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la petite ville de Salon : elle enveloppait une personne vêtue de blanc, richement parée, belle, blonde et fort éclatante. Cette dame l'appela par son nom, lui dit de la bien écouter, lui parla plus d'une demiheure, lui apprit qu'elle était la feue reine, lui ordonna d'aller trouver le roi, et de lui dire les choses qu'elle lui avait communiquées. Elle l'assura que Dieu l'aiderait dans son voyage, et qu'en révélant au roi une chose secrète qui ne pouvait être connue que de lui, ce prince reconnaîtrait l'autorité de sa mission. Elle l'engagea, s'il ne pouvait d'abord parler au roi, à s'adresser à l'un de ses ministres, et lui recommanda surtout de ne communiquer à personne ce qu'il avait à dire à Sa Majesté; elle le pressa de partir promptement, d'exécuter ce qui lui était ordonné, sans réserve et sans crainte, et de se bien persuader qu'il serait puni de mort s'il négligeait de s'acquitter de ce qu'elle lui prescrivait.

« Le maréchal promit tout, et aussitôt la reine et la lumière éclatante qui l'environnait disparurent. Frappé de l'obscurité dans laquelle il se trouvait tout à coup après cette apparition, le maréchal ferrant se coucha au pied de l'arbre, ne sachant s'il était éveillé, s'il s'était endormi, s'il avait rêvé. Il se retira, et rentra chez lui, bien persuadé que c'était une illusion et une folie : il n'en parla à personne.

«< Deux jours après, passant au même lieu, il eut encore la même vision; et la reine lui tint les mêmes discours, en y ajoutant des reproches sur son peu de foi, et des menaces, s'il ne s'acquittait pas de la mis

sion qui lui était imposée. Pour cette fois, le bon maréchal n'eut plus de doute; mais il flottait entre la crainte des menaces et la difficulté de l'exécution, car la reine ne lui avait pas donné d'argent pour le voyage. Pendant huit jours, il resta dans cette perplexité; et probablement il aurait renoncé à la mission, si, pour la troisième fois, en repassant par le même lieu, la reine ne lui eût encore apparu avec des menaces si effrayantes, qu'il ne songea plus qu'à partir.

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(( Il commença par aller trouver, à Aix, l'intendant de la province, et lui raconta ce qu'il avait vu. L'intendant l'engagea à se rendre à Versailles, et lui donna de l'argent pour faire sa route dans une diligence. Arrivé à Versailles, il entretint trois fois M. de Pompone, et resta chaque fois plus de deux heures avec lui. Ce ministre rendit compte au roi de ses conversations avec le maréchal; et l'on délibéra, dans un conseil d'Etat, sur ce qu'il convenait de faire dans cette circonstance. L'opinion du conseil fut que le roi entretînt le maréchal.

« Le roi le reçut en effet dans son cabinet, où il monta par le petit escalier de la cour de marbre. Il le revit quelques jours après, et fut à chaque fois plus d'une heure avec lui. M. de Duras, qui disait tout ce qui lui venait à la tête, s'avisa de rire de la mission du maréchal, et de lui appliquer ce dictum proverbial: Si cet homme n'est pas fou, le roi n'est pas noble. « Je ne suis donc pas noble, répondit le roi, «car je l'ai entretenu long-temps, et je vous assure

« qu'il s'en faut bien qu'il soit fou. » Ces derniers mots furent prononcés avec une gravité qui surprit fort les assistans. Le roi ajouta que cet homme lui avait dit une chose qui lui était arrivée, il y avait plus de vingt ans, et que lui seul savait. Il s'expliqua, en plusieurs occasions, de la manière la plus favorable sur le compte du bon maréchal; il lui fit donner de l'argent, et le recommanda à l'intendant de Provence, avec ordre de le protéger, et de veiller à ce qu'il ne manquât de rien jusqu'à la fin de ses jours. Une particularité remarquable, c'est qu'aucun des ministres de ce temps n'a voulu faire d'ouvertures à ce sujet : leurs amis les plus intimes les ont questionnés à plusieurs reprises, sans pouvoir en arracher un seul mot; et le maréchal n'a pas été moins discret.

