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été tué chez sa maîtresse : un prêtre de Pampelune, appelé Michel, s'était emparé du précieux papier et l'avait fait passer au Roi Catholique. Le roi de Navarre s'était engagé, disait-on, à attaquer la Castille au premier signal; le roi de France lui rendait le duché de Nemours, toutes les terres de Gaston de Foix, tous les domaines enlevés aux Albret; il lui promettait, en outre de l'aider à reconquérir sur la Castille, tous les pays usurpés par cette couronne, jusqu'à deux milles de Burgos 1.

Le véritable traité n'allait pas si loin 2, mais les rois de Navarre s'engageaient à faire la guerre aux Anglais, et comme les Anglais, débarqués en Guipuzcoa, avaient partie liée avec Ferdinand, les rois de Navarre se trouvaient, de par les véritables traités de Blois, engagés contre le roi d'Aragon. Celui-ci se servit donc contre eux d'un prétexte faux dans la forme, mais vrai dans le fond. Reste la falsification du document invoqué... on connaît le peu de scrupules des politiques en ces affaires.

Le duc d'Albe se mit en marche le 19 juillet; le 21, il pénétra en Navarre; le 22, il bousculait les forces navarraises à Orquiate; le 23, il débouchait dans la plaine de Pampelune et le 24, il entrait dans la ville, que Jean d'Albret avait quittée la veille. Un mois plus tard, il ne restait aux Albret que les deux places d'Estella et de Tudela, qui se rendirent le 8 septembre.

Le 27 août, Martyr annonçait qu'une bulle pontificale était arrivée de Rome, jetant l'anathème sur les rois de Navarre, fauteurs du roi de France, que le pape devait bientôt déclarer quasi-excommunié 3.

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2 Les rois de Navarre obtenaient l'annulation de l'arrêt du Parlement de Toulouse qui avait déclaré le Béarn fief français; ils recevaient le comté de Nemours et 20,000 livres de rente pour eux et leurs enfants, mais ils s'engageaient à faire la guerre aux Anglais.

3 Ex urbe Roma plumbatae sunt membranae a Pontifice summo allatae bullae, Regem Navarrae anathematizantes quod arma sumere contra Regem Gallum, quem pro excommunicato Pontifex promulgabit, recuset. Petri Martyris. Epist. 497. 27 août 1512.

Cependant Ferdinand se brouillait avec les Anglais, qui repartaient furieux pour l'Angleterre ; le duc d'Angoulême rassemblant des troupes en Béarn, l'invasion de la Navarre paraissait imminente 1. Elle eut lieu en effet, mais sans succès. La Palisse, généralissime des troupes françaises, perdit du temps au siège de Roncal, arriva tard devant Pampelune, et après un mois de siège, dut battre en retraite (30 novembre). Une diversion tentée contre Saint-Sébastien avait échoué. La partie était perdue 2, et se terminait logiquement; les domaines hybrides des Albret, en équilibre instable sur les Pyrénées, venaient de craquer; la moitié espagnole retournait à l'Espagne; les Albret, princes français, restaient princes souverains de Béarn et grands feudataires de la couronne.

En vertu de la bulle Pastor ille cœlestis, du 21 juillet 1512, publiée en Espagne le 21 août, le Roi Catholique <«< confisque <«<le royaume de Navarre, après l'avoir justement conquis, avec <«<l'autorisation de l'Eglise, et comme le droit le lui permet. Il << en garde la propriété, puisqu'il l'a occupé dans une guerre entreprise pour de justes motifs, comme l'a déclaré Sa Sainteté, << et dans l'intention de s'indemniser des frais de son expédition,

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frais si élevés qu'ils égalent la valeur du royaume confisqué. » Il prend donc le titre de roi de Navarre et se fait prêter serment en cette qualité par tous les habitants du pays.

Cette confiscation était tellement contraire aux principes du droit féodal, tellement énorme aux yeux de tous, que Ferdinand sentit le besoin d'appuyer son droit sur un document irréfragable. La bulle Pastor ille cœlestis excommuniait bien les rois de Navarre, mais sans les nommer expressément. Ferdinand fit solliciter en cour de Rome une nouvelle bulle plus explicite, et il l'obtint. La bulle Exigit contumacium obstinata protervitas

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excommunia nommément les rois Jean et Catherine, mais cette bulle, datée du 18 février 1513, alors que Jules II mourut trois jours plus tard, reste très suspecte et ressemble beaucoup à un texte fabriqué 1. Ferdinand en reconnut si bien la physionomie louche qu'il n'osa la publier; la bulle Pastor ille cœlestis suffisait d'ailleurs à rassurer sa conscience formaliste et peu scrupuleuse.

LES DERNIÈRES ANNÉES DU ROI CATHOLIQUE

La conquête de la Navarre fut la dernière grande entreprise du Roi Catholique et son chef-d'œuvre, si l'on n'a égard qu'à la maîtrise déployée par lui dans la conduite de cette affaire. Toute sa politique à partir de ce moment 2 tend uniquement à la conservation de sa conquête. Il emploie dans ce but tous les moyens et en joue avec l'habileté et l'astuce d'un jongleur consommé. Il exploite l'affection que Louis XII a conservée à sa nièce Germaine de Foix; par son entremise, il fait échec aux Albret. Ces princes ne sont pas compris dans la trêve qu'il signe le 1er avril 1513 avec le roi de France 3; il en profite pour faire occuper la Basse-Navarre, qui lui ouvre l'accès de la France 4.

