Imágenes de página
PDF
ePub

grand' fête. Quand toutes ces fêtes et ces bien venues furent passées, chacun lui alla montrer et complaindre ses dommages et ses méchéances, au mieux qu'il put, et toute la destruction que le roi Édouard et les Anglois avoient fait en son pays. Le jeune roi David d'Écosse eut grand deuil et grand' pitié, quand il vit ainsi son pays détruit et ses gens ainsi complaindre; aussi madame la reine sa femme qui en pleura assez. Quand le roi eut toutes ouïes les complaintes des uns et des autres, il les réconforta au mieux qu'il put; et dit qu'il s'en vengeroit, ou perdroit le remenant (reste), ou il mourroit en la peine. Puis eut conseil tel qu'il envoya messages devers tous ses amis loin et près, en priant et requérant humblement que chacun fut appareillé pour lui aider à ce besoin.

de

A ce mandement vint le comte d'Orkney, un grand prince et puissant, et avoit à femme la soeur du roi. Cil (celui-ci) y vint à (avec) grand' puissance gens d'armes, et plusieurs autres barons et chevaliers de Suède, de Norwège et de Danemarck, les uns par amour, les autres par soudées (solde). Tant en y vint d'un côté et d'un autre qu'ils furent bien en nombre; quand tous furent venus entour la cité de Saint Jean (Perth) en Écosse, aujour que le roi les avoit mandés, soixante mille hommes à pied et sur haquenées, et bien trois mille armures de fer, chevaliers et écuyers, parmi les seigneurs et ceux du pays d'Écosse. Quand tous furent assemblés et appareillés, ils s'émurent pour aller exillier (ravager) ce qu'ils pourroient du royaume d'Angleterre; car

la trève étoit expirée et les quatre mois accomplis et plus ("); et bien disoient qu'ils se combattroient au roi qui tant d'ennuis et de dommages leur avoit fait. Si se partirent de la ville de Saint Jean (Perth) en Écosse moult ordonnément, et vinrent ce premier jour gésir (coucher) à Dunfermline; et puis passèrent lendemain un petit bras de mer emprès Dunfermline ("). Quand ils furent tout outre, ils cheminèrent à (avec) grand exploit, et passèrent dessous Édimbourg; et puis toute l'Écosse, et par de-lez (du côté) le fort châtel de Roxburgh qui se tenoit Anglois; mais point ne l'assaillirent; car ils ne vouloient mie faire blesser leurs gens ni alouer (dépenser) leur artillerie; car ils ne savoient quel besoin ils en auroient, pourtant (attendu) qu'ils espéroient un grand fait à faire ains (avant) leur retour. Après passèrent-ils assez près de la cité de Berwick, dont messire Édouard de Balliol (3) étoit capitaine et souverain; et puis cheminèrent outre sans point assaillir, et entrèrent au royaume de Northumberland, et vinrent sur la rivière de Tyne, ardant (brûlant) et exillant (ravageant) le pays; et firent tant par leurs journées qu'ils vinrent devant Neuf-chastel (Newcastle) qui siéd sur la rivière de

(1) Cette erreur est la suite de celle qui a été relevée dans une des remarques sur le chapitre précédent. La trève n'étoit point expirée, et il n'y avoit vraisemblablement que très peu de jours qu'elle étoit conclue, quand David Bruce arriva; mais elle étoit ainsi annullé de droit par son retour, à moins qu'il ne la confirmât. J. A. B.

(2) C'est sans doute à l'endroit qu'on appelle Queensferry. J. A. B. (3) C'est celui que le roi d'Angleterre reconnoissoit pour roi d'É,

cosse.

Tyne. Là se logea le roi David et tout son ost (armée) cette nuit, pour savoir et voir s'il y pourroit de rien exploiter. Quand ce vint au matin, au point du jour, aucuns compagnons gentils hommes de là environ, qui étoient dedans la ville, se partirent par une porte paisiblement pour émouvoir (attaquer) l'ost; et étoient bien deux cents et plus, hardis et entreprenants; puis se férirent à l'un des côtés de l'ost droitement au logis du comte de Moray, qui s'armoit d'argent à trois oreilliers de gueules; et le trouvèrent en son lit. Si le prirent, et tuèrent grand❜plenté (quantité) de ses gens, ainçois (avant) que l'ost fut éveillé ni estourmi (assemblé), et gagnèrent grand' plenté (quantité) d'avoir; puis s'en retournèrent en la ville baudement (hardiment) et à grand'joie, et livrèrent le comte de Moray au châtelain messire Jean de Neufville (Neville), qui en fit grand'fête ().

