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CHAPITRE CCXL.

COMMENT LE PÈRE MESSIRE GAUTIER DE MAUNY FUT

JADIS OCCIS MAUVAISEMENT DEVANT LA VILLE DE LA

RÉOLE EN REVENANT DE SAINT-Jacques.

IL Y EUT jadis un évêque en Cambray qui fut Gascon, de ceux de Buch et de Mirepoix (), qui furent grand lignage et fort pour le temps de lors en Gascogne. Or avint que du temps de celui évêque, un

très grand tournois se fit dehors Cambray, et y eut bienà ce tournois cinq cents chevaliers tournoyants. Et là eut le dit évêque un sien neveu, jeune chevalier tournoyant, richement armé et monté: cil (celui-ci) s'adressa à messire le Borgne de Mauny, père au dit messire Gautier età ses frères qui étoient durs chevaliers, roides et forts et bien tournoyants. Si fut tellement le jeune chevalier Gascon manié et battu qu'oncques depuis ce tournois n'eut santé, et mourut. De sa mort fut inculpé le sire de Mauny, et demeura en la haine et mautalent (mécontentement) du dit évêque de Cambray et de son li

(1) Pierre de Levis de Mirepoix posséda l'évêché de Cambray depuis 1310 jusqu'en 1324, qu'il fut fait évêque de Bayeux. Son frère Jean de Levis, maréchal de la Foi, épousa Constance de Foix, fille de Roger Bernard comte de Foix, de laquelle il eut plusieurs enfants, entre autres celui dont il va être question, qui fut tué par le père de Gautier de Mauny. On voit par là que ce jeune homme étoit de ceux de Buch, c'est-à-dire descendoit de la maison de Foix par sa mère; mais j'ignore commen! l'évêque leur appartenoit: Froissart a vraisemblablement confondu la parenté de l'oncle avec celle de neveu. ( Voy. l' Hist. gén, de la mais, de Fr. T. 4, P. 11. et suiv. et l'Hist. de Cambray, T. 1. P. 385. ) J. D.

gnage. Environ deux ans après, ou trois, bonnes gens s'essonnièrent (entremirent), et en fut la paix faite, et en dut aller le dit sire de Mauny, ainsi qu'il fit, à Saint Jacques en Galice. En ce temps qu'il fut en ce voyage, séoit devant la ville de la Réole messire Charles comte de Valois, frère du beau roi Philippe, et avoit sis (demeuré) un grand temps; (1) car elle se tenoit Angloise avec plusieurs autres villes et cités qui étoient au roi d'Angleterre, père à celui qui assiégea Tournay. Si que le dit sire de Mauny, à son retour d'Espagne, vint voir le dit comte de Valois; car le comte Guillaume de Hainaut avoit à femme sa fille; et lui montra ses lettres, comment il étoit au dit comte, car le comte de Valois étoit là comme roi de France. Avint que ce soir le sire de Mauny s'en revenoit en son hôtel: si fut épié et attendu du lignage de celui pour qui il avoit fait le voyage; et droit au dehors des logis du comte de Valois, il fut pris, occis et murdris (meurtri); et ne put-on oncques savoir de vérité qui occis l'avoit, fors tant que les dessus dits en furent arrêtés (2).

(1) Tous les chroniqueurs contemporains placent le siége de la Réole par Charles de Valois sous l'année 1324. (Voy. aussi l'Hist. de Languedoc, T. 4. P. 199.) J. D.

(2) En rapprochant ce passage de celui de l'Histoire de Languedoc où il s'agit du même fait, l'un est éclairci par l'autre. On lit dans cette histoire (ubi, sup.) que Jean de Levis maréchal de Mircpoix servant au siége de la Réole sous le comte de Valois, prit querelle avec un chevalier dont on ne dit pas le nom, le tua, ainsi que plusieurs personnes de sa suite; que le roi ordonna qu'on mit en prison le sire de Mirepoix et qu'on saisit ses biens; mais que l'année suivante il lui donna main levée de la saisie. L'histoire de Languedoc nous fournit le nom du meurtrier et Froissart celui du mort. Il est assez singulier que le savant de Vaissette, qui cite si souvent Froissart, n'ait pas connu ce passage. J. D.

Mais ils étoient adonc là si forts qu'ils s'en passèrent et excusèrent; ni nul n'en fit partie pour le sire de Mauny. Si le fit le comte de Valois ensevelir en ce temps en une petite chapelle, qui étoit pour le temps dehors la Réole; et quand le comte l'eut conquise, cette chapelle fut mise au clos de la ville. Et bien souvenoit au vieil homme de toutes ces choses; car il avoit été présent au dit sire de Mauny mettre en terre; et pour ce en parloit-il si avant et si certai

nement.

