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LES

CHRONIQUES

DE

JEAN FROISSART.

SUITE DU LIVRE PREMIER.

CHAPITRE CXLVII.

COMMENT LE DUC DE BRETAGNE MOURUT SANS HOIR MALE, ET COMMENT LE COMTE DE MONTFORT FUT REÇU A NANTES A DUC ET A SEIGNEUR

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A SAVOIR (2) est que quand les trèves furent accordées et scellées devant la cité de Tournay, tous les seigneurs et toutes manières de gens se délogèrent d'une part et d'autre. Si s'en ralla chacun en sa contrée. Leducde Bretagne qui avoit été en l'ost, droit là devant Tournay, avec le roi de France, plus grossement et plus étoffément que nul des autres princes, s'en retourna vers son pays en intention d'y revenir: mais il ne put, car une maladie le prit sur le

(1)Tous les manuscrits qui divisent le premier volume de Froissart en plusieurs livres, commencent ici le second. J. D.

(2) Les imprimés abrégent considérablement ce chapitre et ometfent tout ce que dit l'auteur des démarches qu'il a faites et des soins qu'il s'est donnés pour s'instruire des affaires de Bretagne. J.D.

FROISSART. T. II.

I

chemin; dont il le convint aliter et mourir, dont ce fut dommage; car grands guerres et grands destructions de villes et de châteaux en avinrent entre les gens nobles et non nobles de son pays. Et pour chacun mieux informer pourquoi tous ces maux avinrent, j'en conterai aucune partie, ainsi que je sais, et que j'en ai enquis au pays mêmement, où j'ai été et conversé pour en mieux savoir la vérité, et à ceux aussi qui ont là été ou je n'ai mie été, et qui ont vu et su ce que je n'ai mie pu voir et concevoir.

Ceduc de Bretagne, quand il trépassa de ce siècle, n'avoit nuls enfants, ni n'eut oncques de la duchesse sa femme, ni n'avoit en espérance d'en avoir. Si avoit un frère de par son père qui avoit été, que on ap, peloit le comte de Montfort (*), qui vivoit adonc et avoit cil (celui-ci) à femme la sœur du comte Louis de Flandre. Ce duc de Bretagne avoit eu un autre frère germain de père et de mère, qui trépassé étoit (3). Si en étoit demeurée une jeune fille, laquelle le dit duc son oncle avoit mariée à messire Charles de Blois, mainsné (puîné) fils du comte Guy de Blois et de la sœur du roi Philippe de France, qui adonc

(1) Jean III dit le Bon, mourut le 30 avril 1341 à Caen, d'où son corps fut transporté aux Carmes de Ploermel. ( Hist. de Bret. par D. Morice, T. 1. P. 2.45. ) J. D.

(2) Jean comie de Montfort étoit fils d'Artur II duc de Bretagne et d'Ioland de Dreux sa seconde femme. ( Voy, les Tables généal, à la tête de l'hist. de Bret. ) J.D.

(3) Guy de Bretagne comte de Penthièvre mort en 1331, étoit fils, ainsi que Jean III, d'Artur II, et de Marie fille de Guy vicomte de Limoges. Il avoit épousé Jeanne d'Avaugour de laquelle il laissa une fille unique nommée Jeanne qui épousa Charles de Blois, fils puîné de Guy comte de Plois et de Marguerite sœur de Philippe de Valois, (Voyez Ibid.) J. }).

