Imágenes de página
PDF
ePub

pisme, le socinianisme, le papisme, etc., elle s'avisa dé se demander enfin pourquoi elle s'était battue avec tant de fureur. Les beaux-esprits du pays se chargèrent de l'examen et du rapport. On vit alors sortir des presses de Londres et d'Edimbourg une foule d'écrits où l'on s'exprimait fort librement, où la théologie était fort mal traitée, où l'on ne reconnaissait d'autre autorité que celle du bon sens et de la raison, où l'on discutait les questions philosophiques les plus élevées, l'existence de Dieu, celle de l'âme, son immortalité, les fondemens de la loi naturelle et de la morale.

Hobbes fut le premier qui s'engagea dans cette carrière périlleuse : c'était un homme froidement enthousiaste. Né en 1588, il avait vu les guerres politiques et religieuses de son pays, et en avait frémi d'horreur. Attaché à la cause de Charles I, il n'avait pas abandonné sa famille dans son adversité. Il passa en France, donna des leçons au prince de Galles (depuis Charles II), et y commença ses premières recherches philosophiques. Ce fut en France qu'il composa, en latin, son livre du Citoyen. Il cherchait la vérité, mais en la cherchant trop loin, il passa le cercle où elle se tient renfermée, et tomba dans les plus grossières erreurs. Il contestait à Dieu son existence, à l'homme sa conscience, ne reconnaissait ni bien ni mal, ni vice ni vertu, et n'imposait à l'homme d'autre frein que celui des lois civiles. Une pareille philosophie bouleverserait les Etats; mais en bannissant de la terre la vertu, il la pratiquait : c'est un fait cer

tain qu'il était bon fils, bon ami, sujet fidèle, bon citoyen; il aurait sacrifié sa vie pour son prince, tant la nature a de force sur le cœur de l'homme, lors même qu'il fait tous ses efforts pour lui résister.

Après son traité du Citoyen, il en composa un autre du même genre, qu'il intitula Leviathan, titre bizarre qui couvrait des maximes aussi hardies que celles du Citoyen. On avait pardonné le premier péché; le second parut trop fort, et l'auteur fut obligé de quitter la France. Mais lorsque Charles II fut rétabli sur le trône, il trouva auprès de ce prince asile et protection.

Quand on écrit en latin, quand on professe l'athéisme et l'indifférence des actions humaines, on trouve rarement beaucoup de disciples. Les preuves de l'existence de Dieu sont trop éclatantes, les notions du juste et de l'injuste trop profondément gravées dans le cœur de l'homme, la pratique de la vertu trop utile à la société, pour qu'on puisse se ranger sous les enseignes de celui qui en prêche l'anéantissement. Je me défie de l'homme qui permet à son prochain de mettre sans scrupule sa main dans ma poche. La philosophie de Hobbes eut peu de succès; on le réfuta dans les écoles, mais personne ne lut son Leviathan.

On ne le persécuta point, et l'on fit bien. Si le procureur-général eût fait un réquisitoire contre lui, si l'on avait livré aux flammes ou le livre ou l'auteur, on lui aurait fait des partisans, et son école déserte aurait peut-être été recherchée.

L'Angleterre se montra plus sage que son philososophe. En France, le clergé eût lancé des anathêmes, le parlement se serait armé de réquisitoires, on aurait donné de l'éclat à un livre qui n'en avait point, on aurait peut-être brûlé l'auteur, ainsi qu'on avait brûlé, en 1546, le libraire Dolet; ainsi qu'on avait brûlé à Toulouse Vanini, en 1519; ainsi qu'on brûla depuis, en 1663, Simon Morin, qui n'était qu'un fou (1). Mais tandis qu'on brûlait en France Simon Morin pour des folies, l'Angleterre voyait une foule d'écrivains attaquer dans son sein les fondemens du christianisme, et ne s'en occupait pas. La cour de Charles II était remplie d'esprits forts qui se paraient de leur incrédulité. On les laissa dire; on n'attacha aucune importance à leurs discours et à leurs écrits; Collins publia sans danger ses Pensées sur la religion, et ses autres ouvrages, sans que l'Angleterre en fût troublée.

