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qui a rang de lieutenant-colonel. Aux simples chefs de musique, l'Empereur n'a donné que la médaille militaire.

Il est regrettable que M. Zimmermann n'ait pas pu, à cause de son grade dans l'armée, participer à la distribution des croix. La Légiond'Honneur eût été bien placée sur la poitrine de cet artiste, qui a conquis toutes les sympathies et mérité tous les suffrages.

Émile Jonas ne pouvait être oublié dans les faveurs impériales, et je suis heureux d'appeler aujourd'hui mon ancien camarade de classe au Conservatoire avec Laurent de Rillé, Victor Massé, Aimé Maillard et plusieurs autres notabilités musicales, monsieur le chevalier.

Voilà une croix bien méritée et qui sera dignement portée. Laurent de Rillé est aussi décoré, et depuis deux ans, déjà. Victor Massé de même, et depuis plus longtemps encore, Maillard aussi. Ils sont tous élèves de M. Elwart, ancien grand prix de Rome, — auteur distingué de nombreux ouvrages, dont quelques-uns ont été exécutés aux concerts du Conservatoire,-auteur de traités didactiques qui ont rendu d'incontestables services à l'enseignement, - professeur au Conservatoire depuis trente-cinq ans, — président d'un grand nombre de concours orphéoniques,-auteur du Salut impérial, belle inspiration exécutée à l'Opéra par ces mêmes musiques étrangères réunies. M. Elwart est-il lui-même décoré ?

Pas encore !

On raconte que Napoléon Ier, passant une revue de sa garde, appela un sous-officier qu'il voulait décorer. Un vieux soldat du même nom, croyant qu'il s'agissait de lui, rompit les rangs, et s'approcha de l'Em

pereur.

-Maladroit dit au vieux soldat un officier qui se trouvait à ses côtés, il ne s'agit pas de vous!

Le vieux soldat, confus et rouge comme un coquelicot, allait se retirer en tremblant, quand l'Empereur, qui savait lire sur les physionomies et juger les hommes à leur mine, crut le reconnaître. Il le questionna, et apprit qu'il avait fait toutes les campagnes du Consulat et de l'Empire, et qu'il s'était distingué par plusieurs actions d'éclat.

Napoléon comprit qu'il devait une large réparation à ce vaillant

oublié.

Séance tenante, il le fit passer par tous les grades jusqu'à celui de capitaine et lui attacha la croix sur la poitrine.

Quand tant d'élèves de M. Elwart sont l'objet de distinctions flatteuses,

le maître, vieux et vaillant soldat de l'harmonie, sera-t-il encore longtemps oublié ?...

RÉCEPTION A VERSAILLES DES MUSIQUES DES

CHEVALIERS-GARDES DE

L'EMPEREUR DE RUSSIE ET DE LA FANFARE ADOLPHE SAX.

Toutes les musiques étrangères avaient quitté la capitale. La musique russe seule nous restait, et le dernier souvenir qu'elle devait emporter de notre pays est le souvenir d'une hospitalité empressée et pleine de cordialité qui lui a été offerte par la ville de Versailles.

Celui qui signe ce livre n'ayant pas été étranger à cette réception, il ne croit pas devoir mieux faire que de laisser parler les journaux de la localité. Voici le compte rendu qu'ils ont fait de cette charmante visite musicale et militaire :

( Dimanche dernier, 4 août, notre ville, habituée aux bonnes fortunes, a eu celle de recevoir et d'entendre la musique de la Garde impériale russe et la fanfare de M. Adolphe Sax, premiers grands prix au concours international des musiques militaires et civiles.

Cette fête de l'harmonie, qui a réussi comme toutes les choses improvisées qui réussissent bien, c'est-à-dire mieux que les projets les plus savamment combinés, nous la devons à l'initiative de M. Oscar Comettant, un des membres du comité, avec les généraux Mellinet, Rose et Lichtin, et MM. Georges Kastner, de Viliers et Émile Jonas, comité nommé par M. le Ministre d'État pour l'organisation des concours et des festivals qui ont fait de Paris, dans ces derniers temps, la capitale de la musique universelle.

Quelques affiches apposées le samedi sur les murs de Versailles et dans les gares annonçaient la réception au Parc de la musique russe et de la Société philharmonique de M. Sax. Cette publicité si bornée avait suffi pour attirer dans notre ville un immense concours de dilettanti.

• A midi sont arrivés, accompagnés du colonel russe Tolmatschef et de M. Oscar Comettant, les chevaliers-gardes reçus à la gare par le président des Fêtes versaillaises, et plusieurs commissaires délégués, dont on ne saurait trop louer la courtoisie. Une haie de curieux s'est formée sur leur passage, et chacun admirait l'air distingué et la belle tenue de ces soldats-artistes.

