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de Bergerac, qui sont grands et forts assez et enclos de la rivière de Garonne, et attrairent (attirèrent) ès dits faubourgs la plus grand'partie de leurs pourvéances (provisions) à sauveté.

CHAPITRE CCXVII.

COMMENT LE COMTE DERBY SE PARTIT DE BORDEAUX POUR ALLER VERS BERGERAC, OU LE COMTE de Lille

ET SES GENS SE TENOIENT.

QUAND le comte Derby eut séjourné en la cité de Bordeaux environ quinze jours, il entendit que ces barons et chevaliers de Gascogne se tenoient à Bergerac, et dit qu'il iroit cette part, et ordonna ses besognes pour partir le matin; et fit maréchaux de son ost (armée) messire Gautier de Mauny et messire Franque de Halle. Si chevauchèrent cette matinée, tant seulement trois lieues, à un châtel qui se tenoit pour eux, que on appelle Moncuq (1), séant à une petite lieue de Bergerac. Là se tinrent les Anglois tout le jour et la nuit aussi : lendemain les coureurs allèrent courir jusques aux barrières de Bergerac, et rapportèrent ces coureurs à messire Gautier de Mauny qu'ils avoient vu et considéré une partie du convenant (disposition) des François; mais il leur sembloit assez simple. Ce propre jour dînèrent les Anglois assez matin: dont il avint que messire Gautier

(1) Lieu situé un peu au dessous de Bergerac, de l'autre côté de la Dordogne. J. D.

de Mauny séant à table, il regarda dessus le comte Derby; et jà avoit ouïes les paroles que les coureurs de leur côté avoient rapportées; si dit: « Monseigneur, si nous étions droites gens d'armes et bien apperts, nous burions (boirions) à ce souper des vins de ces seigneurs de France qui se tiennent en garnison en Bergerac. » Si répondit le comte Derby tant seulement: « Jà pour moi ne demeurera. » Les compagnons qui ouïrent le comte et messire Gautier ainsi parler, mirent leurs têtes ensemble et ( dirent l'un à l'autre: «Allons nous armer, nous chevaucherons tantôt devant Bergerac.>> Il n'y eut plus fait ni plus dit; tous furent armés, et les chevaux ensellés et tous montés. Et quand le comte Derby vit ses gens de si bonne volonté, si fut tout joyeux, et dit: «Or chevauchons au nom de Dieu et de Saint George devers nos ennemis. » Donc s'arroutèrent (assemblèrent) toutes manières de gens, et chevauchèrent, bannières déployées, en la plus grand'chaleur du jour; et firent tant qu'ils vinrent devant les barrières de Bergerac, qui n'étoient mie légères à prendre, car une partie de la rivière de Garonne (2) les environne.

(1) Délibérèrent ensemble. J. A. B.

(2) Lisez la rivière de Dordogne. J. A. B.

CHAPITRE CCXVIII.

COMMENT LES ANGLOIS SE COMBATTIRENT AUX FRANÇOIS, DEVANT BERGERAC, ET COMMENT LES ANGLOIS GAGNÈRENT LES FAUBOURGS, OU IL EUT PLUSIEURS FRANÇOIS MORTS ET PRIS.

Ces gens d'armes et ces seigneurs de France, qui étoient dedans la ville de Bergerac, entendirent que les Anglois les venoient assaillir; si en eurent grand' joie et dirent entr'eux qu'ils seroient recueillis, et se mirent au dehors de leur ville en assez bonne ordonnance. Là avoit grand'foison de bidaus (1) et de gens du pays mal armés. Les Anglois qui venoient tous serrés et rangés approchèrent tant que ceux de la ville les virent, et que leurs archers (2) commencèrent à traire (tirer) fortement et esparsément (ensemble). Lorsque ces gens de pied sentirent ces sajettes (flèches), et virent ces bannières et ces pennons, qu'ils n'avoient pas accoutumé à voir, si furent tous effrayés, et commencèrent à reculer parmi les gens d'armes; et archers à traire (tirer) sur eux de grand randon (impétuosité) et à mettre en grand meschef. Lors approchèrent les seigneurs d'Angleterre les François, les glaives au poing abaissés, et montés sur ces bons coursiers forts et apperts; et se férirent en ces bidaus de grand'manière. Si les abattoient