Le clergé anglican n'opposa à des écrits que des écrits, à des raisonnemens que des raisonnemens. Les débats devinrent purement littéraires, se concentrèrent dans les hautes classes; et la tolérance générale adoptée par l'Etat prévint les désordres qui agitèrent

(1) Qui, le croirait? un grand magistrat insulta la victime; et c'est à regret que l'on rapporte qu'au moment où elle marchait au supplice, le président de Lamoignon lui demanda si, dans ses lumineuses prévisions, il avait aperçu les flam-mes de son bûcher. Morin répondit fièrement : Igne me examinasti, et non est inventa in me iniquitas. « Vous m'avez mis à l'épreuve du feu, et vous n'avez point trouvé d'iniquité en moi. »

la France, et firent couler le sang dans une partie de ses plus riches provinces.

Pourquoi l'homme a-t-il la sotte vanité d'offrir à Dieu son bras pour soutenir son trône éternel? Dieu a-t-il besoin de toi, pauvre vermisseau, qui nais dans la douleur, vis dans la misère, et disparais comme un insecte éphémère? Quand sauras-tu que la vérité sait se défendre elle-même, et n'a pas besoin de ton appui ? Honore Dieu, et ne le défends pas.

Qu'arriva -t-il en Europe, quand on multiplia les persécutions et les supplices pour soutenir la religion? Des esprits mal faits furent tentés d'en conclure qu'elle ne pouvait se soutenir sans le bras séculier. Les rigueurs excessives révoltèrent les esprits doux et tolérans; on rendit le clergé odieux; et des nations entières abandonnèrent la religion catholique, pour se soustraire à la persécution de ses ministres ce fut Rome ellemême qui prépara le triomphe de Luther et de Calvin.

En France, la guerre des camisards, les querelles du jansénisme et du molinisme, les farces du cimetière Saint-Médard, le refus des sacremens, l'exigence des billets de confession produisirent le même effet que les querelles religieuses de la Grande-Bretagne. Des esprits libres et indépendans se réfugièrent dans la philosophie; ainsi, pour conserver la foi, on provoqua l'incrédulité; ce ne fut plus dans quelques-uns de ses dogmes, mais dans ses fondemens que la religion chrétienne fut attaquée. Les premières escarmouches avaient commencé sous Louis XIII et Louis XIV: Lamothe-le-Vayer, Bayle, Saint-Evremond avaient ou

vert la campagne, mais avec précaution; on craignait encore le fagot. Ce fut au dix-huitième siècle qu'il fut réservé de faire la campagne tout entière.

Voltaire, quoiqu'élevé chez les jésuites, n'en était ni plus dévot ni plus croyant. Le Père Lejay, son professeur, lui avait, dès ses premières études, prédit qu'il serait le porte - étendard de l'incrédulité. Il ne démentit point la prophétie.

A peine avait-il achevé ses études, qu'on aperçut dans ses écrits les éclairs de cette ardeur irréligieuse qu'il développa ensuite avec tant de persévérance. Né avec un esprit inquiet, une imagination brûlante, avec une soif ardente de célébrité, brillant de tous les genres de talens, disposé à toutes les passions, il dédaigna les routes ordinaires de la gloire, et résolut de se frayer des sentiers nouveaux vers la renommée. La célèbre Ninon de l'Enclos, en l'admettant dans sa société, en lui léguant sa bibliothèque, lui avait aussi légué ses principes d'indépendance. Une persécution dont il fut l'objet hâta sa vocation: on lui imputa une petite pièce satirique intitulée les J'ai vu. C'était une critique amère des dernières années du règne de Louis XIV: elle se terminait par

ce vers:

J'ai vu ces maux, et je n'ai pas vingt ans.

Sur un simple soupçon, et sans autre forme de procès, on enferma le jeune Arouet à la Bastille : c'était la jurisprudence du temps; mais la prison, loin d'a

« AnteriorContinuar »