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pas, qui devaient être comme des branles. C'est ainsi que j'en juge par les chœurs des Grecs, dont nous connaissons le détail, et qui les avaient imités des Orientaux. Les intermèdes des comédies espagnoles y ont beaucoup de rapport. Comme donc les tragédies antiques sont fort défigurées sur le papier, parce que nous n'y voyons ni l'appareil de la scène, ni les grandes troupes d'acteurs, ni les concerts et les danses; ou comme les récits des plus belles passions, et les paroles des airs ne sont rien hors de la représentation, ainsi, il ne faut pas douter que les cantiques des Hébreux ne soient très différens dans nos livres de ce qu'ils étaient dans la bouche des musiciens, accompagnés de toute la magnificence des fêtes ; et pour en concevoir la beauté il faudrait nous placer dans le temple de Salomon, au milieu de cette multitude innombrable de peuple qui en remplissait les cours et les galeries; voir l'autel chargé de victimes, et tout autour les prêtres revêtus de leurs habits blancs, et les, Lévites distribués en plusieurs troupes, les uns jouant des instrumens, les autres chantant et dansant avec modestie et gravité : peut-être pourrait-on par cette voie en deviner quelque chose. De tout cela il ne nous reste que les paroles, qui, pour ceux qui n'entendent que le latin, ne sont qu'une traduction, et encore, à l'égard des psaumes, une traduction de traduction, et fort littérale. Que l'on traduise mot à mot en notre langue les odes d'Horace, elles perdront toute

leur grâce. L'argent n'a point de couleur, CrispeSalluste ennemi de la lame cachée dans les terres avares, s'il n'est éclairci par un usage modéré. J'ai pris ce couplet au hasard; prenons tout le premier de ses œuvres Mécénas descendu d'aïeux rois, ó mon appui, ó mon doux ornement! il y en a qui se plaisent d'avoir amassé en courant la poussière olympique, et que la borne évitée par les roues brûlantes, et la palme illustre, élève aux dieux maîtres des Lerres. Comme je n'ai point choisi ces endroits, je crois que tout autre fera à peu près le même effet. Toutefois je n'ai point suivi la transposition latine, parce que le français ne la peut souffrir. Il y a quelques paroles que je pouvais rendre littéralement. Il n'y a nulle couleur à l'argent, pour l'argent n'a point de couleur ; et dans l'autre, ma garnison, pour mon appui. Et il devrait y avoir plus de rapport entre le français et le latin, dont il descend, qu'entre le grec ou le latin, et l'hébreu, avec lequel ils n'ont aucune liaison que nous connaissions. Mais cette traduction est faite immédiatement de latin en français. Pour bien exprimer celle des psaumes il faut traduire quelque strophe de Pindare sur la traduction latine; en voici une des plus faciles : Hymne régnante sur le luth, quel dieu, quel héros, quel homme enverronsnous? Certainement Pise est à Jupiter, et Hercule a institué le combat olympique, les prémices du butin de la guerre : mais c'est Théron qu'il faut chan

ter de la voix, à cause de sa course dans un char à quatre chevaux vainqueurs, ce juste hote, appui d'Agrigente, fleur dans ce très-illustre gouverneur de villes. Il y a plusieurs endroits de Pindare qui, traduits ainsi, n'ont aucun sens.

Ce que je dis ici de la beauté de l'original ne doit pas diminuer le respect que nous avons pour notre version Vulgate : c'est un malheur nécessaire, comme les exemples que je viens d'apporrer le font voir, que les poésies perdent beaucoup de leur beauté dans la traduction. Les Septante traduisant l'Ecriture en grec l'ont tournée le plus littéralement qu'ils ont pu, craignant que la moindre paraphrase n'en altérât le sens. S'ils n'en avaient usé ainsi dans les psaumes, nous n'y verrions ni les figures, ni les expressions de l'original; et il serait à craindre que nous ne vissions les pensées de l'interprète, plutôt que celles du prophète. Comme les premiers chrétiens de Rome, et des autres pays où l'on parlait latin, ne savaient point l'hébreu, ils furent obligés de traduire l'Ecriture sur le grec des Septante; et on sait que toute l'église se servait de cette version avant que celle de S. Jérôme fût reçue, c'est à dire pendant plus de six cents ans; de sorte que tout le peuple chrétien étant accoutumé depuis si long-tems à chanter les psaumes suivant cette ancienne version, l'église catholique, qui, même dans les choses extérieures, ne change que le moins qu'il est possible, a retenu cette version faite sur le

grec. Il est vrai qu'elle est, en beaucoup d'endroits, différente du texte hébreu tel qu'on le lit aujourd'hui, et même tel qu'il était du tems de S. Jérôme, et qu'il y a quelques passages plus obscurs et plus difficiles, suivant notre version; mais il y en a aussi où l'on voit que les Septante ont suivi un meilleur exemplaire, ou ont mieux lu; et, en quelque lieu que ce soit, notre version ne présente aucun sens qui ne soit bon et catholique, ce qui suffit. Nous ne devons pas être plus difficiles que tant de saints qui, depuis la naissance de l'église, ont puisé dans cette version, telle que nous l'avons, les sujets de leurs oraisons et des instructions du peuple. L'église trouve bon néanmoins qu'il y ait des particuliers qui consultent les différens textes, pour faire voir tous les sens et toutes les beautés des psaumes, comme a si bien fait entre autres le cardinal Bellarmin. Quant aux autres ouvrages poétiques de l'Ecriture, nous les avons tous de la version de S. Jérôme, faite sur l'hébreu.

Au reste, il ne faut pas s'étonner si nous sommes si éloignés du goût de l'antiquité sur le sujet de la poésie; c'est qu'en effet, pour ne nous point flatter, toute notre poésie moderne est fort misérable en comparaisons. Elle a commencé par les troubadours provençaux, et les conteurs, jongleurs et menestrels, dont Fauchet nous a donné l'histoire. C'étaient des débauchés vagabonds, qui, lorsque les hostilités universelles commencèrent à cesser, et la barbarie à di

minuer, c'est à dire vers le douzième siècle, commencèrent à courir les cours des princes, pour chanter à leurs festins dans les jours de grande assemblée. Comme ils avaient affaire à des seigneurs très-ignorans, et qu'ils l'étaient fort eux-mêmes, tous leurs sujets n'étaient que des fables impertinentes et monstrueuses, ou des histoires si défigurées, qu'elles n'étaient pas connaissables, ou des contes médisans des clercs et des moines; et, comme ils ne travaillaient que par intérêt, ils ne parlaient que de ce qui pouvait réjouir leurs auditeurs, c'est à dire de combats et d'amours, mais d'amours brutales et sottes, comme celles des gens grossiers, outre que ces auditeurs étaient eux-mêmes de fort malhonnêtes gens. Pour ce qui est de l'élocution, ils furent les premiers qui osèrent écrire en langues vulgaires; car elles avaient passé jusque là pour jargons si absurdes, que l'on avait eu peur d'en profaner le papier. De là vient, comme l'on sait, le nom de romans français et de romans espagnols. Il nous reste assez de ces vieilles chansons pour prouver tout ce que j'ai dit; et le roman de la Rose, qui a duré le plus long-tems, est un des plus pernicieux livres pour la morale, des plus sales et des plus impies qui aient été écrits dans les derniers siècles aussi de tout tems les gens vertueux, les saints évêques, les bons religieux, ont crié hautement contre les poésies profanes, contre les jongleurs et les bouffons des princes; et de là est venue la guerre que

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