(1) Voyez tome Ier page, 303 note 2. J. A. B. (2) Il faut entendre les Archers Anglois.

de

de grande'force d'un côté et d'autre, et occioient (tuoient) à volonté. Les gens d'armes (1) de leur côté ne pouvoient aller avant pour eux, car les gens pied reculoient sans nularroy (ordre) et leurbrisoient le chemin. Là eut grand toullis (tiraillement) et dur hutin (combat) et maint homme à terre; car les archers d'Angleterre étoient accostés aux deux lez (côtés) du chemin, et traioient(tiroient) si ouniemen t (à la fois) que nul n'osoit issir (sortir). Ainsi furent reboutés (repoussés) dedans leurs faubourgs ceux de Bergerac; mais ce fut à tel meschef pour eux, que le premier pont et les barrières furent gaguées par force, et entrèrent les Anglois dedans avec eux. Etlà sur le pavement eut main chevaliers et écuyers morts et blessés et fiancés prisonniers de ceux qui se mettoient devant pour défendre le passage, et qui s'en vouloient acquitter loyalement à leur pouvoir. Et là fut occis le sire de Mirepoix (2), dessous la bannière messire Gautier de Mauny, qui toute première entra ès faubourgs. Quand le comte de Lille, le comte de Comminges, le vicomte de Carmaing, le sire de Duras, le vicomte de Villemur, le comte de Pierregort (Périgord), le sire de Taride (Terrides), et les

(1) Les gens d'armes François. J. D.

(2) Jean de Lévis, fils de Jean II du nom, qui lui survécut longtemps, qualifié sire de Mirepoix, parce que son père lui avoit cédé cette seigneurie. D. Vaissette paroît avoir mal entendu ce passage dont il fait la critique; il pense que Froissart a voulu dire que le sire de Mirepoix fut tué en combattant pour les Anglois: mais il est clair par ce qui précède et ce qui suit que Froissart n'a eu intention de dire autre chose, sinon que ce seigneur fut tué au milieu des gens qui combattoient sous la bannière de Mauny.(Voy, l'Hist, de Languedoc, T. 4. P. 254 et note 21. P. 570.) J. D.

barons de Gascogne, qui là étoient, virent le meschef, et comment les Anglois par force étoient entrés ès faubourgs, et tuoient et abattoient gens sans répit ni mercy, ils se trairent (rendirent) devers la ville et passèrent le pont, à quelque meschef que ce fut. Là y eut faite devant le pont une très bonne escarmouche qui longuement dura; et y furent dela partie des Gascons les seigneurs dessus nommés très bons chevaliers, et du côté des Anglois le comte Derby, le comte de Pembroke, messire Gautier de Mauny, messire Franque de Halle, messire Hugues de Hastings, le sire de Ferrers, messire Richard de Staffort. Et se combattoient ces chevaliers main à main par grand'vaillance; et là eut faite maintebelle appertise d'armes, mainte prise et mainte rescousse (délivrance). Là ne se pouvoit chevalerie et bachelerie (valeur) céler; et par spécial le sire de Mauny s'avançoit si avant entre ses ennemis que à grand' peine l'en pouvoit-on ravoir. Là furent pris du lez (côté) des François, le vicomte de Bosquentin, le sire de Châteauneuf, le vicomte de Châteaubon (Castelbon), le sire de Lescun; et se retrairent (retirèrent) tous les autres dedans le fort et fermèrent leur porte, et avalèrent (descendirent) le ratel (pont-levis), et puis montèrent aux guérites d'amont (en haut), et commencèrent à jeter et à lancer et faire reculer leurs ennemis. Cet assaut et cette escarmouche dura jusques aux vespres (soir), que les Anglois se retrairent (retirèrent) tous lassés et tous travaillés (fatigués), et se boutèrent ès faubourgs qu'ils avoient gagnés, où ils trouvèrent vins et vian

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