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SECONDE PRÉFACE*

VIRGILE

AU TROISIÈME LIVRE

DE L'ÉNÉIDE

C'est Énée qui parle.

Littoraque Epeiri legimus, portuque subimus
Chaonio, et celsam Buthroti ascendimus urbem....
Solemnes tum forte dapes et tristia dona....
Libabat cineri Andromache, Manesque vocabat
Hectoreum ad tumulum, viridi quem cespite inanem,
Et geminas, causam lacrymis, sacraverat aras....
Dejecit vultum, et demissa voce locuta est :

« O felix una ante alias Priameïa virgo,
Hostilem ad tumulum, Trojæ sub moenibus altis,
Jussa mori! quæ sortitus non pertulit ullos,
Nec victoris heri tetigit captiva cubile.
Nos, patria incensa, diversa per æquora vectæ,
Stirpis Achilleæ fastus, juvenemque superbum,
Servitio enixæ, tulimus, qui deinde secutus
Ledæam Hermionem, Lacedæmoniosque hymenæos....
Ast illum, ereptæ magno inflammatus amore
Conjugis, et scelerum Furiis agitatus, Orestes
Excipit incautum, patriasque obtruncat ad aras. »

1. 1676 et éditions suivantes.

Voilà, en peu de vers, tout le sujet de cette tragédie. Voilà le lieu de la scène, l'action qui s'y passe, les quatre principaux acteurs, et même leurs caractères. Excepté celui d'Hermione, dont la jalousie et les emportements sont assez marqués dans l'Andromaque d'Euripide.

C'est presque la seule chose que j'emprunte ici de cet auteur. Car, quoique ma tragédie porte le même nom que la sienne, le sujet en est pourtant très-différent. Andromaque, dans Euripide, craint pour la vie de Molossus, qui est un fils qu'elle a eu de Pyrrhus et qu'Hermione veut faire mourir avec sa mère. Mais ici il ne s'agit point de Molossus. Andromaque ne connoît point d'autre mari qu'Hector, ni d'autre fils qu'Astyanax. J'ai cru en cela me conformer à l'idée que nous avons maintenant de cette princesse. La plupart de ceux qui ont entendu parler d'Andromaque, ne la connoissent guère que pour la veuve d'Hector et pour la mère d'Astyanax. On ne croit point qu'elle doive aimer ni un autre mari, ni un autre fils. Et je doute que les larmes d'Andromaque eussent fait sur l'esprit de mes spectateurs l'impression qu'elles y ont faite, si elles avoient coulé pour un autre fils que celui qu'elle avoit d'Hector.

Il est vrai que j'ai été obligé de faire vivre Astyanax un peu plus qu'il n'a vécu ; mais j'écris dans un pays où cette liberté ne pouvoit pas être mal reçue. Car, sans parler de Ronsard, qui a choisi ce même Astyanax pour le héros de sa Franciade1, qui ne sait que l'on fait descendre nos anciens rois de ce fils d'Hector, et que nos vieilles chroniques sauvent la vie à ce jeune prince, après la déso

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1. Ronsard en publia les quatre premiers chants en 1572: ce sont les seuls qu'il ait faits. Il me parait probable que c'est Subligny qui a fourni à Racine l'idée de s'abriter derrière Ronsard (Folle querelle, II, 10). Il est vrai qu'il n'admettait pas l'excuse, que Racine, réflexion faite, aura trouvée bonne.

2. Ainsi les Chroniques de France, ou Chroniques de Saint-Denis depuis les Troyens jusqu'à la mort de Charles VII (1476). Ou bien les

lation de son pays, pour en faire le fondateur de notre monarchie?

Combien Euripide a-t-il été plus hardi dans sa tragédie d'Hélène! Il y choque ouvertement la créance commune de toute la Grèce. Il suppose qu'Hélène n'a jamais mis le pied dans Troie; et qu'après l'embrasement de cette ville, Ménélas trouve sa femme en Égypte, dont elle n'étoit point partie. Tout cela fondé sur une opinion qui n'étoit reçue que parmi les Égyptiens, comme on le peut voir dans

Hérodote1.

Je ne crois pas que j'eusse besoin de cet exemple d'Euripide pour justifier le peu de liberté que j'ai prise. Car il y a bien de la différence entre détruire le principal fondement d'une fable, et en altérer quelques incidents, qui changent presque de face dans toutes les mains qui les traitent. Ainsi Achille, selon la plupart des poëtes, ne peut être blessé qu'au talon, quoique Homère le fasse blesser au bras et ne le croie invulnérable en aucune partie de son corps. Ainsi Sophocle fait mourir Jocaste aussitôt après la reconnoissance d'Edipe, tout au contraire d'Euripide, qui la fait vivre jusqu'au combat et à la mort de ses deux fils 5. Et c'est à propos de quelque contrariété de cette nature qu'un ancien commentateur de Sophocle remarque fort bien, « qu'il ne faut point s'amuser à chicaner les

Chroniques et Annales de France, depuis la destruction de Troie jusqu'au roi Louis unziesme, par Nicole Gilles (1492): il s'en fit encore une édition en 1617. Denys d'Halicarnasse (Antiq. Rom., I, 47) et Strabon (XIII) donnent certaines traditions qui font survivre Astya

nax.

1. L. II, ch. CXIII-CXV.

2. Sur les changements qu'on peut faire à l'histoire, voyez l'opinion de Corneille, 2o discours.

3. Iliade, XXI, 167.

4. OEdipe roi, 1224 et suiv.

5. Phéniciennes, 1456 et suiv.

6. Sophoclis Electra (Note de Racine). — D'après M. Paul Mesnard, Racine vise ici un passage du commentaire de Camerarius (1603), sur

poëtes pour quelques changements qu'ils ont pu faire dans la fable; mais qu'il faut s'attacher à considérer l'excellent usage qu'ils ont fait de ces changements, et la manière ingénieuse dont ils ont su accommoder la fable à leur sujet ».

les vers 540-542 de l'Electre mais sa traduction fait dire à Camerarius bien plus qu'il n'a voulu dire.

ACTEURS

ANDROMAQUE, veuve d'Hector, captive ae Pyrrhus1.

PARC.

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HERMIONE, fille d'Hélène, accordée avec Pyrrhus*.
EILLETS.

PYLADE, ami d'Oreste.

CLÉONE, confidente d'Hermione.

CÉPHISE, confidente d'Andromaque.

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MLLE DU

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PHOENIX, gouverneur d'Achille, et ensuite de Pyrrhus.
SUITE D'ORESTE.

La scène est à Buthrot, ville d'Épire, dans une salle du palais

de Pyrrhus.

1. Mlle du Parc, à qui Corneille avait adressé ses jolies stances à la Marquise, venait de quitter la troupe de Molière où elle avait joué Axiane dans Alexandre: elle mourut en 1668.

2. Floridor est un des fameux comédiens du xvII° siècle. C'était un gentilhomme originaire de la Brie; il se nommait Josias de Soulas, et avait servi dans les gardes-françaises. Il était à l'Hôtel de Bourgogne depuis 1643.

3. Montfleury devait faire un singulier Oreste : il était très vieux et mourut à la fin de cette année 1668. C'est à lui que fait allusion Molière, quand il demande par raillerie qu'un roi de tragédie soit « gros et gras, entripaillé comme il faut, et d'une vaste circonférence ». Il avait un jeu forcené, et était en grande réputation.

4. Mlle des Eillets avait quarante-six ans : c'était une Hermione un peu marquée petite, maigre, et très adroite comédienne. Elle mourut en 1670.

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