Imágenes de página
PDF
ePub

CONCOURS EUROPÉEN DE MUSIQUES MILITAIRES.

Ce concours a eu lieu le dimanche 21 juillet, et cette date restera à jamais mémorable dans l'histoire de l'art.

On la citera aussi comme un jour glorieux parmi les plus glorieux de cette grande manifestation de toutes les forces vives des peuples associés par le travail et le génie, qui a nom l'Exposition universelle de 1867.

Tranchons le mot, c'est le plus grand succès de l'Exposition.

Au reste, la Commission impériale pouvait seule se sentir assez forte et assez influente pour réunir les corps de musique militaire européens dans ce tournoi sans pareil, et qui très-probablement ne se renouvellera jamais.

Je suis, je l'avoue franchement, très-heureux et très-fier d'avoir fait partie, avec les généraux Mellinet, Rose et Lichtlin, avec MM. Georges Kastner, Émile Jonas, de Villiers et Paulus, du comité de l'exécution musicale qui a conçu l'idée de ce concours, et l'a conduit à un si brillant résultat. L'entreprise était hardie et présentait de sérieuses difficultés; car à la question purement artistique venaient se joindre des considérations gouvernementales d'un ordre élevé. La diplomatie s'en est mêlée, et les corps de musique, en costume, n'ont pu quitter leur pays pour se rendre sur le turf harmonieux de nos Champs-Élysées, qu'avec l'agrément de leurs souverains.

Chacun a senti qu'il y avait dans cette lutte harmonique si noble et d'un caractère si moral et si solennel, autre chose qu'un simple concert. Il y avait la fibre patriotique qui allait vibrer glorieuse et ardente avec le son des instruments.

Il y avait pour les simples amateurs à juger enfin quelle était la meilleure musique militaire d'Europe, comme artistes, comme composition instrumentale, comme chef d'orchestre, comme arrangement de morceaux, comme instruments de musique. L'affluence des étrangers était considérable, et naturellement chacun faisait des souhaits pour le triomphe de la musique de son pays. C'était là le public le moins impartial qu'on pùt réunir, et dans cette circonstance la tâche du jury devenait difficile et fort scabreuse.

Huit jours d'avance, les deux ou trois millions de Français et d'étrangers qui grouillaient en ce moment dans Paris avaient été avertis de cette passe d'armes musicale par des affiches colossales placées sur

tous les murs, au nombre d'environ vingt mille. En voici le fac-simile qu'il nous a paru curieux de conserver.

PALAIS DE L'INDUSTRIE (CHAMPS-ÉLYSÉES).

Dimanche 21 juillet 1867, à une heure

CONCOURS EUROPÉEN DE MUSIQUES MILITAIRES.

MEMBRES DU JURY INTERNATIONAL:

MM. le général MELLINET, sénateur, président; Georges KASTNER, Ambroise THOMAS, membre de l'Institut; BAMBERG, E. BOULANGER, DE BULOW, Jules COHEN, Oscar COMETTANT, DACHAUER, Félicien DAVID, Léo DELIbes, Elwart, De FuertÈS, GRISAR, HANSLICK, DE LAJARTE, NICOLAÏ, ROMERO Y ANDIA, général ROSE, SEMET, E. DE VILLIERS; Émile JONAS, Secrétaire.

[blocks in formation]

Autriche. - Régiment du duc de Wurtemberg, no 73. Chef, M. ZIMMERMANN.
Ouverture de Guillaume Tell. ROSSINI.

Grand-duché de Bade. - Grenadiers de la garde. Chef, M. BURG.

Finale de Loreley. MENDELSSOHN.

Bavière. — 1er régiment d'infanterie. Chef, M. SIEBENKAES.

-

[blocks in formation]

Fantaisie sur Guillaume Tell. ROSSINI.

Espagne. 1er régiment du génie. Chef, M. MAIMO. .

Fantaisie sur des airs nationaux. GEVAERT.

France. Guides de la garde impériale. Chef, M. CRESSONNOIS.

Fantaisie sur le Carnaval de Venise. COLIN.

Garde de Paris. Chef, M. PAULUS.

Chœur et Marche des Fiançailles de Lohengrin. WAGNER.

[merged small][ocr errors][merged small]

76

54

54

59

64

6

62

56

56

Prusse.

[ocr errors]

2e régiment de la garde royale et Grenadiers de la garde, no 2 (régiment de l'empereur François) réunis. Chef, M. Wieprecht.

90

[blocks in formation]

Avant neuf heures du matin, les curieux formaient la queue à plusieurs des portes du palais.

A dix heures, toutes les places qui avaient pu être retenues à l'avance étaient enlevées.

