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Et de ses vœux troublés lui rapportant l'hommage,
Soupirer à ses pieds moins d'amour que de rage.
Ainsi n'attendez pas que l'on puisse aujourd'hui
Vous répondre d'un cœur si peu maître de lui:
Il peut, Seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu'il hait, et punir ce qu'il aime1.

ORESTE.

Mais dis-moi de quel œil Hermione peut voir
Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir ??

PYLADE.

Hermione, Seigneur, au moins en apparence,
Semble de son amant dédaigner l'inconstance,
Et croit que trop heureux de fléchir sa rigueur3,
Il la viendra presser de reprendre son cœur.
Mais je l'ai vue enfin me confier ses larmes.
Elle pleure en secret le mépris de ses charmes.
Toujours prête à partir et demeurant toujours,
Quelquefois elle appelle Oreste à son secours.

ORESTE.

Ah! si je le croyois, j'irois bientôt, Pylade,
Me jeter....

PYLADE.

Achevez, Seigneur, votre ambassade.
Vous attendez le Roi. Parlez, et lui montrez
Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés.
Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse,
Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse.

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1. Racine avait écrit perdre, qu'il aura jugé équivoque et faible. 2. On lisait d'abord et ses yeux sans pouvoir. Subligny railla ce galimatias de quel œil elle voit ses yeux (III, 8).

3. Fléchir il y avait d'abord apaiser, que Subligny (Préface) critiqua comme impropre.

Plus on les veut brouiller, plus on va les unir.
Pressez, demandez tout, pour ne rien obtenir.

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Il vient.

ORESTE.

Hé bien! va donc disposer la cruelle A revoir un amant qui ne vient que pour elle.

SCÈNE II1

PYRRHUS, ORESTE, PHOENIX.

ORESTE.

Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,
Souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix3,
Et qu'à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d'Achille et le vainqueur de Troie.
Oui, comme ses exploits nous admirons vos coups:
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous;
Et vous avez montré, par une heureuse audace,
Que le fils seul d'Achille a pu remplir sa place.
Mais ce qu'il n'eût point fait, la Grèce avec douleur
Vous voit du sang troyen relever le malheur,
Et vous laissant toucher d'une pitié funeste,

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1. On pourrait comparer à cette scène la scène de l'acte IV du Pausanias de Quinault, où Aristide au nom des Grecs réclame à Pausanias la fille d'un ennemi commun de la Grèce. Mais Pausanias est sans doute de l'année 1668. S'il y a une imitation, elle est de Quinault, non de Racine.

2. Graiorum omnium, Procerumque vox est, dit Ulysse dans Sénèque (Troas, 524-5), lorsqu'il réclame Astyanax à Andromaque.

3. Var. Souffrez que je me flatte en secret de leur choix (1668-73). En secret « est un bon galimatias », dit Subligny dans sa Préface. 4. Tout le passage a été critiqué par Subligny. Il trouve un manque de netteté dans les possessifs: ses exploits, sa place. Il voudrait Troie tomba, Hector expira.

D'une guerre si longue entretenir le reste.

Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector 1?
Nos peuples affoiblis s'en souviennent encor.
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles;
Et dans toute la Grèce il n'est point de familles
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
D'un père ou d'un époux qu'Hector leur a ravis.
Et qui sait ce qu'un jour ce fils peut entreprendre?
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre,
Tel qu'on a vu son père embraser nos vaisseaux,
Et, la flamme à la main, les suivre sur les eaux.
Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense?
Vous-même de vos soins craignez la récompense,
Et que dans votre sein ce serpent élevé
Ne vous punisse un jour de l'avoir conservé.
Enfin de tous les Grecs satisfaites l'envie,
Assurez leur vengeance, assurez votre vie;
Perdez un ennemi d'autant plus dangereux
Qu'il s'essaîra sur vous à combattre contre eux.

PYRRHUS.

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée2.
De soins plus importants je l'ai crue agitée,
Seigneur; et sur le nom de son ambassadeur,
J'avois dans ses projets conçu plus de grandeur.
Qui croiroit en effet qu'une telle entreprise
Du fils d'Agamemnon méritât l'entremise;
Qu'un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
N'eût daigné conspirer que la mort d'un enfants?

