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vante et actuelle par le Christ ne demeure pas aussi souverainement nécessaire. Étendez encore un peu cette liberté comme fait Pélage, et le besoin de la Rédemption surnaturelle a cessé. Voilà bien, aux yeux de Jansénius et de Saint-Cyran, quel fut le point capital, ce qu'ils prévirent être près de sortir de ce christianisme, selon eux relâché, et trop concédant à la nature humaine. Ils prévirent qu'on était en voie d'arriver par un chemin plus ou moins couvert,... où donc? à l'inutilité du Christ-Dieu. A ce mot, ils poussèrent un cri d'alarme et d'effroi. Le lendemain du seizième siècle, et cent ans avant les débuts de Montesquieu et de Voltaire, ils devinèrent toute l'audace de l'avenir; ils voulurent, par un remède absolu, couper court et net à tout ce qui tendait à la mitigation sur ce dogme du Christ-Sauveur. Il semblait qu'ils lisaient dans les définitions de la liberté et de la conscience par le moine Pélage les futures pages éloquentes du Vicaire Savoyard, et qu'ils les voulaient abolir.

Théologiquement donc, quelques-uns des principaux de Port-Royal, trois au moins, Jansénius et Saint-Cyran par leur pénétration purement théologique, et Pascal par son génie, eurent le sentiment profond et lucide du point capital où serait bientôt le grand danger; ils eurent ce sentiment plus qu'aucun autre peut-être de leur temps ou des années subséquentes, plus que Bossuet lui-même, un peu calme dans sa sublimité. Quant à Fénelon, qui d'ailleurs vint plus tard, loin de s'effrayer de ces choses, il les favorisait plutôt en les embellissant des lumières diffuses de sa charité. Il apercevait, il regardait déjà en beaucoup d'endroits le dix-huitième siècle, et sans le maudire.

II. Non plus au point de vue théologique, mais à celui de la constitution civile de la religion, Port

Royal, bien qu'il n'ait pas eu à s'expliquer formellement sur ce point, tendait évidemment à une forme plus libre, et où l'autorité pourtant s'exercerait. Les évêques, les curés, les directeurs surtout, une fois choisis, auraient formé une sorte de pouvoir moyen, à peu près indépendant de Rome, prenant conseil habituel dans la prière, et s'exerçant en supérieur vénéré sur les fidèles. On peut dire que la famille des Arnauld porta, dans le cadre de Port-Royal, beaucoup de l'esprit et du culte domestique, de cet esprit du patriciat de la haute bourgeoisie qui était propre à certaines dynasties parlementaires du seizième siècle (les Bignon, Sainte-Marthe, etc.). La religion qu'ils adop-7 tèrent à Port-Royal, et que Saint-Cyran leur exprima, était (civilement, politiquement parlant, et sinon d'intention, du moins d'instinct et de fait) l'essai anticipé d'une sorte de tiers-état supérieur, se gouvernant luimême dans l'Église, une religion, non plus romaine, non plus aristocratique et de cour, non plus dévotieuse à la façon du petit peuple, mais plus libre des vaines images, des cérémonies ou splendides ou petites, et plus libre aussi, au temporel, en face de l'autorité; une religion sobre, austère, indépendante, qui eût fondé véritablement une réforme gallicane. Ce qu'on a entendu par ce mot ne portait que sur des réserves de discipline et sur une jurisprudence, une procédure j sorbonnique, en quelque sorte extérieure. Le Jansénisme, lui, cherchait une base essentielle et spirituelle à ce que les Gallicans (plus prudemment sans doute) n'ont pris que par le dehors, par les maximes coutumières et par les précédents. L'illusion fut de croire qu'on pouvait continuer d'exister dans Rome en substituant un centre si différent. Richelieu et Louis XIV sentirent, le premier plus longuement et nettement,

l'autre d'une vue plus restreinte, mais non moins ennemie, la hardiesse de cet essai, et n'omirent rien pour le ruiner. On a dit qu'au seizième siècle le Protestantisme en France fut une tentative de l'aristocratie, ou du moins de la petite noblesse, qui se montrait contraire en cela à la royauté de saint Louis et à la foi populaire on peut dire qu'au dix-septième siècle la tentative de Saint-Cyran et des Arnauld fut un second acte, une reprise à un étage moindre, mais aussi suivie et prononcée, d'organisation religieuse pour la classe moyenne élevée, la classe parlementaire, celle qui, sous la Ligue, était plus ou moins du parti des politiques. Port-Royal fut l'entreprise religieuse de l'aristocratie de la classe moyenne en France. Il aurait voulu édifier, resserrer et régulariser ce qui était à l'état de bon sens religieux et de simple pratique dans cette classe. Louis XIV ni Richelieu, on le conçoit, n'en voulurent rien; et cette classe même, bien qu'en gros assez disposée, ne s'y serait jamais prêtée jusqu'au bout, trop mondaine déjà à sa manière et trop dans le siècle pour le ton chrétien sur lequel le prenait Saint-Cyran. Le Jansénisme parlementaire du dix-huitième siècle n'est plus Port-Royal et n'y tient que par l'hostilité contre les Jésuites. La première entreprise était dès lors depuis longtemps et à jamais manquée. A la fin du dix-huitième siècle, quand on entama révolutionnairement la réforme civile du Clergé, quelques jansénistes essayèrent de se présenter; mais leur mesure n'était plus possible; la Constitution civile du Clergé ne la représente qu'infidèlement, et ne peut passer elle-même que pour un accident de l'attaque commençante tout fut vite emporté au delà par le débordement de grandes eaux.

