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vants et des gens d'esprit? A considérer même la richesse dans les nations, l'extrême misère ne touche-telle pas à l'extrême opulence, et la nation qui compte le plus de millionnaires, n'est-elle pas toujours celle qui renferme le plus d'indigents? Qu'on lise les Recherches sur la mendicité en Angleterre, par Morton Eden, et l'on y verra des villes, même considérables, où la moitié des habitants est à la charge du bureau de charité. Tout peuple qui est content de son sort, est toujours assez riche; et, sous ce rapport, la stérile Suède étoit aussi riche que la pécunieuse Hollande, et eût été beaucoup plus forte. La richesse d'une nation n'est pas les impôts qu'elle paie : car les impôts sont des besoins et non un produit; et l'excès des besoins est plutôt un signe de détresse que la mesure de la richesse. Je le répète, la richesse d'une nation est sa force; et sa force est dans sa constitution, dans ses moeurs, dans ses lois, et non dans son argent. On peut même assurer qu'à égalité de territoire et de population, la nation la plus opulente, c'est-à-dire, la plus commerçante, sera la plus foible, parce qu'elle sera, la plus corrompue, et de la pire de toutes les corruptions, la corruption de la cupidité.

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On peut le dire aujourd'hui, que tout est consommé; on peut le dire, non comme un reproche pour le passé, mais comme une leçon pour l'avenir : c'est moins le fanatisme politique, qui n'égaroit qu'un petit nombre d'esprits, que la cupidité universelle produite par les nouveaux systèmes sur l'argent, et par le relâchement de tous les principes de morale, qui a fait descendre la société chrétienne, chez le peuple le plus généreux et le plus éclairé, au-dessous même de ces ignobles et délirantes démagogies païennes, qui ne jugeoient que sur des délations, ne gouvernoient que par des supplices,

ne vivoient que de confiscations ; et où l'exil, la mort, étoient le prix inévitable de la vertu, et la proscription, la condition nécessaire de la propriété.

Nous nous croyons riches, et nous le sommes effec÷ tivement de biens artificiels. Mais les vrais biens s'épuisent, et la nature semble s'appauvrir. Il y a peu de villes en France où il ne soit bientôt plus aisé de se procurer un meuble de bois d'acajou qu'une poutre de bois de chêne pour soutenir le toit de sa maison. Le bois à brûler coûte presqu'aussi cher que les aliments qu'il sert à préparer, et les toiles des Indes sont à meilleur compte que les draps faits de la laine de nos troupeaux. Comment se fait-il que les inventions modernes des arts se dirigent à la fois vers les jouissances du luxe les plus raffinées, et vers l'économie la plus austère sur les premiers besoins? La soupe du pauvre, dans les grandes villes, coûte moins que la pâtée d'un serin : le malheureux auroit une idée bien basse de ce qu'il vaut, s'il ne s'estimoit que par ce qu'il coûte.

On peut laver le linge avec de la fumée, éclairer ses appartements avec de la fumée, se chauffer avec de la vapeur, etc. Les machines remplacent l'homme; et même les éléments, s'il faut en croire M. de Condorcet, se convertiront un jour en substances propres à notre nourriture. Partout on prodigue l'art pour économiser la nature. J'applaudis à ces découvertes, et j'en admire les auteurs; mais peut-être faut-il s'affliger de la cause qui rend ces découvertes nécessaires et les hommes si inventifs. A mesure que le luxe gagne la société, les premières nécessités manqueroient-elles à l'homme ? Ces premiers dons de la nature que la Providence avoit départis d'une main libérale à tous ses enfants, et dont les peuples naissants sont si abondamment pourvus, commenceroient-ils à s'épuiser dans la société avancée, et,

comme des dissipateurs, après avoir consommé notre patrimoine, serions-nous réduits à chercher notre vie dans les moyens précaires de l'industrie? Nous faudrat-il désormais apprendre, dans les savantes décompositions de la chimie ou dans les inventions ingénieuses de la mécanique, l'art si facile de vivre, hélas ! et la vie physique deviendra-t-elle aussi pénible que la vie politique? Je ne sais ; mais nos grandes sociétés d'Europe ne ressemblent pas mal à une place assiégée depuis plusieurs années, où, après avoir épuisé les magasins, on a recours aux moyens les moins naturels. On se chauffe avec les meubles, on fait de l'argent avec du papier, des aliments de tout; et l'on prolonge, à force de privations, la douloureuse existence d'une garnison exténuée (1). B....D.