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1. Comparez Sénèque, Troas, 524-555. L'imitation, s'il y en a, est très peu serrée. Sénèque insiste sur la crainte des Grecs, Racine surtout sur leur désir de vengeance.

2. Est inquiétée, s'inquiète. C'est le contraire qui se rencontre surtout au xvn siècle, le verbe pronominal au lieu du passif.

3. Andromaque, dans Sénèque, accuse Ulysse d'être seulement fortis in pueri necem (v. 753), « brave pour le meurtre d'un enfant ».

Mais à qui prétend-on que je le sacrifie?

La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie?
Et seul de tous les Grecs ne m'est-il pas permis
D'ordonner d'un captif que le sort m'a soumis1?

Oui, Seigneur, lorsqu'au pied des murs fumants de Troie 2 185 Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,

Le sort, dont les arrêts furent alors suivis,

Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
Hécube près d'Ulysse acheva sa misère3;
Cassandre dans Argos a suivi votre père :

Sur eux, sur leurs captifs ai-je étendu mes droits?
Ai-je enfin disposé du fruit de leurs exploits?

On craint qu'avec Hector Troie un jour ne renaisse *;
Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse.
Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin
Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.
Je songe quelle étoit autrefois cette ville,
Si superbe en remparts, en héros si fertile,
Maîtresse de l'Asie; et je regarde enfin

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1. Ce sentiment de barbare a pu être inspiré à Racine par la dispute d'Achille et d'Agamemnon au 1er livre de l'Iliade (cf. v. 111 et 161162).

2. Allusion aux Troyennes d'Euripide (vers 239 et suiv.), où le partage est raconté.

3. Misère, malheur : emploi courant alors. Mais acheva sa misère est un tour concis pour acheva sa vie misérable.

4. Il se fait ici un mélange de Sénèque et d'Euripide:

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Futurus Hector: libera nos hoc metu (Troas, 549-550).

« Une grande cause émeut les Grecs, Hector peut revivre : affranchisnous de cette crainte. »>

Τί τόνδ', Ἀχαιοὺς παῖδα δείσαντες, φόνον
καινὸν διειργάσασθε; μὴ Τροίαν ποτὲ
πεσοῦσαν ὀρθώσειεν... (Troyennes, 1156-8).

« Quelle raison avez-vous, Grecs, de craindre cet enfant et d'exécuter co meurtre? Craignez-vous qu'il ne relève Troie aujourd'hui renversée? »

Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin,
Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes,
Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes,
Un enfant dans les fers; et je ne puis songer
Que Troie en cet état aspire à se venger1.
Ah! si du fils d'Hector la perte étoit jurée,
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée?
Dans le sein de Priam n'a-t-on pu l'immoler?
Sous tant de morts, sous Troie il falloit l'accabler.
Tout étoit juste alors: la vieillesse et l'enfance
En vain sur leur foiblesse appuyoient leur défense2;
La victoire et la nuit, plus cruelles que nous,
Nous excitoient au meurtre, et confondoient nos coups.
Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère3.
Mais que ma cruauté survive à ma colère?

Que malgré la pitié dont je me sens saisir,
Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir?

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[proie;

Non, Seigneur. Que les Grecs cherchent quelque autre

1. Sénèque An has ruinas urbis in cinerem datas

Hic excitabit? Hæ manus Trojam erigent?
Nullas habet spes Troja, si tales habet.

Non sic jacemus Troes, ut cuiquam metus
Possimus esse. (738-741.)

«Est-ce lui qui relèvera la ville aujourd'hui ruinée, incendiée? Sontce là les mains qui rebâtiront Troie? Troie peut désespérer si elle n'a plus d'autre espoir. Notre chute est telle, que nous ne devons plus faire peur à personne. »

2. Appuyaient leur défense se défendaient par, fondaient leur défense sur. Cet emploi du verbe appuyer est ordinaire chez Racine, et de la langue courante du temps.

3. Sévère impitoyable.

4. Agamemnon dit dans Sénèque à Pyrrhus réclamant la mort de Polyxène :

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« Il est impossible de régler la colère, l'ennemi furieux, la victoire nocturne. »>

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