1 Cf. la discussion très serrée de M. Boissonnade à ce sujet (p. 341-62). M. Boissonnade pense que la bulle fut rédigée à la hâte par les soins de l'ambassade d'Espagne et authentiquée in extremis avec la complicité de la daterie romaine. Il note dans le contexte de la bulle une différence de pureté assez notable avec le latin élégant de la bulle Pastor ille coelestis. Ajoutons que cette différence apparaît dès le second mot. M. Boissonnade écrivant toujours Exigit contumaciam, c'est évidemment la leçon du texte original; or le sens exige absolument Contumacium; comme le prouve la lecture de la première phrase : Exigit contumacium obstinata protervitas, et delinquentium exposcit insana temeritas.... D'autres fautes de ce genre se rencontrent dans le reste du document et accusent la hâte avec laquelle il fut rédigé.

2 Cf. Boissonnade. Livre IV, chap. 1 et 2.

3 Petri Martyris. Epist. 518.

4

20 mars 1513.

<< Il y aurait inhumanité, disait-il, à amputer un corps si beau d'un membre

« qui n'en était pas le plus frêle. » Cité par Boissonnade, p. 409.

Un peu plus tard, il demande que Germaine de Foix soit reconnue héritière de tous les domaines et de tous les droits de son frère Gaston. Dans le même temps, il enjoint à son ambassadeur de ne rien précipiter, s'il apprend que les entreprises du roi d'Angleterre et de l'Empereur ont quelque succès.

Quand Louis XII a perdu le Milanais (juin 1513), Ferdinand se rapproche des Anglais et Louis XII des Albret. Pour reprendre le roi de France, Ferdinand fait miroiter aux yeux de la reine Anne l'offre d'un mariage autrichien; Renée, seconde fille d'Anne et de Louis XII, épousera l'archiduc Ferdinand, petit-fils du Roi Catholique. La mort de la reine arrête les négociations: on se contente de renouveler la trêve avec la France pour se donner le temps de négocier. En septembre 1514, un accord, accepté par les Albret, rétablit les relations commerciales entre le Béarn, la Navarre et l'Aragon; ce n'est pas encore la paix; mais ce n'est plus la guerre. Ferdinand ne s'effraie même pas de voir le roi de France réconcilié avec le roi d'Angleterre. Il sait que Louis XII malade n'est pas disposé à rouvrir les hostilités 1.

François Ier l'inquiète beaucoup plus. Le nouveau roi s'annonce, en effet, comme favorable aux Albret. Il signe avec eux un traité d'alliance, le 23 mars 1515; il les fait comprendre dans le traité qu'il passe le 31 mars avec l'archiduc Charles, prince de Castille, et semble avoir obtenu de celui-ci la promesse de soumettre la question de Navarre à un arbitrage.

Ferdinand répond à cette timide menace par une manœuvre décisive. Il déclare la Navarre réunie et incorporée à la Castille (8 juin-11 juillet 1515). Charles est dès lors intéressé à maintenir le royaume dans la mouvance espagnole. « Vous connaissez la «justice de mes droits, lui écrit son aïeul; vous savez que j'ai << agi pour le bien et la sûreté de mes royaumes d'Espagne en

' Pierre Martyr plaisante lourdement sur les prétentions de Louis XII à la jeunesse. Epist. 542. Nov. 1514.

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<< m'en assurant la possession. Vous devez hériter un jour de << cet Etat comme des autres et je pense que vous ne consentirez << à rien qui soit contre vos propres intérêts. Aucun bon serviteur <<< ne vous conseillera autrement que je ne le fais et vous avez << trop de prudence et de discrétion pour ne pas me comprendre. »>1 Quand Ferdinand fut sur le point de mourir, les Albret lui envoyèrent deux religieux, qui purent pénétrer jusqu'à lui et essayèrent de réveiller sa conscience. Il leur répondit sans se troubler << qu'en la présence de la Mort, il se sentait la conscience «< aussi tranquille pour avoir conquis et gardé ce royaume que <«<lorsqu'il avait hérité de ses autres états. »

CONCLUSION

Pour juger impartialement l'œuvre de Ferdinand-le-Catholique, il faut tout d'abord demander aux contemporains ce qu'ils en ont pensé et nul témoignage n'est à cet égard plus intécelui de Machiavel.

ressant que

L'auteur du Prince raisonne de la politique comme de la géométrie; il pose des axiomes et les démontre par les faits.

Il déclare << que rien n'est si ordinaire et si naturel que le «< désir d'acquérir, et quand les hommes peuvent le satisfaire, <«< ils en sont plutôt loués que blâmés... Il est sans doute très <<< honorable aux princes d'être fidèles à leurs engagements, << mais... les princes qui dédaignent le rôle de renard n'entendent guère leur métier... Un prince prudent ne peut, ni ne doit, <<< tenir sa parole que lorsqu'il le peut sans se faire tort et que les << circonstances dans lesquelles il a contracté subsistent encore. » Faisant application de ces principes à Ferdinand, Machiavel avoue sans ambages « que le roi d'Aragon ne prêcha jamais que

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Carta del Rey Católico a su nieto el principe don British Museum. Fonds espagnol. Ms 544, pièce 69.

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