Ils se sont dirigés sur le château, dont ils ont visité les galeries de tableaux avec un intéret visible. Les sujets où figuraient des personnages russes, tels que l'entrevue d'Alexandre avec Napoléon Ier, le siége de Sébastopol, etc., étaient naturellement pour eux l'objet d'une attention particulière.

Après cette visite, les musiciens étrangers se sont gracieusement rendus au Parc, munis de leurs instruments, et c'est avec peine qu'ils ont pu, tant le public était nombreux, se frayer un passage à travers l'élégante société de la ville, jusqu'à l'endroit préparé pour le concert.

Déjà M. Aldolphe Sax s'y trouvait avec ses quinze dont la réputation est européenne.

Au premier rang des auditeurs nous avons remarqué M. le Préfet de Seineet-Oise, M. le Maire de Versailles, nos officiers généraux, M. le général Paté, commandant du palais, Madame Boselli, Madame Ploix et une foule d'auties dames de la ville.

Les chevaliers-gardes, sous la conduite de leur habile chef (décoré ce même jour par l'Empereur), ont débuté par l'hymne russe, accueilli par les bravos de toute l'assemblée. Ensuite ils ont joué avec une grande supériorité des airs du Prophète, groupés avec talent et entendus avec infiniment de plaisir.

« Deux morceaux,la Marche des géants, et un caprice sur le Carnaval de Venise, ont fait ressortir les qualités hors ligne de la fanfare civile de M. Adolphe Sax, conduite par lui-même. Justesse, ensemble, belle sonorité, style irréprochable, virtuosité sans égale, elle a tout, cette incomparable fanfare, créée par le célèbre facteur d'instruments il y a plusieurs années déjà, et couronnée d'enthousiasme au concours international de musiques civiles.

Les derniers échos du saxophone de M. Mayer étaient à peine éteints, que, sur un signe de son chef, la musique russe s'est remise en place pour nous faire entendre, cette fois, la savante et caractéristique ouverture de l'opéra national de Glinka, la Vie pour le Tzar.

Ce concert, tout de grâce et de séduction, a été terminé par la marche du régiment des chevaliers-gardes,composée de motifs empruntés à la Dame blanche. Quel plus beau triomphe pour l'œuvre de Boieldieu que cette naturalisation!

On l'a dit avec raison, la musique est la langue universelle, et les accents de l'âme n'ont pas de nationalité; leur patrie est partout.

Les chevaliers-gardes ainsi que les habiles instrumentistes de la fanfare Adolphe Sax étaient venus à Versailles pour visiter nos châteaux et nos parcs. Ils n'ont pas voulu quitter notre ville sans se faire entendre, et nous leur en exprimons ici toute notre reconnaissance. Le plaisir qu'ils nous ont fait est de ceux qui laissent une profonde et durable impression.

Sous la conduite des commissaires délégués, les chevaliers-gardes ont terminé leur promenade, et à six heures tous les invités prenaient place à une table servie dans l'ancienne salle du conseil général de la préfecture, à l'hôtel des Réservoirs; ce banquet était offert par les autorités de la ville et la société des Fêtes.

« A la table d'honneur nous avons remarqué, faisant les fonctions de président, M. le général de division Paté, commandant du palais. A ses côtés M. le colonel russe et Adolphe Sax. A la droite du président de la commission des Fêtes versaillaises se trouvait M. Oscar Comettant.

La tenue des musiciens russes pendant tout le dîner nous a donné la plus haute idée de la discipline de l'armée du czar. On dit quelquefois sages comme des demoiselles; des demoiselles eussent certainement fait plus de bruit que ces militaires, fils adoptifs de la Muse des sons, et qui ne rompent le silence que pour charmer par les plus harmonieux accents.

Au dessert, M. Jaime, président des Fêtes versaillaises, après avoir porté la santé de l'Empereur de Russie, de l'Empereur des Français, de l'Impératrice et du Prince Impérial, a prononcé les paroles suivantes :

« Messieurs,

« Nous devons vous remercier sincèrement d'avoir accepté notre cordiale invitation. Votre passage à Versailles sera pour nous un des meilleurs souvenirs de l'Exposition universelle. Ainsi que celle de Paris, notre société a pu apprécier vos talents distingués.

« Ces nobles luttes des beaux-arts et de l'industrie sont les utiles combats de la paix. L'art que vous professez est pour les hommes le plus sûr et le plus agréable moyen de s'entendre.

