtre a 140 pieds de large sur la façade, et il s'élargit graduellement jusqu'à la scène qui mesure 150 pieds. Le nombre des places est de 3,414, confortablement et galamment disposées pour recevoir la crinoline et les volants des ladies. Eh bien! le prix des entrées à ce magnifique théâtre est, pour une grande partie des places, fixé à 2 fr. 50 c. Les impresarii y perdent-ils ? Non, ils y gagnent, au contraire, et beaucoup, malgré des frais considéra

bles.

CERCLE INTERNATIONAL.

Concerts de J. Strauss et Bilse.

Quoi qu'il en soit, et quelles que soient dans l'avenir les modifications qu'on apportera, relativement aux concerts et à tous les genres d'auditions musicales, nous sommes heureux de constater le succès mérité de l'orchestre allemand dirigé par MM. J. Strauss, le fils du célèbre Strauss, de Vienne, et Bilse qui, au Cercle international, ont donné de nombreuses séances remarquables et très-suivies. J. Strauss dirigeait l'orchestre pour les pièces légères, et Bilse conduisait l'exécution des œuvres sérieuses, telles que symphonies, ouvertures, etc.

Je ne crois pas qu'il soit possible de pousser plus loin la perfection,

quant à l'interprétation des valses et de toute la musique qui demande un rhythme tranché et une accentuation vive, vigoureusement imprimée.

Nous connaissions et nous admirions depuis longtemps les valses si pleines de poésie, si gracieusement entraînantes du compositeur viennois; il nous restait à les entendre exécuter par ceux-là mêmes qui en ont la tradition et pour ainsi dire le génie. C'est le beau idéal du genre.

Quant à M. Bilse, chef de la musique du roi de Prusse, il nous a paru un directeur d'orchestre plus méthodique que véritablement inspiré. Il est habile, à coup sûr, très-habile même; mais il manque, à notre avis, d'élan communicatif, de ce je ne sais quoi qui se sent et ne se définit pas, et que Voltaire appelait le diable au corps. Aussi ses musiciens, participant des qualités et des défauts de leur chef, jouaient-ils correctement, avec précision, mais sans entraînement, sans passion. En outre, les mouvements de quelques symphonies ne nous ont pas paru être parfaitement observés. Si M. Bilse a pu assister aux concerts du Conservatoire donnés par cette célèbre compagnie à l'occasion même de l'Exposition universelle, il se sera sans doute convaincu que, sous le rapport du style, notre orchestre est supérieur à tous les orchestres d'Europe.

Les séances de M. Bilse, au Cercle international, nous ont prouvé une fois de plus l'infériorité des clarinettistes, des hautboïstes et des flùtistes allemands sur nos exécutants similaires français. Ces derniers ont une meilleure qualité de son et phrasent avec un sentiment plus juste.

En revanche, l'orchestre allemand nous a présenté d'excellents cornistes et de remarquables trombonistes. En somme, et malgré les restrictions que nous venons de présenter, nous le répétons, le succès des symphonistes allemands n'a pas été douteux, et ils méritaient grandement l'accueil qui leur a été fait par le public et par la presse. Plus parfaits dans l'interprétation des œuvres de Schumann que dans celles de Beethoven, ils ont aussi avec Schumann obtenu les plus vifs applaudissements. Nous citerons la Rêverie, qui est une page exquise, une des perles de leur répertoire, et qu'ils exécutent de manière à satisfaire les plus . difficiles.

JARDIN CHINOIS.

Concerts de musique chinoise.

Un grand pavillon chinois avait été construit au Champ-de-Mars pour recevoir les objets exposés du Céleste-Empire, et aussi pour donner aux Européens le spectacle d'opéras chinois, chantés et joués par des Chinois, avec un orchestre du plus pur Orient.

Le commissaire de l'exposition du Céleste-Empire, M. le marquis d'Hervey de Saint-Denys, a sans doute fait tous ses efforts pour réaliser cette seconde partie de son programme, mais il n'a pu y parvenir.

C'est fàcheux, car un pareil spectacle eût certainement excité la curiosité générale, et peut-être n'eût-il pas été sans utilité pour l'art.

On peut se former une idée des représentations lyriques des fils du Soleil, en lisant l'intéressante relation de M. Auguste Mimart, qui a fait tout dernièrement le voyage de la Chine, et a tout vu et tout examiné par lui-même.

Notre voyageur constate que les peuples civilisés ou sauvages de la Chine et de l'Océanie, passionnés pour la musique, n'ont fait quelques progrès que depuis l'apparition des Anglais et des Espagnols dans ces parties du monde. Il nous apprend que, dans les occasions solennelles, l'orchestre chinois se compose d'une trentaine de musiciens.

Le chef d'orchestre joue le REBAB, petit violon à deux cordes que l'on fait vibrer avec un archet (instrument de la Perse).

Le SOULING, flûte de cinq pieds, où quatre personnes jouent ensemble (instrument chinois).

« Le SERDOUM, petite flùte chinoise.

« L'ANGKLOUNG, petit instrument fait avec des bambous coupés comme des tuyaux d'orgue. Ils sont attachés à une latte, et les sons ressemblent à celui du hautbois (instrument chinois).

« Le KLOUNG, petite musette d'Europe, importée par les Portugais.

« Le KACHAPI, qui ressemble au luth.

Le CHALEMPOUNG, qui possède quinze cordes et se joue comme la harpe.

Le TRANWANGSA, qui ressemble à la guitare et se joue de même.

Le TRANGSA, qui possède quarante cordes métalliques, exactement comme une table de piano carré. Des chevalets sont placés sous les cordes et subdivisés de distance en distance: ce qui fait que la même corde donne trois ou quatre notes par le moyen des chevalets distancés. Il se joue avec de petits bâtons en bambou (bon pour les facteurs de pianos).

