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« tombons dans un deuil nouveau. Tout à l'heure nous re

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grettions une tendre fleur soudainement arrachée; aujourd'hui nous avons perdu la tige d'où cette fleur était «née. Tout à l'heure nous pleurions un bien en espérance; aujourd'hui nous perdons un bien plus précieux par «< la possession. »

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L'ensemble de ce discours est médiocre et sans effet. On doit peu s'en étonner : rien n'était plus difficile à vaincre que l'aridité d'un pareil sujet. Un grand orateur serait excusable de n'avoir pas réussi : et saint Grégoire n'est ni un grand orateur, ni un élégant écrivain. Bossuet a fait de l'éloge de la reine, femme de Louis XIV, un discours éloquent. C'est l'exception du génie. En général, rien de plus déplorable, pour un panégyriste, que de célébrer des personnages sans physionomie, dont l'éloge est commandé parce qu'ils occupaient un rang sur la terre, mais dont la flatterie même ne peut louer les actions, parce qu'ils n'ont rien fait. Ce ridicule seul suffirait pour décréditer l'oraison funèbre, qui par elle-même, et dans son application légitime est un genre plein de noblesse et d'utilité.

Saint Ambroise, qui s'est immortalisé en osant punir Théodose coupable, mérita dans son siècle la réputation de grand orateur. Aujourd'hui la gloire de sa vertu est mieux établie que celle de son éloquence. Cependant, malgré l'affectation trop fréquente dans ses écrits, il n'est pas indigne d'être étudié. Il a de l'imagination et du feu; son âme exhale des sentiments vifs et naturels, qu'il ne peut étouffer entièrement sous les pensées fausses et les phrases recherchées. Fénelon était frappé de son génie. Il admire surtout l'expression de sa tendresse, dans l'éloge funèbre de son frère Satyrus. Ce discours est le meilleur que 1 S. AMBR. Op., tom. secun.

saint Ambroise ait prononcé. Le début a beaucoup de grandeur et de majesté :

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<< Chrétiens, nous avons conduit la victime de ma foi, << la victime pure et sans tache, la victime agréable à Dieu, Satyrus, mon guide et mon frère. Je savais qu'il était << mortel; mes craintes ne m'ont point trompé; mais l'a«bondance de la grâce a surpassé mon espoir. Ainsi je n'ai point de plainte à faire; je dois même remercier le « Seigneur, qui satisfait le vœu que j'avais formé. Si quel« que grand désastre devait frapper ou l'Église ou ma tête, « je souhaitais qu'il tombât de préférence sur ma famille « et sur moi. Si donc, au milieu des dangers de tous, lors« que les mouvements des barbares inquiètent de tous « côtés la patrie, j'ai prévenu les douleurs publiques par «< ma douleur particulière, et vu tourner contre moi les << malheurs que je redoutais pour l'État, fasse le ciel que << tout soit accompli, et que mon deuil rachète aujourd'hui « le deuil de la patrie!

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Ce discours n'est point susceptible d'analyse. Ce sont des plaintes, des regrets, des souvenirs, exprimés avec la diffusion et le désordre de la douleur. Souvent l'orateur s'adresse à l'ombre de son frère; et presque toutes ses apostrophes sont éloquentes.

« Il ne m'a servi de rien, s'écrie-t-il, d'avoir recueilli «ton haleine mourante, d'avoir collé ma bouche sur tes « lèvres à demi éteintes. J'espérais faire passer ta mort « dans mon sein, ou te communiquer ma vie. Gages cruels « et doux, embrassements infortunés, au milieu desquels j'ai senti son corps glacé se roidir, et son dernier souffle << s'exhaler ! Je serrais mes bras entrelacés; mais j'avais déjà perdú celui que je tenais encore. Ce souffle de « mort dont je me suis pénétré est devenu pour moi un « souffle de vie. Fasse le ciel au moins qu'il purifie mon

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« cœur, et qu'il mette dans mon âme l'innocence et la « douceur de la tienne! »

Après cet élan pathétique, l'orateur prend un ton plus paisible. Il s'arrête, et peint d'une manière intéressante l'intimité de son union avec ce frère tant regretté. Ces détails ont le charme d'un sentiment vrai, et les défauts d'un style recherché.

