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oncques ne put trouver voie par quoi on put le château gagner, si fort étoit-il; et si ne pouvoit trouver accord au gentil chevalier par quoi il voulsist (voulut) obéir à lui, ni par promesses, ni par menaces qu'il lui put faire. Si s'en partit atant (alors) le comte et laissa le siége jusques à tant que plus grand pouvoir lui venroit (viendroit), et alla assiéger un autre châtel à dix lieues près de là, que on appeloit château d'Auray; et en étoit châtelain un moult gentil chevalier que on appeloit messire Geffroy de Malestroit, et avoit à compagnon messire Yvon de Treseguidy. Le dit comte fit assaillir deux fois celui châtel; mais il vit qu'il y pouvoit plus perdre que gagner; si s'accorda à une trève et à jour de parlement, par le pourchas de messire Henry de Léon, qui adonc étoit avec lui. Le parlement se porta si bien que au dernier ils furent bons amis, et firent les deux chevaliers féauté et hommage au dit comte, et demeurèrent gardiens du dit châtel et de celui pays de par le dit comte.

Atant (alors) se partit le comte de là, et mena son ost par devant un autre fort château assez près de là que on appelle Goy-la-Forêt. Celui qui en étoit châtelain véoit (voyoit) que le comte avoit grand ost et que tout le pays se rendoit à lui; si que par l'ennort (avis) et conseil messire Henry de Léon, avec qui il avoit été grand compain (compagnon) en Grenade et en Prusse (et en autres étranges con

(1) Les habitants de la Prusse, qui étoient presque tous payens, ayant défait dans une bataille Conrad, duc de Mazovie, il implora contre eux le secours du pape et de l'empereur. Frédéric II proposa aux

trées, il s'accorda au dit comte, et lui fit féauté; et demeura gardien du dit châtel de par le comte.

Tantôt après le comte se partit de là et s'en alla par devers Graais (Carhaix), bonne ville et fort châtel; et avoit dedans un évêque quisire en étoit (1). Cet évêque étoit oncle au dit messire Henry de Léon; si que par le conseil et l'amour du dit messire Henry, il s'accorda au dit comte, et le reconnut à seigneur, jusques à ce que autre viendroit avant, qui plus grand droit montreroit pour avoir la duché de Bretagne. Car toujours le dit évêque (2) faisoit protestation que toute la manière du traité et de l'accord

chevaliers de l'ordre Teutonique, qui avoient été obligés d'abandonner la Palestine, de tenter la conquête de la Prusse, et engagea le duc de Mazovie à leur céder Culm et Dobrzin. Ils s'y établirent vers l'année 1226, et re cessèrent depuis cette époque de faire la guerre aux Prussiens jusqu'à leur entière soumission à l'ordre Teutonique et leur conversion au Christianisme ( Petri de Dusburg Chronicon Prussiæ, etc. cum notis Christoph. Hartenock, in-4o, Jenæ 1679). Les chevaliers des différentes nations de l'Europe, avides de gloire surtout de celle qui s'acquéroit en combattant contre les infidèles, s'empressoient d'aller servir sous les étendarts du grand maître des chevaliers Teutons, et de satisfaire ainsi leur passion pour la guerre, en même temps qu'ils gagnoient les pardons et les indulgences que les papes accordoient à tous ceux qui prenoient les armes contre les ennemis de la foi. L'ardeur des chevaliers François pour les expéditions de Prusse est attestée par tous nos historiens. Froissart, les Chron, de Fr.,le Contin, de Nangis etc. en fournissent des témoignages sans nombre. Il en est aussi parlé fort au long dans la vie de Louis III duc de Bourbon, P. 73 et suiv. de l'édit. in-8°. Paris, 1612. J. D.

(1) Cet évêque étoit Alain le Gal, évêque de Quimper, qui étoit probablement en visite dans son diocèse. Le père Morice dans son histoire de Bretagne doute de la parenté entre l'évêque et Henry de Léon. J. A. B.

(2) Les imprimés François et Anglois ne contiennent pas la fin de ce chapitre. J. A. B.

FROISSART. T. II.