(1) En 1777, l'Académie de Marseille proposa au concours cette question: «Quelle a été dans tous les temps l'influence du commerce » sur l'esprit et sur les mœurs des peuples? » Le sujet fut traité, et le prix remporté par un compatriote de l'auteur, M. Liquier, négociant de Marseille, où il étoit universellement considéré par ses vertus et ses talents, mort en 1790, à l'Assemblée constituante, où il avoit été nommé dépaté. Il osa se décider contre le commerce, et prouva que le commerce extérieur ne tend qu'à accroître sans mesure les deux maux extrêmes de la société, l'opulence et la misère, et à consommer les richesses naturelles pour les remplacer par des richesses artificielles. C'est principalement au commerce et à ses innombrables besoins, qu'il attribue le dépérissement des bois, premier besoin des hommes civilisés. En effet, le défaut de combustible est une cause bien plus prochaine de dépopulation, que la rareté même de comestibles, parce que l'un se transporte de loin, et non pas l'autre. La révolution a fait dans ce genre des maux incalculables, et peut-être sans remède. Deux systèmes d'économie politiques ont régné en France: le système de Sully, système agricole, et par conséquent producteur et conservateur des richesses naturelles; le système de Colbert, système commercial et manufacturier, consommateur des richesses naturelles, et producteur des richesses artificielles. Le premier est plus favorable aux mœurs, à la force politique d'an état continental, et ajoute à l'aisance générale, parce

XXII.

LE THEATRE D'AGRICULTURE d'Olivier de Serres, seigneur du Pradel. Des Agromanès mo

dernes.

СЕТ

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ET ouvrage, publié par la Société d'agriculture de Paris, et confié aux soins des admirateurs les plus zélés d'Olivier de Serres, ne laissera rien sans doute à désirer, soit pour l'exactitude et la pureté du texte, soit pour l'abondance des notes qui l'accompagnent, soit enfin pour les éloges en tont genre prodigués à l'auteur et à son Théâtre. On remarquera peut-être du superflu dans ces deux dernières parties; c'est le caractère d'une admiration qui n'est point avare : et tant de mains se sont réunies pour couronner cc patriarche de l'agriculture française, qu'on ne sera point surpris de le voir comme accablé sous le poids des fleurs de réthorique que ces messieurs ont jetées à l'envi sur sa tombe. Il faut avouer qu'il se rencontre quelques pavots parmi ces fleurs; c'est encore un malheur inévitable dans ce mélange d'écrivains et de louanges mal assorties. Un livre si solide pouvoit se passer également de celles qui l'emqu'il alimente les petites manufactares de produits indigènes, etle le trafic intérieur qui sert à les faire circuler. Le second est plus favorable aux arts, à la force maritime d'un état insulaire, et il élève de grandes fortunes par les fabriques d'objets de luxe et de productions étrangères, que le commerce extérieur importe brutes et exporte manufacturées. La France ne peut pas balancer entre ces deux systèmes; car les mener de front paroît impossible, comme il le seroit à un particulier d'exploiter une grande métairie, et de suivre en même temps de grandes opérations de commerce. (Note de l'AuLeur.)

bellissent et de celles qui le déparent. Mais si leur profusion importune, blesse quelquefois le bon goût, elle irrite toujours la curiosité, et ne fait que rendre le lecteur plus avide et plus impatient d'arriver au sujet.

Ce sujet se recommande assez de lui-même à l'attention de cette foule d'agronomes qui, réunis en sociétés dans la plupart de nos villes, travaillent à faire fleurir l'agriculture du fond de leur cabinet, l'ouvrage d'Olivier de Serres sera pour eux un livre classique et le plus propre à suppléer, s'il est possible, aux leçons de l'expérience. Mais son utilité ne se bornera point à cette classe d'amateurs qui discourent plus ou moins pertinemment de la théorie. Destiné à faire l'ornement des bibliothèques, il peut aussi devenir le manuel des propriétaires qui font valoir leurs domaines, ou qui en surveillent la culture. Il peut mettre un frein aux espérances ambitieuses. de ces spéculateurs économistes qui tourmentent le sol pour en tirer des produits usuraires, ou qui s'épuisent à chercher de nouvelles sources d'industrie. Quant aux agriculteurs de profession, ceux qui sont doués d'un esprit observateur, ils étudient leur art sur un théâtre plus vaste et plus instructif que celui de notre Olivier; les autres ne lisent jamais : tous les traités du monde ne leur donneroient pas une étincelle de cet esprit qui découvre et qui recule les bornes de la science; le livre même de la nature est inutilement ouvert devant leurs yeux.

Mais il ne faut pas non plus s'imaginer que cet ouvrage, composé vers la fin du seizième siècle, ne soit qu'un tissu de découvertes, comme si Olivier de Serres eût créé l'agriculture : c'est une fiction poétique qu'il faut savoir apprécier dans les éloges pompeux des

éditeurs.

Ils vous peignent le seigneur du Pradel comme un nouveau Triptolème, et peu s'en faut qu'ils ne nous

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