Le GAMBANG-KAYOU, qui est formé de plusieurs barres de bois sonore, qui different graduellement de longueur.

On les place sur une caisse de bois et l'on joue de cet instrument avec un marteau. (Chinois.)

Le STACCADO, qui est formé de plusieurs barres de métal. On place ces touches de métal sur une caisse de bois creusé. Les touches diffèrent graduellement de longueur. On joue de cet instrument avec un marteau en métal. (Chinois.)

Les GONGS, instruments de percussion, composés d'un alliage de cuivre, de zinc et d'étain. Il y en a de 4 à 5 pieds de diamètre. Le maillet est recouvert de gomme élastique. On suspend les gongs à un riche cadre.

⚫ Cet instrument, placé dans un orchestre de France ou d'Italie, serait du plus grand effet. On ne peut se faire une idée de la force et de la beauté des sons qu'on en tire (instruments chinois).

‹ Le KROMO, le BOUANG, sont de la famille des gongs. Ils se composent d'une suite de vases arrangés dans un châssis. Le son de cet instrument est clair. (Instruments chinois).

• Le GONGKANG, de la famille du Gong, instrument dont le son imite le bruit lointain du tonnerre.

Il est composé de deux énormes bassins de métal allié d'argent et de cuivre, et dont la partie évasée qui a jusqu'à plusieurs pieds de diamètre sur six pouces seulement de profondeur, est recouverte d'une peau tendue, sur laquelle le musicien frappe à coups redoublés. Ces espèces de gongs sont soutenus par des montants en fer. (Instruments chinois).

Le KROMOGOUANG. Sur une caisse faite d'un morceau de bois creusé, sont rangés côte à côte, soutenus chacun par quatre lanières de cuir, dix-huit vases de cuivre jaune de différentes grandeurs.

Le plus grand de ces vases, bombé en dessous, et n'ayant que 8 pouces de diamètre à sa partie inférieure, s'élargit en montant jusqu'à 1 pied de hauteur environ, et se termine par une demi-sphère. Les autres vases ont la même forme et vont en diminuant graduellement jusqu'au plus petit. Le musicien frappe ces espèces de globes sur le sommet, avec une baguette dont le bout est semblable à celui qui sert pour la grosse caisse. On en obtient des sons charmants et qui seraient d'une grande utilité dans nos orchestres.»

Voilà qui est fort bien, et si j'en juge par comparaison avec nos orchestres européens, ce n'est pas la variété des timbres qui manque aux célestes symphonies du plus céleste des empires.

Mais les instruments que nous venons de passer en revue ne sont pas les seuls dont les Chinois fassent usage, ainsi que nous le verrons plus loin en consultant le Père Amyot. N'anticipons pas, et apprenons encore de M. Auguste Minart, où en est la musique instrumentale dans ce vieil et curieux État. Notre voyageur a eu l'avantage d'assister à des représentations solennelles de symphonies chinoises, dont les thèmes lui parurent assez piquants, ainsi qu'à des ballets et à des pièces drama

tiques exécutés par des hommes masqués. Il s'est aussi diverti aux prouesses des Guignols chinois, car il y a en Chine, comme en Italie, des représentations de marionnettes (poupassi) dont les sujets sont ordinairement puisés dans différentes aventures du pays.

On pourrait difficilement, paraît-il, s'imaginer le vacarme que font les orchestres chinois, lorsqu'on annonce un grand personnage auquel on veut faire honneur.

Le théâtre de Pékin est situé dans une vaste cour, en face de la principale pagode; sa construction est assez remarquable, en comparaison des nombreux édifices de ce genre qu'on rencontre partout en Chine.

Vingt-quatre grandes colonnes de granit soutiennent une vaste plate-forme carrée, surmontée de pavillons richement ornés, et appuyés sur des péristyles en bois vernissé; un large escalier en pierre derrière l'édifice, conduit à la plate-forme, où l'on trouve d'abord un foyer pour les acteurs; deux portes latérales donnent accès sur la scène : l'une est pour les entrées, l'autre pour les sorties.

Le directeur du théâtre ne néglige rien pour donner de l'éclat à ses représentations; on admire surtout de riches costumes et un éclairage de deux mille lanternes chinoises, d'un grand effet.

La soirée à laquelle j'ai assisté, écrit M. Minart, était d'une beauté et d'une fraîcheur ravissantes. Je goûtais en compagnie d'un ami le plaisir de la nature, quand un roulement sur un énorme tambour, placé à un angle de la scène, donna le signal d'ouvrir la grande porte du théâtre. En une minute, toute la population avait envahi la cour immense, destinée à servir de parterre aux spectateurs; quelques minutes après, un grand coup de tam-tam, avec roulement de gros tambour, donnait le signal de la rentrée des musiciens, au nombre de cinquante. Deuxième coup de tam-tam, troisième roulement du gros tambour.

« L'orchestre aussitôt fit entendre une symphonie que l'on nomme symphonie des démons. Ce titre provient du nom d'une trappe placée sur le devant de la scène, par où sortent les acteurs qui viennent annoncer eux-mêmes les personnages qu'ils représentent et même les personnages surnaturels.

Les spectateurs sont toujours en plein air, chacun s'arrange comme il peut sur les places, dans les rues, au haut des arbres et des toits; il n'y a que les grands dignitaires pour qui les places soient réservées. Vous devez penser quel désordre et quelle confusion règnent dans ces nombreuses assemblées; on peut y causer, boire, manger et fumer. Les marchands de comestibles ne cessent de circuler, pendant que les acteurs et les actrices déploient leur talent devant tout

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