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reçu ce dont ils avaient besoin, ils en étaient les maîtres. Ainsi se passait l'examen des affaires que le roi proposait à leurs délibérations.

La seconde occupation du roi était de demander à chacun ce qu'il avait à lui rapporter ou à lui apprendre sur la partie du royaume dont il venait. Non-seulement cela leur était permis à tous, mais il leur était étroitement recommandé de s'enquérir, dans l'intervalle des assemblées, de ce qui se passait au dedans ou au dehors du royaume; et ils devaient chercher à le savoir des étrangers comme des nationaux, des ennemis comme des amis, quelquefois en employant des envoyés, et sans s'inquiéter beaucoup de la manière dont étaient acquis les renseignements. Le roi voulait savoir si dans quelque partie, quelque coin du royaume, le peuple murmurait ou était agité, et quelle était la cause de son agitation, et s'il était survenu quelque désordre dont il fùt nécessaire d'occuper le conseil général, et autres détails semblables. Il cherchait aussi à connaître si quelqu'une des nations soumises voulait se révolter, si quelqu'une de celles qui s'étaient révoltées semblait disposée à se soumettre, si celles qui étaient encore indépendantes menaçaient le royaume de quelque attaque, etc. Sur toutes ces matières, partout où se manifestait un désordre ou un péril, il demandait principalement quels en étaient les motifs ou l'occasion '.

Je n'aurai pas besoin de longues réflexions pour vous faire reconnaître le véritable caractère de ces assemblées ; il est clairement empreint dans le tableau qu'Hincmar en a tracé : Charlemagne le remplit seul; il est le centre et l'âme de toutes choses; c'est lui qui veut que les assemblées se réunissent, qu'elles délibèrent; c'est lui qui s'enquiert de l'état du pays, qui propose et sanctionne les lois ; en lui résident la volonté et l'impulsion; c'est de lui que tout émane pour revenir à lui. Il n'y a point là de grande liberté nationale, point d'activité vraiment publique; il y a un vaste moyen de gouvernement 2.

Pendant que ces affaires se traitaient de la sorte hors de la présence du roi, le prince lui-même, au milieu de la multitude venue à l'assemblée générale, était occupé à recevoir les présents, saluant les hommes les plus considérables, s'entretenant avec ceux qu'il voyait rarement, témoignant aux plus âgés un intérêt affectueux, s'égayant avec les plus jeunes, et faisant ces choses et autres semblables pour les ecclésiastiques comme pour les séculiers. Cependant si ceux qui délibéraient sur les matières soumises à leur examen en manifestaient le désir, le roi se rendait auprès d'eux, y restait aussi longtemps qu'ils le voulaient, et là ils lui rapportaient avec une entière familiarité ce qu'ils pensaient de toutes choses, et quelles étaient les discussions amicales qui s'étaient élevées entre eux. Je ne dois pas oublier de dire que, si le temps était beau, tout cela se passait en plein air; sinon, dans plusieurs bâtiments distincts, où ceux qui avaient à délibérer sur les propositions du roi étaient séparés de la multitude des personnes venues à l'assemblée; et alors les hommes les moins considérables ne pouvaient entrer. Les lieux destinés à la réunion des seigneurs étaient divisés en deux parties, de telle sorte que les évêques, les abbés et les clercs élevés en dignité pussent se réunir sans aucun mélange de laïques. De même les comtes et les autres principaux de l'État se séparaient, dès le matin, du reste de la multitude, jusqu'à ce que, le roi présent ou absent, ils fussent tous réunis; et alors les seigneurs ci-dessus désignés, les clercs de leur côté, les laïques du leur, se rendaient dans la salle qui leur était assignée, et où on leur avait fait hono-jourd'hui que vous en donner une idée. Voici, en rablement préparer des siéges. Lorsque les seigneurs laïques et ecclésiastiques étaient ainsi séparés de la multitude, il demeurait en leur pouvoir de siéger ensemble ou séparément, selon la nature des affaires qu'ils avaient à traiter, ecclésiastiques, séculières ou mixtes. De même s'ils voulaient faire venir quelqu'un, soit pour demander des aliments, soit pour faire quelque question, et le renvoyer après en avoir

Ce moyen ne fut point stérile; indépendamment de la force qu'y puisait Charlemagne pour les affaires courantes, vous venez de voir que là étaient en général rédigés et arrêtés les Capitulaires. Dans notre prochaine réunion je vous occuperai spécialement de cette législation célèbre ; je ne veux au

attendant plus de détails, un tableau des capitulaires de Charlemagne, de leur nombre, de leur étendue et de leur objet.