pour

régnoit; et lui avoit promis en mariage la duché de Bretagne après son décès, pourtant (attendu) qu'il se doutoit que le comte de Montfort son frère ne voulsist (voulut) clamer droit par proismeté (proximité) après son décès, combien qu'il ne fut mie son frère germain. Et sembloit au dit duc que la fille de son germain frère devoit être par raison plus prochaine d'avoir la duché de Bretagne après son décès, que le comte de Montfort son frère de père. Et tant (attendu)qu'il avoit toujours douté (craint) que son frère le comte de Montfort n'enforçât après son décès le droit de sa jeune nièce par sa puissance, la maria-t-il au dit messire Charles de Blois, à cette intention que le roi Philippe, qui étoit son oncle, lui aidât mieux et plus volontiers à garder son droit encontre le dit comte de Montfort, s'il le vouloit entreprendre. Si avint tout ce que le dit duc avoit toudis (toujours) douté (craint); car si tốt que le comte de Montfort put savoir que le dit duc son frère fut trépassé sur le chemin de Bretagne, il se traist (retira) tantôt à Nantes, qui est le chef et la souveraine cité de Bretagne, et fit tant aux bourgeois et à ceux du pays environ, qu'il fut reçu comme seigneur et comme le plus prochaindu duc son frère qui trépassé étoit; et lui firent tous féauté et hommage, comme à duc de Bretagne et à seigneur.

Quand il eut pris la féauté des bourgeois de Nantes et du pays d'entour Nantes, il et la comtesse sa femme qui bien avoit cœur d'homme et de lion, eurent conseilensemble qu'ils tiendroient une grand' cour et fête solennelle à Nantes, et manderoient

*

tous les barons et nobles de Bretagne et les conseils des bonnes villes et de toutes les cités qu'ils voulsissent (voulussent) être et venir à cette cour, pour faire féauté à lui, comme à leur droit seigneur. Quand ce conseil fut accordé, ils envoyèrent grands messages par tous les seigneurs, les cités et les bonnes villes du pays.

CHAPITRE CXLVIII.

COMMENT CEUX DE LIMOGES REÇURENT LE COMTE DE MONTFORT COMME DROIT SEIGNEUR; ET COMMENT LES BARONS DE BRETAGNE NE VOULURENT VENIR A

SON MANDEMENT.

CEPENDANT, et la fête attendant, il se partit de Nantes à (avec) grand' foison de gens d'armes, et s'en alla vers la bonne cité de Limoges; car il savoit et étoit informé que le grand trésor que le duc son frère avoit amassé de long temps étoit là enfermé. Quand il vint là, il entra en la cité en grand bobant (pompe), et fut noblement reçu des bourgeois, de tout le clergé et de la communauté de la cité, et lui firent tous féauté, comme à leur droit seigneur; et lui fut tout ce grand trésor délivré par le grand accord qu'il acquit aux bourgeois de la cité, par grands dons et promesses qu'il leur fit. Et quand il eut là tant fêté et séjourné qu'il lui plut, ils'en partit atout (avec) le grand trésor, et s'enrevint droit à Nanles, là où madame sa femme étoit, qui eut grand'

joie du grand trésor que son sire avoit trouvé. Si demeurèrent à Nantes tous cois, grand'fête demenans, jusques au jour que la fête devoit être et la grand'cour tenue; et faisoient grands pourvéances (provisions) pour cette grand'fête parfournir.

Quand le jour de cette fête fut venu, et nul n'y venoit, pour mandement que fait lui fut, fors un seul chevalier qu'on appeloit messire Henry de Léon(), noble homme et puissant ; le comte de Montfort et la comtesse sa femme en furent durement courroucés et ébahis. Si firent leur fête par trois jours des bourgeois de Nantes et des bonnes gens de là entour, au mieux qu'ils purent; et eurent grand dépit des autres qui n'eurent daigné venir à leur mandement. Et eurent conseil entre eux de retenir soudoyers (soldats) à cheval et à pied, tous ceux qui venir voudroient, et de départir ce grand trésor que trouvé avoient, pour mieux venir le dit comte à son propos de la dite duché de Bretagne, et pour contraindre tous rebelles de venir à sa merci. A ce conseil se tinrent tous ceux qui là furent, chevaliers, clercs et bourgeois ; et furent retenus soudoyers (soldats) venants de tous côtés, et largement payés; tant qu'ils en eurent grand'plenté (quantité) et à cheval et à pied, nobles et non nobles, de plusieurs pays.

(1) Plusieurs manuscrits disent Henry de Lyon, J. D.

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