CHAPITRE CCXLI.

COMMENT MESSIRE GAUTIER DE MAUNY TROUVA LE TOMBEL DE SON PÈRE ET EN FIT PORTER LES OS, ET ENSEVELIR CHEZ LES FRÈRES MINEURS DE VALENCIENNES.

AINSI le sire de Mauny, avec le prud'homme, s'en vint au propre lieu où son père avoit été jadis enseveli; et avoit un petit tombel (tombeau) de marbre sur lui, que ses varlets y avoient fait mettre. Quand ils furent venus sur le tombel, le vieil homme dit. au sire de Mauny: « Certes sire, ci dessous gît et fu! enseveli messire votre pèrc; encore y a écrit sur le tombel écriture qui témoignera que je dis vérité. » Adonc s'abaissa messire Gautier, et regarda sur le tombel, et y aperçut voirement (vraiment) lettres écrites en latin, lesquelles il fit lire par un sien clerc si trouvèrent que le prud'homme disoit voir (vrai). De ces nouvelles fut le sire de Mauny moult

liez (joyeux) et fit ôter le dit tombel et lever dedans deux jours après, et prendre les os de son père et mettre en un cercueil; et puis les envoya à Valenciennes en la comté de Hainaut; et de rechef les fit ensevelir dedans l'église des frères mineurs, moult honorablement, assez près du cœur du moûtier; et lui fit faire depuis son obsèque très révéremment, et encore lui fait-on tous les ans; car les frères de laiens (dedans) en sont bien rentés. Or retournerons au siége de la Réole, du dit châtel où le comte Derby sist (siégea) plus de onze semaines.

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CHAPITRE CCXLII.

COMMENT MESSIRE AGOUT DE BAUX RENDIT AU COMTE DERBY LE CHATEL DE LA RÉOLE ET S'EN PARTIT LUI ET SES COMPAGNONS, ATOUT (AVEC) LEURS ARMURES

SEULEMENT.

TANT ouvrèrent les mineurs que le comte Derby avoit mis en œuvre, qu'ils vinrent dessous le châtel, et si avant qu'ils abattirent une basse tour des chaingles (enceintes) du donjon. Mais à la maître tour du donjon ne pouvoient nul mal faire, car elle étoit maçonnée sur une roche, dont on ne pouvoit trouver le fond. Bien s'aperçut messire Agout de Baux que on les minoit: si en fut en doute (crainte), car au voir (vrai) dire, c'est grand effroi pourgens qui sont en une forteresse, quand ils sentent que on les mine. Si en parla à ses compagnons, par manière de con

(1545) seil, à savoir comment ils s'en pourroient maintenir; et bien leur dit qu'ils étoient en grand péril, puisque on leur alloit par ce tour. Les compagnons ne furent mie bien assurés de ces paroles; car nul ne meurt volontiers, puis qu'il peut finer par autres gages (1). Si lui dirent les chevaliers : « Sire, vous êtes notre capitaine et notre gardien, si devons tous obéir et user par vous. Voir (vrai) est que nous nous sommes moult honorablement ici tenus, et n'aurons nul blâme en avant de nous composer au comte Derby: si parlons à lui, à savoir s'il nous laisseroit jamais partir, saufs nos corps et nos biens, et nous lui rendrons la forteresse, puisque autrement ne pouvons finer. »>

A ces paroles s'accorda messire Agout de Baux, et vint jus (à bas) de la grosse tour: si bouta sa tête hors d'une basse fenêtre qui là étoit, et fit signe qu'il vouloit parler au quelque fut de l'ost (armée). Tantôt fut appareillé qui vint avant. On lui demanda qu'il vouloit dire. Il dit qu'il vouloit parler au comte Derby, ou à messire Gautier de Mauny. On lui répondit que on leur feroit savoir volontiers. Si vinrent ceux qui là avoient été, devers le comte Derby, et lui recordèrent ces nouvelles. Le comte qui eut grand desir de savoir quelle chose messire Agout vouloit dire, monta tantôt à cheval et emmena avec lui messire Gautier de Mauny et messire Richard de Staffort, et leur dit: « Allons jusques à la forteresse voir et savoir que le capitaine

(1) Quand il peut sortir d'embarras autrement. J. D.

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