1 Hincm. Opp. de ordine palatii, t. II, p. 201–215.
Voyez mes Essais sur l'Histoire de France, p. 315-344.

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Certes, un tel tableau atteste une grande activité législative; encore ne dit-il rien de la révision que fit faire Charlemagne des anciennes lois barbares, notamment des lois salique et lombarde. L'activité en effet, une activité universelle, infatigable, le besoin de penser à tout, de porter partout à la fois le mouvement et la règle, c'est là le vrai, le grand caractère du gouvernement de Charlemagne, le caractère que lui-même et lui seul imprimait à son temps. J'en vais mettre sous vos yeux une nouvelle preuve. Ce n'était pas un temps, passez-moi l'expression, de beaucoup d'écriture et de paperasserie; à coup sur la multitude des actes

Législation domestique et rurale. C'est le capitulaire de villis.

officiels rédigés sous un règne ne prouverait pas grand'chose aujourd'hui en faveur du génie du souverain; il en est autrement du règne de Charlemagne : nul doute que le grand nombre des actes publics de tout genre qui nous en sont restés ne soit un témoignage irrécusable de cette activité prodigieuse et contagieuse qui était peut-être sa plus grande supériorité et sa plus sûre puissance : voici le tableau et la classification de ces actes, de ceux du moins qui ont été imprimés dans les recueils savants: beaucoup d'autres sans doute se sont perdus; assez d'autres, probablement, sont restés manuscrits et ignorés.

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TABLEAU DES PRINCIPAUX DIPLÔMES, DOCUMENTS, Lettres et actes DIVERS ÉMANÉS DE CHARLEMAGNE OU D'AUTRES GRANDS, LAÏQUES OU ECCLÉSIASTIQUES, SOUS SON RÈGNE 1.

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Tels sont les faits, messieurs, tels sont du moins les cadres où ils se sont placés. Maintenant je reproduis ici la question que j'élevais tout à l'heure sur les guerres de Charlemagne : est-il vrai, est-il possible que, de ce gouvernement si actif, si puissant, rien ne soit resté, que tout ait disparu avec Charlemagne, qu'il n'ait rien fondé au dedans et pour l'état social.

Ce qui est tombé avec Charlemagne, ce qui tenait à lui seul et ne pouvait lui survivre, c'est le gouvernement central. Après s'être prolongées quelque temps sous Louis le Débonnaire et Charles le Chauve, mais de plus en plus sans force et sans effet, les assemblées générales, les missi dominici, toute l'administration centrale et souveraine ont disparu; mais il n'en a pas été ainsi du gouvernement local, de ces ducs, comtes, vicaires, centeniers, bénéficiers, vassaux, qui, sous Charlemagne, en exerçaient les pouvoirs. Avant lui, le désordre n'était pas moindre dans chaque localité que dans l'État en général : les propriétés, les magistratures changeaient sans cesse de main; aucune régularité, aucune permanence dans les situations et les influen

Les éléments de ce tableau sont tirés de l'Histoire de l'Empire

ces locales. Pendant les quarante-six années de son gouvernement, elles eurent le temps de s'affermir sur le même sol, dans les mêmes familles ; elles devinrent stables, première condition du progrès qui devait les rendre indépendantes, héréditaires, c'est-à-dire en faire les éléments du régime féodal. Rien à coup sûr ne ressemble moins à la féodalité que l'unité souveraine à laquelle aspirait Charlemagne; et pourtant c'est lui qui en a été le véritable fondateur : c'est lui qui, en arrêtant le mouvement extérieur de l'invasion, en réprimant jusqu'à un certain point le désordre intérieur, a donné aux situations, aux fortunes, aux influences locales, le temps de prendre vraiment possession du territoire et de ses habitants. Après lui, son gouvernement général a péri comme ses conquêtes, la souveraineté unique comme l'empire; mais de même que l'empire s'est dissous en États particuliers qui ont vécu d'une vie forte et durable, de même, la souveraineté centrale de Charlemagne s'est dissoute en une multitude de souverainetés locales qui avaient puisé dans sa force et acquis, pour ainsi dire, sous son ombre, les conditions

Germanique, du comte de Bünau, t. II, p. 872-930, in-40. Leipzig, 1732.

de la réalité et de la durée. En sorte que sous ce second point de vue, et en pénétrant au delà des apparences, il a beaucoup fait et beaucoup fondé.