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Nous venons de dire en somme ce qu'a été la

vraie tendance politique de Port-Royal: car pour l'autre prétention politique qui lui a tant été reprochée de son vivant, pour cette ambition positive et tracassière qui aurait consisté à s'entendre avec les frondeurs, avec les adversaires du pouvoir et de la royauté d'alors, ç'a été, durant tout ce temps-là, une calomnie pure aux mains des ennemis. Depuis, ç'a été chez plusieurs une erreur accréditée. Petitot, dans un remarquable et spécieux travail sur Port-Royal (en tête des Mémoires d'Arnauld d'Andilly), a repris, il y a quelques années, cette thèse, pour la démontrer en détail; et, à l'intention secrète, à la vivacité amère qu'il y a mise, on peut oser affirmer qu'il en a refait une calomnie1. Nous aurons, pour le réfuter, à insister souvent et beaucoup,

1. On lisait à cet endroit dans la première édition : « Rien n'est dangereux et cruel comme les transfuges; et de cet auteur, d'ailleurs estimable, mais sorti du Jansénisme et si acharné contre lui, on aurait presque droit de dire par vengeance, de répéter avec Racine, avec le grand poëte de Port-Royal, parlant du transfuge sacrilége de Sion :

Ce cloître l'importune, et son impiété
Voudrait anéantir le Dieu qu'il a quitté.

M. Th. Foisset, qui est de Dijon comme Petitot, a cru devoir contester et repousser pour son compatriote cette qualification de transfuge, qui ferait supposer que Petitot avait été élevé et nourri dans les principes du Jansénisme. Cela, en effet, n'est pas. Je rédarii ma pensée à ce qu'elle a de vrai et d'incontestable. M. Petiot entra dans l'Université avec et par MM. Gueneau de Mussy et kendu, qui avaient grand crédit auprès de M. de Fontanes et qui nenaient, on le sait, au Jansénisme. Ce n'était pas sans doute ut à fait pour les choquer qu'il donna ou redonna en 1810 une tion de la Grammaire de Port-Royal avec un Discours préliLaire si favorable à la littérature des doctes solitaires. Plus tard, temps ayant changé, il changea de méthode, il crut devoir later les Jésuites et ce qu'on appelait la Congrégation en attaquant ces mêmes hommes. Voilà pourquoi je l'ai dit transfuge.

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ç'a été trop dire, il en subsiste au moins quelque chose. Au este, l'opinion de Petitot, qui pouvait encore compter en 1837, 'est plus d'aucun poids au jourd'hui.

à expliquer comment Port-Royal se trouva naturellement et insensiblement lié avec tous les héros et les héroïnes, tous les débris de la Fronde, sans en être le moins du monde comme eux. Cela, raconte-t-on, faisait bien rire le cardinal de Retz et madame de Longueville, qui étaient, certes, bons juges en matière de conspirations et de complots, quand ils entendaient ́accuser Arnauld, le naïf et le bouillant, d'être un conspirateur. Selon nous, l'accusation d'intrigue et de cabale politique qu'on a intentée confusément, tant aux religieuses qu'aux solitaires de Port-Royal, n'est donc qu'une de ces opinions qu'on se fait en gros et d'homde loin sur certains partis, sur certains groupes mes en histoire, une de ces préventions pour lesquelles il y a peut-être des prétextes suffisants, mais pas de cause fondée, et qui peuvent donner à rire de près à ceux qui savent bien les objets et les circonstances. Pourtant il faut convenir qu'auprès d'esprits déjà prévenus, il y avait plus d'un prétexte assez vraisemblable au soupçon. Il existait alors d'autres Jansénistes, et de moins scrupuleux, que les hommes mêmes de Port-Royal. Et puis, reconnaissons-le encore, les Jansénistes, accusés sans cesse d'un système d'opposition politique en même temps que religieuse, le prirent peu à peu et l'adoptèrent par suite même de cette accusation. On a remarqué que bien des prédictions, chez les oracles de l'Antiquité, ne se sont vérifiées que parce qu'elles avaient été faites ; de même bien des imputations et accusations provocantes créent elles-miş. à la longue, le grief qu'elles ont d'abord supposé. On trouverait même qu'il en est une raison proforide dans la doctrine de l'épreuve : tout homme qui n'a pas évité un mal, a pu commencer par en être accusé lorsqu'il en était innocent encore, pour en être tenté. Il

mes,

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