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nous veut. » Si chevauchèrent cette part. Quand ils furent là venus, messire Agout ôta son chaperon tout jus (à bas), et les salua bellement l'un après l'autre, et puis dit: « Seigneurs, il est bien vrai que le roi de France m'a envoyé en cette ville et en ce châtel pour le garder et défendre à mon loyal pouvoir: vous savez comment je m'en suis acquitté, et voudrois encore faire; mais toujours ne peut-on pas demeurer en un lieu. Je m'en partirois volontiers, et aussi tous mes compagnons, s'il vous plaisoit; et voudrions aller demeurer autre part, mais (pourvu) que nous eussions votre congé. Si nous laissiez partir, saufs nos corps et nos biens, et nous vous rendrons la forteresse. » Adonc répondit le comte Derby et dit: «< Messire Agout, messire Agout, vous n'en irez ainsi : nous savons bien que nous vous avons si étreints et si menés que nous vous aurons quand nous voudrons; car votre forteresse ne git que sur étaies: si vous rendez simplement, et ainsi serez-vous reçus. >> Lors répondit messire Agout et dit : « Certes, sire, s'il nous convenoit entrer en ce parti, je tiens en vous tant d'honneur et de gentillesse que vous ne nous feriez fors toute courtoisie, ainsi que vous voudriez que le roi de France ou le duc de Normandie fit à vos chevaliers, ou à vous même, si vous étiez au parti d'armes où nous sommes à présent. Si ne blesserez mie, s'il plait à Dieu, la gentillesse ni la noblesse de vous, pour un peu de soudoyers qui ci sont, qui ont gagné à grand' peine leurs deniers, et que j'ai amenés, avec moi de Provence, de Savoye, et du Dauphiné de Vienne. Car sachez

pas

FROISSART. T. II.

que

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si le

(1545) moindre des nôtres ne devoit aussi bien venir à merci comme le plus grand, nous nous vendrions ainçois (avant) tellement que oncques gens assiégés en forteresse ne se vendirent en telle manière. Si vous prie que vous y veuilliez regarder et entendre; et nous faites compagnie d'armes ("); si vous en saurons gré.

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Adonc se retrairent (retirèrent) ces trois chevaliers ensemble et parlèrent moult longuement d'une chose et d'autre. Finalement ils considérèrent la loyauté de messire Agout de Baux, et qu'il étoit un chevalier étrange hors du royaume de France, et que moult raisonnablement il leur avoit montré le droit parti d'armes, et que encore les pouvoit-il tenir là moult grand temps à siége; car on ne pouvoit miner la maître tour du châtel. Si s'inclinèrent à sa prière, et lui répondirent courtoisement: « Messire Agout, nous voudrions faire à tous chevaliers étrangers bonne compagnie ; si voulons, beau sire, que vous vous partez, et tous les vôtres; mais vous n'emporterez que vos armures tant seulement. »> Il cloy (finit) à ce mot, et dit: «Et ainsi soit.» Adonc se retrait (retira) le dessus dit à ses compagnons et leur conta comment il avoit exploité. De ces nouvelles furent eux tous joyeux: si ordonnèrent leurs besognes le plutôt qu'ils purent, et s'armèrent, et ensellèrent leurs chevaux, dont par tout n'en avoient que six. Les aucuns en achetèrent aux Anglois, qui leur vendirent bien et cher. Ainsi se partit messire Agout de Baux du châtel de la Réole, et le

(1) Traitez-aous avec la loyauté dont les guerriers usent entre eux.J.D.

rendit aux Anglois, qui s'en mirent en saisine; et s'en vint à Toulouse (1).

CHAPITRE CCXLIII.

COMMENT LE COMTE DERBY PRIT MONTPESAT ET LE CHATEL DE MAURON PAR GRAND SENS ET AVIS; ET PUIS PRIT VILLEFRANCHE; ET EN CHACUN CHATEL MIT

BONNE GARNISON.

APRÈS Ce que le comte Derby eut sa volonté et fut

ce

venu à son entente (intention) de la ville et du château de la Réole, où il avoit été et sis (resté) un grand temps, il chevaucha outre. Mais il laissa en la dite ville un chevalier Anglois, sage homme et vaillant durement, pour entendre à la réfection (réparation) de la ville et du châtel, et remettre à point et réparer ce qui brisé et rompu étoit. Si chevaucha le dit comte atout (avec) son ost (armée) devers Montpesat. Quand il fut là venu, il le fit assaillir durement et fortement; et n'avoit dedans le châtel fors que bons hommes du pays qui s'y étoient boutés (jetés) et attraits (retirés) leurs biens, sur la fiance du fort lieu, et qui trop bien le défendirent, tant qu'ils purent durer. Toutefois il fut pris par assaut et par échellement; mais il coûta grandement au comte de ses archers; et y eut mort un gentil homme d'Angleterre qui s'appeloit Richard de Pennevort (Penford), et por

(1) Les imprimés omettent plusieurs phrases dans ce chapitre. J. D.

toit la bannière du baron de Staffort, dont tous les seigneurs furent durement courroucés; mais amender ne le purent. Si donna le comte Derby le châtel et la châtellenie à un sien écuyer, appert homme d'armes durement, qui s'appeloit Thomas de Beaucestre (Lancaster); et laissa avec lui en garnison soixante archers; et puis chevaucha vers la ville de Mauron (1). Et quand il fut là venu, il fit traire (aller) ses gens avant et ses archers, et puis assaillir fortement et durement; mais ils ne l'eurent mie par leur assaut. Si se logèrent là cette nuit, et la gagnèrent lendemain par l'engin (ruse), et le sens d'un chevalier de Gascogne, qui là étoit, que on appeloit messire Alexandre de Chaumont. Je vous dirai comment. Il dit au comte Derby: «< Sire, faites semblant de déloger et de vous traire (rendre) autre part, et laissez un petit de vos gens devant la ville: ceux de laiens (dedans) istront (sortiront) tantôt hors, de tant les connois-je bien ; et vos gens qui demeureront se feront chasser; et nous serons en embûche dessous ces oliviers: sitôt qu'ils vous auront passés, l'une partie retournera sur eux, et l'autre chevauchera vers la ville. Ainsi les aurons-nous et la ville aussi; de ce me fais-je fort. A l'ordonnance du chevalier s'accorda le comte Derby, et fit demeurer le comte de Kenfort derrière, à (avec) cent hommes d'armes tant seulement, et l'avisa de ce qu'il devoit faire; et puis se partit, et fit tout trousser et charger chars et sommiers, et fit signe qu'il vouloit aller autre part, et

(1) Vraisemblablement Castel-Moron, bourg de l'Agenois, peu éloigué de Montpezat, de l'autre côté du Lot. J. D.

éloigna la ville environ demielieue. Si mit une grosse embûche en un val entre oliviers et vignes, et chevaucha outre. Ceux de Mauron qui virent le comte Derby parti et une poignée de gens d'armes demeurés derrière, dirent entr'eux: «Or tôt issons (sortons) hors de notre ville, et allons combattre ce tantet (peu) d'Anglois qui sont demeurés; tantôt les aurons déconfits et mis à merci: si sera honneur et profit pour nous très grandement.» Tous s'accordèrent à

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