Je pourrais vous le montrer, messieurs, accomplissant et laissant dans l'Église des résultats analogues. Là aussi, il a arrêté la dissolution jusqu'à lui toujours croissante: là aussi, il a donné à la société le temps de se reprendre, d'acquérir quelque consistance et d'entrer dans de nouvelles voies. Mais l'heure me presse il faut que je vous parle encore aujourd'hui de l'influence de Charlemagne dans l'ordre intellectuel, et de la place qu'a occupée son règne dans l'histoire de l'esprit humain; à peine pourrai-je vous en indiquer les principaux traits.

Il est encore plus difficile ici que partout ailleurs de résumer les faits, et de les présenter en forme de tableau. Les actes de Charlemagne en faveur de la civilisation morale ne forment aucun ensemble, ne se manifestent sous aucune forme systématique; ce sont des actes isolés, épars, tantôt la fondation

de certaines écoles, tantôt quelques mesures prises pour le perfectionnement des offices ecclésiastiques et le progrès de la science qui en dépend ; ailleurs, des recommandations générales pour l'instruction des clercs et des laïques; le plus souvent une protection empressée pour les hommes distingués, et un soin particulier de s'en entourer. Il n'y a rien là de systématique, rien qu'on puisse apprécier par le simple rapprochement des chiffres et des mots. Je voudrais cependant, d'un seul coup et sans entrer encore dans les détails, mettre sous vos yeux quelques faits qui vous donnassent une idée de ce genre d'action de Charlemagne dont on parle beaucoup plus qu'on ne la connaît. Il m'a paru qu'un tableau des hommes célèbres morts ou nés sous son règne, c'est-à-dire des hommes célèbres qu'il a employés et de ceux qu'il a faits, atteindrait assez bien à ce but; cet ensemble de noms et de travaux peut être pris comme une preuve certaine, et même comme une mesure assez exacte de l'influence de Charlemagne sur les esprits.

TABLEAU DES HOMMES CÉLÈBRES NÉS OU MORTS sous le règne de charlemagne.

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de

9o Wala (surnommé

Austrasie.

836

Conseiller de Louis

Arsène et Jérémie).

10° Amalaire

Austrasie.

837

Chef de l'école

(surnommé

Symphosius).

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Seligenstadt.

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Archevêque

Lyon.

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Il a joué un grand rôle dans les révolutions du règne de Louis le Débonnaire.

1o La Règle des Chanoines; 20 Un grand traité des offices ecclésiastiques; 3o Des let

tres.

1o La Vie de Charlemagne ; 2o Des Annales; 3o des lettres.

10 Des écrits théologiques, empreints de l'esprit de réforme; 2o Des lettres; 3° Quelques poésies.

La vie de Louis le Débonnaire.

51 ouvrages de théologie, de morale, de philosophie, de philologie, chronologie, des lettres, etc.

10 Un Commentaire sur toute la Bible; 2o Une vie de saint Gall; 3o Plusieurs autres écrits théologiques; 4o Des poésies, entre autres un poëme descriptif, hortulus.

L'Histoire des dissensions des fils de Louis le Débonnaire.

Beaucoup d'écrits théologiques, ayant la plupart un caractère polémique. Le prin cipal est une réfutation de JeanErigène. Des poésies, entre autres la complainte sur le démembrement de l'Empire après Louis le Débonnaire.

Des écrits théologiques, entre autres sur la prédestination et contre Jean Erigène.

1 Des écrits théologiques, entre autres sur la prédestination; 2o Des lettres; Une histoire des Empereurs (perdue).

Des écrits théologiques, entre autres son ouvrage sur le Sacrement de l'Autel, ou le Corps et le Sang de J.-C.

Des écrits théologiques, entre autres sur la transsubstantiation et la prédestination.

Ses écrits pour la prédestination.

Plusieurs ouvrages philosophiques, entre autres : 1° De la Prédestination Divine; 20 De la Division des Natures.

Certes, messieurs, un tel tableau suffit pour prouver qu'à cette époque, et sous l'étoile de Charlemagne, l'activité intellectuelle fut grande. Rappelez-vous les temps dont nous sortons; rappelez-vous que, du vie au VIIe siècle, nous avons eu grand'peine à trouver quelques noms, quelques ouvrages; que des sermons et des légendes sont presque les seuls monuments que nous ayons rencontrés. Ici, au contraire, vous voyez reparaître, et presque tout

à coup, des écrits philosophiques, historiques, philologiques, critiques; vous vous retrouvez en face de l'étude et de la science, c'est-à-dire de l'activité intellectuelle pure, désintéressée, du mouvement propre de l'esprit humain. Je vous entretiendrai bientôt avec plus de détails de ces hommes et de ces travaux que je viens de nommer, et vous verrez qu'ils commencent bien réellement une époque nouvelle, et méritent la plus sérieuse attention.

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