De retour à Salon, il reprit son métier, et vécut à son ordinaire, sans laisser échapper la moindre parole de jactance sur sa mission, qui parut surnaturelle aux moins crédules (1).

La vision de Martin est une copie presque exacte de celle du maréchal ferrant de Salon, à ces différences près, 1o que Nostradamus avait fait une partie de ses centuries à Salon, et que Martin était né tout simplement dans la Beauce, auprès de la ville de Chartres, où il n'y eut jamais de prophètes; 2° que ce fut, non pas une reine entourée de lumière qui

(1) Extrait des Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV et de Louis XV. In-12, t. 1, p. 38, 2o édition, 1788.

lui apparut,

mais l'ange Raphaël en redingote. Voici

comme l'affaire est racontée:

« Le 15 janvier 1816, sur les deux heures et demie après midi, un petit laboureur du bourg de Gallardon, à quatre lieues de Chartres, nommé ThomasIgnace Martin, était dans son champ, occupé à étendre du fumier sur un terrain plat et uni, lorsque, sans avoir vu arriver personne, se présente devant lui un homme de cinq pieds un ou deux pouces, mince de corps, le visage effilé, délicat et très-blanc. Il était vêtu d'une lévite ou redingote de couleur blonde, totalement fermée, et pendant jusqu'aux pieds. Ses souliers étaient attachés avec des cordons; il avait sur la tête un chapeau rond à haute forme. Cet homme, s'adressant à Martin, lui dit : « Il faut « que vous alliez trouver le roi; que vous lui disiez « que sa personne est en danger, ainsi que celle « des princes; que de mauvaises gens tentent en«<core de renverser le gouvernement; que plu«sieurs écrits ou lettres ont déjà circulé, à ce su« jet, dans quelques provinces de ses Etats; qu'il faut « qu'il y fasse faire une police exacte et générale, et «<< surtout dans sa capitale; qu'il faut aussi qu'il relève « le jour du Seigneur, afin qu'on le sanctifie; que «< ce saint jour est méconnu par une grande partie « de son peuple; qu'il faut qu'il fasse cesser les tra«vaux publics ce jour-là; qu'il fasse ordonner des

((

prières publiques pour la conversion du peuple; (( qu'il l'excite à la pénitence; qu'il abolisse et anéan«tisse tous les désordres qui se commettent dans les

« jours qui précèdent la sainte quarantaine : sinon toutes «ces choses, la France tombera dans de nouveaux mal<«<heurs.» (Le curé de la paroisse n'aurait pas mieux dit.) « Le (( personnage qui s'adressait à Martin semblait, en lui parlant, rester à la mème place; mais ses gestes étaient analogues à ses paroles, et le son de sa voix n'avait rien que de fort doux.

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Martin, un peu surpris d'une apparition si subite, lui répondit d'abord dans son langage : « Mais vous pouvez bien aller trouver d'autres que moi pour faire une commission com' ça. Non, lui répliqua l'inconnu, c'est vous qui irez. Mais, reprit Martin, puisque vous en savez si long, vous pouvez bien aller trouver vous-même le roi, et lui dire tout cela. Pourquoi vous adressez-vous à un pauvre homme comme moi, qui ne sait pas s'expliquer? (Martin parlait d'assez bon sens). Ce n'est pas moi qui irai, répondit l'inconnu, ce sera vous. Faites attention à ce que je vous dis, et vous ferez ce que je vous dis. >> Après ces paroles, Martin le vit disparaître à pet près de cette sorte ses pieds parurent s'élever de terre, sa tête s'abaisser, et son corps, se rapetissant, finit par s'évanouir à la hauteur de la ceinture, comme s'il eût fondu en l'air. Martin, plus effrayé de cette manière de disparaître (elle était en effet extraordinaire) que de l'apparition subite, voulut s'en aller, mais il ne le put; il resta comme malgré lui; et s'étant remis à l'ouvrage, sa tâche, qui devait durer deux heures et demie, ne dura qu'une heure et demie, ce qui redoubla son étonnement.

((

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