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au cœur de l'envie! Cette dernière expression, qui marque de la recherche, annonce un écrivain qui n'est point formé. Ce qui retentit n'est point amer; il affecte le sens de l'ouïe, et non pas celui du goût.

On trouve le même défaut d'accord et d'intelligence du style dans cette phrase: A l'analyse de son talent, il doit joindre le tableau de son influence; et cette influence créatrice, il doit la signaler dans le développement du génie national et dans la grandeur de son siècle. Un homme qui a fait de bonnes études, et qui connoît la racine du mot influence, qui par conséquent a dans l'esprit la figure sensible que ce mot exprime, n'imaginera jamais de mettre cette influence en tableau; il se gardera bien' surtout de vouloir ajouter le tableau d'une influence à l'analyse d'un talent, parce qu'il sait qu'il n'y a pas plus de rapport entre ces expressions qu'entre la peinture et l'algèbre. Pour ce qui est de signaler cette influence dans le développement et dans la grandeur, c'est une phrase si mauvaise, une tournure si baroque et si forcée, que l'écrivain qui est capable d'écrire de cette manière dans le début d'un discours d'appareil, doit oublier tout ce qu'il peut avoir d'heureuses dispositions pour ne sentir que la nécessité de perfectionner ses études, et peut-être même de les refaire; car, il faut le dire, il est plus utile que des éloges: la nature de ces fautes décèle une diction vicieuse dans ses principes; plus on aura de goût, plus on y sera sensible, et on se demandera: où sont donc les défenseurs de la pureté de la langue, de ce mérite fondamental, sans lequel on ne peut être qu'un méchant écrivain, quelqu'éminentes qualités qu'on possède d'ailleurs, Et où en sommes-nous, si nous joignons la présomption d'écrire à l'ignorance des premières règles du style? On voit ici le caractère de cet âge malheureux

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qui, n'ayant point connu la politesse des anciennes étades, est condamné à demeurer barbare au centre du goût, et qui, avec toutes les ressources du talent, ne distinguera jamais ni Lucain de Virgile, ni Voltaire de Racine.

Soit conviction, soit complaisance, M. Fabre paroît bien sûr que nous possédons én France trois poëtes tragiques du même vol. Il ne le prouve pas sans doute ; mais il n'oublie rien du moins pour en paroître bien persuadé. C'est un principe de foi pour cette école de littérature qui s'est formée sous l'ascendant de celui-là même qui avoit intérêt de leur inspirer de telles opinions; école où, comme le témoigne M. Fabre, on a commencé par décrier les premiers maîtres de la scène pour faciliter l'élévation de celui qui vouloit s'établir sur leurs ruines, et où l'on s'estime aujourd'hui trop heureux de pouvoir accoler le nom de Voltaire à celui de Racine, afin de maintenir entr'eux quelqu'apparence d'égalité. Grâce à ce manége, on pourra disputer quelque temps encore dans les coteries littéraires sur cette prétendue égalité, et les jeunes gens qui connoissent si peu le fond des véritables beautés du style, pourront comparer des romans écrits au courant de la plume, à des chefsd'oeuvre mûris et perfectionnés par un long travail. Mais aux yeux des connoisseurs de toutes les nations, il y aura toujours un immense intervalle entre l'auteur de Cinna et celui de Mahomet. Aux yeux d'un homme de goût, il l'infini entre le style d'Athalie et celui de Zaïre. Eh! que dis-je ? aux yeux du simple bon sens, quelle parité peut-on établir entre ces grands écrivains, lorsque tous les termes de comparaison nous manquent à la fois; lorsque nous voyons le premier créer les ressorts de l'art dramatique avec une force de génie incomparable; et le second porter tous les genres de style et de

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poésie à la perfection la plus ravissante; lorsqu'ensuite le troisième, trouvant la carrière ouverte et aplanie, et n'ayant plus qu'à marcher sur les traces de ses maîtres, demeure cependant à une si grande distance de l'un et de l'autre, soit pour l'invention des caractères et la conduite régulière de la scène, soit pour la richesse, la correction et l'harmonie du style; quelle parité, encore une fois, peut-on découvrir dans une infériorité si évidente et si palpable?