Les idées de l'immortalité de l'âme, et les espérances de l'autre vie, sont heureusement ramenées dans ce discours : « Nos larmes cesseront, dit l'orateur; il faut une différence entre les chrétiens et les infidèles. Qu'ils pleurent, ceux qui n'ont pas l'espérance d'une vie nouvelle, « etc. Nous, pour qui la mort n'est pas l'anéantissement « de la nature, mais le terme de la vie, nous devons sé« cher nos larmes. Les gentils trouvent leur consolation « dans la pensée que la mort est le repos de toutes les « souffrances : nous, qui nous proposons un plus noble espoir, nous devons aussi avoir plus de force et de pa << tience. Nos amis ne nous quittent pas; ils nous devan« cent ils ne sont pas saisis par la mort; ils entrent dans « l'éternité. »

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Quoique ce discours soit en général écrit d'un style incorrect et bizarre, on y remarque une imitation fréquente des classiques de l'ancienne Rome. L'orateur reproduit souvent les mouvements, les tours, les expressions de Cicéron, de Tite-Live, de Salluste, et de Tacite ; quelquefois même il les copie trop exactement. Pourquoi donc a-t-il une manière d'écrire si opposée à celle de ces maîtres de la parole, qu'il connaissait si bien ? C'est, dans la littérature, une preuve nouvelle de l'influence fatale du mauvais goût. L'homme de talent ne peut remonter, en dépit de son siècle qui l'entraîne. Vainement il résiste, en s'attachant aux grands génies des siècles passés ; il est em

porté par les exemples contemporains, et sa force même l'égare et le précipite.

Atque illum præceps prono rapit alveus amni.

Saint Ambroise ne fut pas seulement un grand évêque; c'était un homme d'État habile et vertueux. Par devoir, et sans empressement, il se mêla dans les affaires politiques; mais, fidèle aux bienséances de son caractère, il y parut toujours à des occasions honorables, et comme ministre de douceur et de paix. Lorsque le jeune Valentinien osa disgracier Arbogaste, sans être assez fort pour le perdre, saint Ambroise, averti de cette imprudence, se hâta de passer dans les Gaules, espérant servir de mediateur entre le prince courageux, mais sans pouvoir, et le général plus fier depuis qu'il était outragé. Valentinien fut assassiné. Saint Ambroise, dans la douleur de cette perte, revint à Milan. Quelques mois après son retour, il prononça l'éloge funèbre du jeune prince qu'il regrettait, et qu'il avait voulu sauver.

Il semble que ces circonstances personnelles à l'orateur auraient dû enflammer son talent, et donner à ce discours un haut degré d'intérêt et de pathétique; cependant l'ouvrage est faible. Les jeux d'esprit, les vaines subtilités, les pensées fausses, ont détruit toute éloquence. Comme l'expression n'est jamais franche et vraie, on n'est point ému, on n'est point entraîné. On regarde de sang-froid les petits artifices de l'écrivain; son mauvais goût fatigue et décourage.

Ce discours est intitulé Consolation sur la mort de Valentinien. En effet, l'orateur adresse souvent aux deux sœurs du prince des consolations chrétiennes. Valentinien méritait le regret des peuples. La pureté de ses mœurs, sa piété, sa douceur, son amour pour la justice, promet

taient un grand prince. Avec moins de génie pour la guerre et pour le gouvernement, il rappelait toutes les vertus de son frère Gratien, comme lui mort assassiné à la fleur de l'âge.

Cette conformité de vertus et de malheurs fournit à l'orateur une péroraison touchante :

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« Gratien, Valentinien, heureux frères, si mes paroles << ont quelque pouvoir, aucun jour ne laissera votre nom « dans l'oubli! Je m'oublierai moi-même avant de perdre << votre souvenir; et si ma voix s'éteint, la reconnaissance qui vit dans mon cœur ne s'éteindra pas. Comment << ont-ils péri tous deux ? comment sont morts les puis« sants? comment le cours de leur vie s'est-il précipité plus vite que les flots du Rhône? O Gratien, ô Valentinien, noms chers et respectés, dans quelles bornes « étroites votre vie s'est-elle renfermée! Que vos morts se << touchent de près! que vos tombeaux sont voisins l'un << de l'autre ! Gratien, Valentinien, j'aime à m'arrêter sur • vos noms, à me reposer sur votre souvenir. »

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L'éloge de Théodose offrait une riche matière à l'éloquence. Théodose, qui s'est rendu coupable du plus grand crime que puisse commettre un roi, avait cependant des vertus et des talents. Sous lui l'empire, depuis longtemps affaibli et dégradé, reprit quelque grandeur. Ses victoires, ses lois, son administration, cette vie agitée et laborieuse d'un grand prince qui soutient un État en décadence, et lutte contre ses ennemis et contre ses sujets, pour retarder une ruine inévitable; enfin, le tableau entier de son règne et de son caractère devait présenter un récit plein de mouvement et d'intérêt.

Mais le génie du panégyriste est accablé, et ne suffit point à son sujet. Quoiqu'il exagère, il loue faiblement. Il ne sait pas mettre en usage ces louanges fortes et so

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