Quand ceux de l'ost furent estourmis (assemblés) et armés, et surent l'aventure, ils coururent comme tous forcenés jusques aux barrières de la ville, et firent un grand assaut, qui dura moult longuement; mais peu leur valut: ainçois (mais) perdirent assez de leurs gens; car en la ville avoit grand'foison de bonnes gens d'armes, qui bien et sagement se défendirent; par quoi il convint les assaillants retourner à leur grand'perte.

(1) Il fut ensuite échangé pour le comte de Salisbury, fait prisonnier par les François près de Lille. Les François ne voulurent relâcher Salisbury qu'à condition qu'il feroit serment de ne jamais porter les armes contre la France, et Édouard III consentit le 20 mai 1342 à cette stipulation extraordinaire. J. A. B.

CHAPITRE CLXI.

COMMENT LE ROI D'ÉCOSSE PRIT LA CITÉ DE DURHAM ET FUT TOUTE ARSE (BRULÉE), ET HOMMES ET FEM

MES ET PETITS ENFANTS TOUS MIS A MORT.

QUAND UAND le roi David et son conseil virent que le demeurer là endroit ne leur pouvoit porter point de profit ni d'honneur, ils se partirent de là, et entrèrent au pays de l'évêché de Durham: si l'ardirent (brûlèrent) et gâtèrent tout. Puis se trairent (rendirent) devantla cité de Durham et l'assiégèrent; et y firent plusieurs beaux assauts, comme gens forcenés, pourtant (attendu) qu'ils avoient perdu le comte de Moray; et ils savoient bien qu'il avoit en la cité grand avoir assemblé; car tout le pays d'entour y étoit affui (enfui). Si sc pénoient d'assaillir chacun jour plus aigrement; et faisoit le dit roi d'Écosse faire instruments et engins (machines) pour venir assaillir jusques aux murs. Quand ils furent départis de devant le Neuf-châtel (Newcastle), messire Jean de Neufville (Neville), châtelain pour le temps, et souverain de Neuf-châtel (Newcastle), se partit de nuit, monté sur fleur de coursier, et éloigna (se tint loin) les Écossois; car il savoit les adresses et les refuites du pays, pour ce qu'il en étoit; et fit tant que dedans cinq jours il vint à Chertesey (1) où le

(1) Dans le comté de Surrey, près de la Tamise, à dix ou douze lieues au dessus de Londres. J. D.

FROISSART. T. II.

4

roi Anglois se tenoit adonc, et lui conta et montra comment le roi d'Écosse, à (avec) grand' puissance, étoit entré en son pays, et ardoit (brûloit) etexilloit (ravageoit) tout devant lui; et l'avoit laissé devant la cité de Durham.

De ces nouvelles fut le roi Anglois tout courroucé. Si mit tantôt messages en œuvre, et les envoya partout, et manda à toutes ses gens, chevaliers et écuyers, et autres gens dont il se pouvoit aider, dessus l'âge de quinze ans et pardessous l'âge de soixante ans, que nul ne s'excusât, ains (mais) vinssent, ses lettres vues et son mandement ouï, tantôt devers lui sur les marches du Northumberland, pour aider à défendre son royaume que les Écossois détruisoient. Adonc s'avancèrent comtes, barons, chevaliers et écuyers et communes de bonnes villes, et se hâtèrent durement pour obéir au mandement du roi leur seigneur; et se mirent à voie et de grand' volonté par devers Berwick; et mêmement le roi se partit tout premièrement et n'attendit nullui (personne), tant avoit grand' hâte: mais toujours lui croissoient gens de tous côtés. Entrementes (pendant) que ce roi se traioit (rendoit) vers la cité de Berwick, et que chacun le suivoit qui mieux pouvoit, le roi d'Ecosse fit si durement assaillir la cité de Durham, par instruments et engins (machines) qu'il avoit faits, que ceux de la cité ne la purent garantir ni défendre qu'elle ne fut prise par force, et toute robée (pillée) et arse (brûlée), et toutes manières de gens mis à mort sans mercy. Hommes et femmes, prêtres et moines et chanoines

« AnteriorContinuar »