Imágenes de página
PDF
ePub

Saxe-Weimar. Lors de l'occupation de la ville par les troupes françaises, après la bataille d'Iéna, Goethe, voulant assurer les jours de sa femme et de son enfant, fit consacrer son union. On a beaucoup disserté sur Christiane, que la société de Weimar fit d'abord mine de repousser à cause de son origine, mais qu'elle finit pourtant par accueillir, après que Charles-Auguste lui en eut donné l'exemple. On l'a trop souvent jugée par comparaison avec Mme de Stein ou avec Lili Schonemann. Elle était assurément moins distinguée que la première, moins brillante que la seconde; mais, sans être lettrée, elle ne manquait pas d'instruction. Au dire des contemporains, elle avait plutôt de la fraîcheur que de la beauté. « Je suis heureux, dit Goethe dans une lettre à Jacobi (du 1er février 1793); ma petite est soigneuse et active dans le ménage; mon garçon est gai et bien portant. >> Enfin, il ne faut pas oublier, lorsqu'on parle de Christiane Vulpius, que la mère de Goethe approuva le choix que son fils avait fait. Christiane est l'héroïne des Élégies romaines, écrites par Goethe à son retour d'Italie, et publiées en 1792. C'est une peinture de l'amour tel qu'il le comprenait alors, de l'amour antique sans alliage romanesque, peinture faite avec une franchise de ton qui étonna les lecteurs de Werther, mais qui éloigne toute idée de libertinage. Il est probable que la traduction de Properce dont Knebel s'occupait alors ne fut pas étrangère à la rédaction

de cet ouvrage, qui est unique dans la littérature allemande, et qui ne peut se comparer qu'aux élégies d'André Chénier.

Les Épigrammes vénitiennes nous transportent encore en Italie. La forme est pareille : c'est l'ancien distique, composé d'un hexamètre et d'un pentamètre; mais l'inspiration est différente. Les unes sont des épigrammes dans le sens grec, c'est-à-dire de simples inscriptions; d'autres sont des traits satiriques dirigés contre toutes les classes de la société, le clergé, la noblesse, le peuple; d'autres encore, des boutades sur le caractère italien, l'exploitation de l'étranger, la malpropreté des rues. Goethe était allé à Venise, au mois de mars 1790, à la rencontre de la duchesse Amélie, qui revenait de Rome; la duchesse tarda jusqu'au commencement de mai, et le poète occupa ses loisirs à écrire au jour le jour et sans ordre ces petites pièces qui ne lui coûtaient guère. Il est possible qu'un peu de mauvaise humeur se soit mêlée aux ennuis de l'attente on s'expli

querait ainsi le ton acerbe de certaines épigrammes. Le recueil s'augmenta dans les années suivantes, et parut, en 1795, dans l'Almanach des Muses de Schiller.

En 1792, Goethe accompagna le duc de SaxeWeimar dans la campagne de Valmy. Le soir de la bataille, comme on commençait à s'inquiéter dans le camp prussien, ses compagnons réunis autour d'un feu lui demandèrent ce qu'il pensait de la tour

nure que prenaient les événements. Il leur répondit : « De ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque dans l'histoire du monde, et vous pourrez dire : J'y étais. » Ce mot solennel, qui figure aujourd'hui dans tous les livres d'histoire, a-t-il été réellement prononcé? Ou, comme d'autres mots historiques, a-t-il été imaginé ou du moins arrangé après coup? Il faut se souvenir que le récit de la Campagne de France n'a été publié que trente ans plus tard. Dans une lettre à Knebel, du 27 septembre 1792, Goethe dit simplement ceci : « Je suis très content d'avoir vu tout cela de mes yeux, et de pouvoir dire, quand il sera question de cette importante époque : quorum pars magna fui. Après avoir méprisé l'ennemi, on commence à le prendre pour quelque chose, et, comme il arrive en pareil cas, on exagère dans l'autre sens, et on le met plus haut qu'il ne conviendrait. » Goethe suivit la retraite de l'armée prussienne jusqu'à Trèves, et, avant de retourner à Weimar, il alla voir son ami Jacobi à Pempelfort, près de Dusseldorf. Mais déjà on annonçait que les Français prenaient l'offensive, et Custine marchait sur Mayence, qui se rendit le 21 octobre. La ville fut reprise par les confédérés allemands, le 23 juillet 1793; Goethe assista au siège et à la capitulation, et il a fait un tableau intéressant de la sortie des troupes françaises. Dans l'intervalle des deux campagnes, il avait commencé à mettre en vers hexamètres l'ancien Poème du Renard, cette «< bible

profane », qui lui semblait « le miroir d'une époque où le genre humain se montrait dans sa franche bestialité ». C'était en même temps pour lui un exercice de versification, qui le préparait à Hermann et Dorothée. Wieland et Herder se chargèrent de revoir le poème au point de vue de la forme, qui, au jugement de Goethe lui-même, manquait encore d'aisance et de grâce, et le Reineke Fuchs, en douze chants, parut en 1794, sans que l'auteur en fût entièrement satisfait. La même année, il reprit ses études sur l'art, et il visita la galerie de Dresde avec le peintre Meyer. Il avait l'intention de retourner en Italie, mais la guerre l'en empêcha. Il dut se borner à un troisième voyage en Suisse, en 1797. Il retrouva Meyer à Zurich; ils visitèrent ensemble le lac des Quatre-Cantons, et Goethe se renseigna sur la légende de Guillaume Tell, dont il voulait faire le sujet d'un poème. A son retour, comme d'autres travaux l'occupèrent, il abandonna le projet à Schiller, et l'on sait quel heureux parti celui-ci en a tiré pour son drame.

VI.

UNION AVEC SCHILLER. DOROTHÉE ». -WILHELM MEISTER ».

«HERMANN ET

LES BALLADES.

Les relations entre Goethe et Schiller dataient de l'année 1794. Il est remarquable que les deux poètes, qui devaient bientôt s'unir d'une étroite

amitié, n'aient éprouvé d'abord l'un pour l'autre que de l'antipathie. Lorsqu'ils se rencontrèrent pour lat première fois, en 1788, dans le salon de Mme de Lengefeld, Schiller n'était encore que l'auteur de Don Carlos; il sortait à peine de cette période orageuse dont Goethe était complètement dégagé et dont il ne voyait plus maintenant que les excès. Un rapprochement eut lieu à la fin de l'année 1794, lorsque Schiller fonda la revue intitulée les Heures, à laquelle il voulait associer tous les écrivains marquants de l'Allemagne. Plusieurs lui refusèrent leur concours, Goethe lui promit aussitôt le sien. Les Xénies, un recueil d'épigrammes, dont Goethe eut la première idée, mais qu'ils rédigèrent en commun, et qui parurent dans l'Almanach des Muses pour l'année 1797 sous la signature G. et S., scellèrent leur union. Ils y passaient en revue toutes les formules surannées et toutes les étroitesses de goût qui gênaient l'essor de la littérature; c'était comme le manifeste de l'école nouvelle qui se fondait sous leurs auspices. L'année 1797 s'appelle, pour Goethe comme pour Schiller, l'année des ballades; ils trouvaient ensemble les sujets, et se les partageaient. Goethe écrivit le Chercheur de trésors, l'Apprenti sorcier, la Fiancée de Corinthe, le Dieu et la Bayadère; il abandonna à Schiller les Grues d'Ibycus et Héro et Léandre. Les deux amis se communiquaient tous leurs projets, exerçaient un contrôle incessant l'un sur l'autre. Goethe assistait à tous les remanie

« AnteriorContinuar »