La police, insuffisante pour contenir la foule sans cesse grossissante, invita en vain le public à se retirer, en lui disant que toutes les places étaient prises. Le public reste sourd, il veut pénétrer dans l'intérieur à tout risque, et de nouvelles queues se forment à toutes les portes. Cela devient inquiétant.

Enfin midi sonne, et le palais est ouvert à la foule, qui pénètre comme une inondation dans le vaste monument. Les tourniquets fonctionnent comme jamais, et les pièces de 2 fr., de 1 fr. et de 3 fr. tombent comme grèle dans toutes les caisses remplies, puis vidées, puis remplies de nouveau. De mémoire de caissier on n'avait vu plus beau spectacle. On a trouvé au total 60,000 francs, ce qui est un beau denier, il faut en convenir, lorsqu'il s'agit de la recette d'un concert en France.

Il est arrivé qu'un certain nombre de personnes munies de billets pris à l'avance n'ont pu, malgré tous leurs efforts, forcer la masse des curieux qui voulaient pénétrer dans ce monument de l'industrie, transformé en une comète à cent queues. De là de bruyantes protestations, quelques chapeaux enfoncés et de vifs colloques entre les détenteurs de billets et les agents de police impuissants à remonter le courant des flots humains.

On n'a pas l'idée d'une si formidable réunion. Les auditeurs, dans tout l'intérieur de la nef, étaient littéralement les uns sur les autres. Accablées de fatigue, après être restées debout plusieurs heures, quelques

milliers de personnes se sont assises par terre, à l'orientale, et les fraîches plates-bandes de fleurs qui formaient dans la salle une ceinture odoriférante et multicolore ont été ravagées par les piétinements, comme si plusieurs escadrons de cavalerie y avaient passé. On voyait d'intrépides auditeurs accrochés aux draperies de velours, après les avoir fendues avec leur couteau pour y passer leur tête.

Partout où s'offrait un point d'appui quelconque, des curieux étaient postés dans les positions les plus extravagantes.

Les chats ne sont pas plus adroits de leurs pattes que ne l'étaient de leurs pieds et de leurs mains certains de ces mélomanes.

Le dégât en fleurs et en tapisseries a été évalué à 10,000 fr. Mais en retranchant de 60,000 fr. 10,000 fr., il reste encore 50,000 fr., et la somme, suivant l'expression de Balzac, n'est pas déshono

rante.

Sauf les trophées représentant les dix groupes de l'Exposition et le tròne impérial, toutes les autres décorations avaient été conservées, comme elles étaient le 1er juillet, jour de la distribution solennelle des récompenses.

Un moment on a pu maintenir libre l'estrade du trône, réservée pour les souverains et les princes étrangers qui, disait-on, devaient assister à cette séance, et qui ne s'y sont pas montrés. Mais la foule sans cesse grossissante, après avoir successivement envahi toutes les parties restées libres, se précipita, pour ne pas étouffer, jusque sur l'estrade impériale, qui en un instant fut couverte comme le pont d'un navire en détresse par une lame tempêtueuse. Les souverains seraient arrivés alors, qu'on aurait eu beaucoup de peine à leur trouver un modeste siége là ou ailleurs.

Le choix d'un emplacement pour l'établissement de l'orchestre était des plus importants dans ce Palais de l'Industrie, que je soupçonne être aussi celui de la nymphe Écho. Émile Jonas, chargé de ce soin, ne s'est décidé pour l'extrémité de la partie médiane de la grande nef du côté de la place de la Concorde, qu'après divers essais et sur l'avis d'un habile acousticien. A cette place, on entendait bien encore quelques répercussions quand les instruments à vent éclataient dans les fortissimo; toutefois, c'était supportable. En tout cas, on ne pouvait mieux faire. Malheureusement le public, qui n'était pas dans la confidence de ces essais et ignorait absolument l'impossibilité où l'on se trouvait de

placer l'orchestre plus favorablement, aurait voulu qu'on l'installat au milieu.

Mais n'anticipons pas sur les événements, et suivons-les à peu près dans l'ordre où ils se sont produits.

A midi trois quarts, le jury prend place en face de la plate-forme affectée aux musiques, à l'extrémité sud du grand axe.

A une heure, les corps de musique, en grande tenue, descendent en bon ordre le grand escalier sud-ouest, et viennent se ranger au milieu de la nef.

Ce défilé, qui dure quelques minutes, est solennel et saisissant. D'immenses clameurs de bienvenue, accompagnées des applaudissements de cinquante mille mains,— un peuple, — accueillent chacun de ces corps harmonieux.

Le tirage au sort avait décidé de l'ordre dans lequel ils devaient se faire entendre. Le premier qui se présente est le corps des grenadiers de la garde du grand-duché de Bade.

[blocks in formation]
« AnteriorContinuar »