C'est là la question que M. Fabre n'a eu garde d'entainer; et s'il faut convenir qu'il ne lui appartenoit pas de la résoudre, assurément il lui appartenoit bien moins encore de la décider sans examen. Du reste, je me plais à reconnoître qu'il y a assez de talent dans son discours pour nous donner des espérances meilleures que son ouvrage, s'il veut se former à une école plus pure que celle qu'il paroît avoir suivie jusqu'à présent, et si l'ivresse du succès ne l'empêche pas de sentir le besoin de l'étude. Son style a autant de naturel que peut en avoir un morceau de déclamation sur des idées communes, qu'il étoit plus facile de réchauffer par quelques éclats de verve, que d'approfondir par de nouvelles réflexions sur l'art dramatique. Il est aisé de sentir que des dissertations telles que nous les demandons, conduiroient naturellement l'esprit à ces pensées judicieuses, à ces recherches fines et profondes, tandis que ce mauvais genre d'éloquence académique qu'on s'obstine à cultiver, malgré l'ennui universel qu'il ́ins~ pire, réduit nos jeunes écrivains à la triste nécessité de se battre les flancs pour donner un air d'inspiration à des idées rebattues.

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Plus éloquent, mais moins raisonnable que la plupart de ses rivaux, M. Fabre a eu le malheur de fonder tout son discours sur une idée fausse, ou du moins exagérée,

Il n'a fait que commenter ce mot de Voltaire : le génie de Corneille a créé tout en France; et dans la manière dont il l'explique, il me paroît avoir pris exactement l'inverse de la question qu'il falloit traiter; car au lieu d'admettre avec tous les gens de lettres sensés, qu'un grand poëte étudie les mœurs et les sentiments de sa nation pour peindre la société où il vit, ce qui est le sûr moyen de lui plaire, M. Fabre a imaginé que Corneille avoit tiré de son esprit un ordre d'idées et de passions inconnu chez les Français, et qu'ensuite, par une force incompréhensible, il avoit élevé son siècle à la hauteur de ses pensées. C'est-là une de ces imaginations que l'enthousiasme seul peut produire, mais qui ne sont appuyées ni sur l'expérience, ni sur la raison. Si c'étoit ici le lieu de traiter cette question même, on feroit voir à M. Fabre que, long-temps avant Corneille, il existoit non-seulement en France, mais dans toute l'Europe, un fond d'idées et de sentiments sublimes sur la force des devoirs, sur la grandeur et la délicatesse des sacrifices que la passion doit souffrir; enfin, sur la beauté de la vertu et de l'honneur, source d'héroïsme d'où s'est répandu cet esprit de l'ancienne chevalerie qu'on peut regarder comme l'ame de notre théâtre. Corneille a eu le mérite de creuser le premier cette source féconde; et c'est de là qu'il a tiré cette hauteur d'expressions et de pensées, ce sublime de l'ame avec lequel il a peint les Romains plus grands qu'ils n'étoient. Il a donc seulement transporté sur le théâtre et fait parler avec une majesté inconnue avant lui, cet esprit que sa nation a reconnu avec des cris d'admiration dans les caractères du Cid et de Chimène, de Sévère, de Pauline, de Polyeucte, et même dans celui d'Auguste, puisque ce prince, dans ses retours sur luimême et dans l'expression de sa clémence ; développe

des sentiments qui n'appartenoient pas aux anciens. Cette manière d'envisager la question est, si je ne me trompe, tout autrement vraie que celle de M. Fabre, et elle mèneroit à décider de la prééminence entre le théâtre grec et la scène française, s'il convenoit de s'engager ici dans une discussion aussi étendue. Z.....

XL.

Sur LE VOYAGEUR, pièce qui a remporté le prix de poésie de l'Académie française, par M. Mil

levoie,

Le sujet proposé par l'Académie étoit un sujet vague, et qui ne devoit pas moins embarrasser les juges que les concurrents; aussi le prix a-t-il été remis, quoiqu'au premier coup d'oeil le Voyageur ne parut être qu'un lieu commun, sans difficultés, sous le rapport de l'invention, et qui n'exigeoit que quelque talent et quelque habitude d'assembler des rimes. L'Académie ne devroit jamais proposer que des matières que l'on pût aisément renfermer dans le cadre d'une pièce de concours; peutêtre aussi devroit- elle toujours indiquer le genre dans lequel il faudroit traiter le sujet : chaque genre a son caractère, sa couleur, son style qui lui est propre; cette indication deviendroit une donnée qui serviroit à régler les idées des concurrents, et qui forceroit même l'Académie à ne choisir que des sujets dont l'étendue fût proportionnée à la nature et aux ressources du genre qu'elle détermineroit.

On pourroit composer sur les voyages un très long poëme : la matière n'est que trop riche et trop abon

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