2

fait entre lui et monseigneur Henry de Léon son neveu seroient nuls, au cas qu'il viendroit aucun hoir (héritier) plus prochain du comte de Montfort, et qui pourroit montrer avoir meilleur droit enla duché de Bretagne; et que à celui-ci il feroit féauté et hommage et se rendroit à lui avec toutes ses forteresses et tout son pays. Et toutes ces choses fit-il enuis (avec peine); ni jamais ne s'y fut accordé bonnement, si n'eut été par l'admonestement (avis) et sermon du dit monseigneur Henry de Léon son neveu, qui sur ce lui montra tant de belles raisons que au dernier il s'accorda au dit monseigneur le comte de Montfort et lui fit féauté et hommage, ainsi que vous avez ci-devant ouï recorder. Après ces choses ainsi accordées et faites, le dit évêque de Carhaix fit tantôt ouvrir les portes dela bonne ville, et du châtel de Carhaix avec, qui siéd surla mer; et puis entra dedans le comte de Montfort,monseigneur Henry de Léon, monseigneur Henry de Spinefort et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers. Et tout l'ost demeura entour la ville, et se logea chacun au mieux qu'il put, et fourragèrent sur le plat pays, ni rien nedemeuroit devant eux, si il n'étoit trop chaud ou trop pesant. Le comte et ses plus privés, monseigneur Henry de Léon et les autres seigneurs étoient en la ville, où ils furent moult grandement fêtés du dit évêque, car bien y avoit de quoi. Et lendemain s'en partit le dit comte et tout

son ost.

CHAPITRE CLI.

COMMENT LE COMTE DE MONTFORT S'EN ALLA EN ANGLETERRE ET FIT HOMMAGE AU ROI D'ANGLETERRE DE LA DUCHÉ DE BRETAGNE.

POURQUOI vous ferois-je long conte? En telle manière conquit le dit comte de Montfort tout ce pays que vous avez ouï et se fit partout appeler duc de Bretagne; puis s'en alla à un port de mer que on appelle Gredo (, et départit toutes ses gens, et les envoya en ses cités et forteresses pour elles aider à garder; puis se mit en mer atout (avec) vingt chevaliers et nagea (navigua) tant qu'il vint en Cornouailles et arriva à un port que on dit Capsée. Si enquit là du roi Anglois où il le trouveroit; et lui fut dit que le plus (la plupart) de temps il se tenoit à Windsor. Adonc chevaucha-t-il cette part et toute sa route (suite), et fit tant par ses journées qu'il vint à Windsor où il fut reçu à (avec) grand'joie du roi, de madame la reine, et de tous les barons qui là étoient; et fut grandement fêté et honoré, quand on sut pourquoi il étoit là venu.

Premièrement il montra au roi Anglois, à messire Robert d'Artois et à tout le conseil du roi ses beso

(1) On ne connoît en Bretagne aucun lieu de ce nom: les historiens de cette province conjecturent (T. 1. P. 248) que Froissart a voulu désigner Rosco, petit port voisin de St.-Pol de Léon; mais il y a bien peu d'analogie entre Gredo et Rosco: peut-être vaudroit-il mieux lire Coredon, village sur le bord d'une petite anse à l'ouest de St.-Pol de

Léon. J. D.

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gnes, et dit comment il s'étoit mis en saisine et possession de la duché de Bretagne, qui échue lui étoit par la succession du duc son frère, dernièrement trépassé. Or faisoit-il doute que messire Charles de Blois ne l'empêchât, et le roi de France ne lui voulsist (voulut) r'ôter par puissance; par quoi il s'étoit là trait (retiré) pour relever la dite duché et tenir en foi et hommage du roi d'Angleterre à toujours, mais (pourvu) qu'il l'en fit seur (certain) contre le roi de France et contre tous autres qui empêcher le voudroient.

Quand le roi Anglois eut ouï ces paroles, il y entendit volontiers, car il regarda et imagina que sa guerre du roi de France en seroit embellie, et qu'il ne pouvoit avoir plus belle entrée au royaume ni plus profitable que par Bretagne; et que tant qu'il avoit guerroyé par les Allemands et les Flamands et les Brabançons, il n'avoit rien fait fors que frayé et dépendu (dépensé) grandement et grossement; et l'avoient mené et demené les seigneurs de l'empire, qui avoient pris son or et son argent, ainsi qu'ils avoient voulu, et rien n'avoit fait (). Si descendit à la requête du comte de Montfort liement et

(1) Édouard devoit être d'autant plus empressé à secourir le comte de Montfort, pour se ménager une entrée en France par la Bretagne, que les Flamands paroissoient se repentir de s'être déclarés pour lui contre Philippe de Valois, et que l'empereur et la plupart des princes de l'empire avoient abandonné son alliance, ou du moins étoient sur le point d'y renoncer. Les lettres par lesquelles Louis de Bavière révoque le titre de vicaire de l'empire qu'il lui avoit conféré et lui offre d'être le médiateur de la paix entre Philippe et lui, sont datées du 25 juin de cette année 1341. (Rymer, T. 2. Part. 4. P. 104.) J. D.

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