Au nom de la ville de Versailles et de la société des Fêtes,

« Je porte un toast en l'honneur de la musique impériale russe et de son digne et honorable colonel, à qui nous offrons tous nos sentiments de gratitude;

«A M. Adolphe Sax, l'éminent artiste, et aux habiles exécutants qui forment sa belle fanfare;

« A M. Oscar Comettant, membre de la commission du concours international; nous lui devons l'intéressante visite qui nous a été faite et le très-vif plaisir que nous en avons éprouvé ;

« A M. le général de division Paté, qui a bien voulu se joindre à nous, et qui a fait les honneurs de la résidence impériale avec sa grâce accoutumée.

«Que ne puis-je encore vous exprimer mes sentiments! A mon âge, Monsieur le colonel, il est une crainte qui trouble les joies les plus pures. Cette crainte, c'est de ne pas revoir les personnes qu'on a été si heureux de rencontrer. Je ne vous reverrai peut-être plus, colonel, mais je ne vous oublierai jamais. »

M. Oscar Comettant a pris ensuite la parole en ces termes :

« Messieurs,

« Après l'accueil si cordial et si empressé fait aux musiques militaires étrangères par la population parisienne, je me sens très-flatté, en ma qualité de Versaillais d'adoption de constater que notre ville sera le dernier souvenir emporté de France par le corps de musique russe.

« En effet, Messieurs, le colonel Tolmatscheff, qui nous a fait l'honneur d'accepter notre hospitalité d'un jour avec son harmonieuse légion, partira dans quelques heures pour SaintPétersbourg.

« Qu'il reçoive donc nos adieux avec nos remerciements.

«La distance est longue, il est vrai, de la ville de Louis XIV à celle de Pierre le Grand; mais la sympathie rapproche les distances et les souvenirs fixent le temps.

« Je bois, colonel, à votre santé, à celle de votre chef de musique et de tous vos soldatsartistes.

« Heureux soldats, ceux-là, dont les armes guérissent au lieu de blesser, et qui ne touchent le chœur que pour lui donner une vie nouvelle.

Un de nos génies littéraires, Voltaire, a pu écrire ce vers devenu fameux :

C'est du Nord, aujourd'hui, que nous vient la lumière.

« Témoin de la grande lutte artistique dans laquelle la musique russe a si brillamment triomphé, et des applaudissements avec lesquels l'élégante société de Versailles vient d'accueillir au Parc ces mêmes chevaliers-gardes, j'ai acquis le droit, en imitant notre grand écrivain, de dire à mon tour :

C'est du Nord, aujourd'hui, que nous vient l'harmonie.

« Messieurs, buvons à ce bel art, à cet art enchanteur de la musique! Puisse-t-elle préparer l'avénement de l'harmonie des sentiments, la concorde universelle! >>

Enfin M. le colonel Tolmatscheff a répondu par les paroles suivantes :

<< MESSIEURS,

<«< Après avoir admiré Paris où nous avons été si bien accueillis, votre gracieuse invitation nous a permis d'apprécier les splendeurs de Versailles, en même temps qu'elle nous a donné la preuve que partout en France les étrangers reçoivent la plus cordiale hospitalité.

« Nous vous en remercions, Messieurs, et nous vous prions de croire à notre sincère gratitude.

« Après-demain nous retournerons vers notre lointaine patrie, où nous emportons de précieux souvenirs de votre belle France, à laquelle nous ne pouvons mieux adresser nos adieux qu'en portant la santé de l'Empereur, de l'Impératrice et du Prince Impérial.»

A neuf heures tous nos invités étrangers reprenaient le train de Paris, laissant de leur trop court passage dans notre ville le plus délicat et le plus charmant souvenir. »

LES CONCERTS A L'EXPOSITION.

Ce chapitre a pour objet de vous entretenir des concerts, petits on grands, dont l'Exposition, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, a été le théâtre retentissant. Mais avant d'en arriver aux concerts allemands du cirque international sous la direction successive de MM. Strauss et Bilsse, des concerts hongrois à la brasserie Fanta, — des concerts chinois, au jardin chinois, - des concerts tunisiens, des concerts algériens, - des concerts de musique militaire dans le parc, des concerts dans l'intérieur de l'exposition (essai des instruments) et même du carillon de Buffalo, qu'il me soit permis de présenter quelques considérations sur les concerts en général.

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Quelques mots sur les concerts et les auditeurs.

Les concerts sont assurément, de toutes les distractions admises par la haute société, l'une des plus nobles et des plus charmantes, sinon la plus noble et la plus charmante. Dans les concerts, à la vérité, le plaisir des yeux est beaucoup moindre qu'au théâtre, mais le plaisir du cœur y est plus vif, peut-être.

Il faut le dire à la louange de la société parisienne, en se rendant à l'invitation des artistes si nombreux, français et étrangers, qui chaque hiver donnent concert à Paris, elle cède moins à l'influence de la mode qu'au plaisir véritable d'entendre de la musique, tout en protégeant les

musiciens.

En effet, la mode, depuis quelque temps déjà, n'est pas au concert,

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