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Vicence et Padoue, et, le 1er novembre, il écrit de Rome : « Enfin, je puis parler, et saluer mes amis d'un cœur joyeux! Qu'ils me pardonnent mon mystérieux départ et mon voyage en quelque sorte souterrain! C'est à peine si j'osais me dire à moi-même où j'allais. Ce n'est qu'en passant sous la Porta del Popolo que j'ai cessé de craindre j'étais sûr enfin de tenir Rome. » Et plus loin : « Me voilà tranquille pour le reste de mes jours; car on peut dire que l'on commence une vie nouvelle, lorsqu'on voit de ses yeux et dans l'ensemble ce qu'on avait longuement étudié par fragments. Tous les rêves de ma jeunesse deviennent des réalités. Quand la Galathée de Pygmalion, qu'il avait formée selon ses vœux, avec toute la vérité qu'un artiste peut mettre dans ses œuvres, s'avança vers lui et dit : C'est moi! combien l'être vivant fut-il différent de la pierre sculptée! » Il passe l'hiver à Rome, dans une société de peintres et d'archéologues, étudiant les monuments avec les écrits de Winckelmann pour guide, regardant beaucoup, écrivant peu, se laissant vivre. Lorsqu'il craint que sa nature d'Allemand, comme il dit, reprenne le dessus pour l'engager au travail, il part pour Naples (22 février 1787), « la ville où l'on oublie le monde et soi-même pour vivre dans une sorte d'ivresse ». Il fait le tour de la Sicile, l'Odyssée à la main, et conçoit le plan d'une tragédie sur Nausicaa, dont il n'a jamais écrit que quelques scènes. Le 6 juin, il revient à Rome, où il reste encore près

d'une année. Les résultats des deux séjours à Rome furent surtout le remaniement d'Iphigénie en Tauride et l'achèvement d'Egmont. Pour Iphigénie, le procédé, comme le dit Goethe lui-même, fut fort simple il se contenta de transcrire la pièce, ligne par ligne, période par période, en l'assujettissant au rythme régulier du vers ïambique. Il fit subir la même transformation à deux œuvres de sa jeunesse, Erwin et Elmire et Claudine de Villa Bella. Il envoya l'Iphigénie en vers à Weimar le 10 janvier 1787, et Egmont le 5 septembre suivant.

:

Egmont resta en prose; dans quelques scènes seulement, la prose prend une allure rythmée et se rapproche du vers. Le plan datait de 1775, et était conçu tout à fait dans l'esprit de l'époque werthérienne il s'agissait de peindre le mouvement populaire qui arracha les provinces flamandes à la domination espagnole. Évidemment, le sujet se refusait à la transformation que le poète essaya plus tard de lui faire subir. Déjà en 1782, Goethe avait écrit à Mme de Stein que si la pièce était encore à faire, il la ferait autrement, et que peutêtre même il ne la commencerait plus. Mme de Staël appelle Egmont la plus belle tragédie de Goethe: elle oublie les inégalités du style, le décousu de l'action, la fin mélodramatique, Egmont n'est qu'une œuvre de transition. La pièce qui représente le mieux la seconde manière de Goethe, sa manière classique, c'est Iphigénie, moderne par les senti

ments et les caractères, antique par la noblesse du style et par les belles proportions de l'ensemble.

Goethe quitta Rome le 22 avril 1788, et regagna lentement les Alpes par Florence et Milan. Il lui sembla qu'il partait pour l'exil l'Italie était devenue sa patrie d'adoption. A Florence, il ajouta quelques scènes au drame de Torquato Tasso, qui l'occupait depuis 1780, et il mit ses regrets dans la bouche du poète italien, qui s'apprêtait aussi à quitter les lieux auxquels toutes ses affections l'attachaient. Torquato Tasso ne fut terminé et publié qu'en 1790; c'est, de toutes les pièces de Goethe, celle qui, par le style, se rapproche le plus d'Iphigénie. Mais, cette fois, la forme antique était appliquée à un sujet moderne, on pourrait dire contemporain, si l'on pense à toutes les allusions dont le drame est rempli. Il n'y a pas plus de cinq personnages, et pour chacun le poète avait un modèle vivant. Alphonse II, duc de Ferrare, c'est CharlesAuguste; sa sœur, Éléonore d'Este, c'est Mme de Stein; la comtesse Sanvitale, c'est la marquise de Branconi, une « merveille de beauté », au dire de Zimmermann, que Goethe avait connue à Lausanne lors de son second voyage en Suisse, en 1779, et qu'il venait de revoir à Weimar. Enfin Tasso et Antonio, le poète et l'homme d'État, représentent les deux côtés de la nature de Goethe, le côté idéal et le côté pratique. « Ils sont ennemis, dit la comtesse dans la seconde scène du troisième acte, parce

que la nature a négligé de faire d'eux un être unique; mais ils seraient amis, s'ils entendaient bien leur intérêt. » Que leur union fût possible, la vie entière de Goethe était là pour le prouver, et c'est aussi ce que devait montrer la conclusion. Le Tasse, après avoir menacé de quitter la cour, où la présence d'Antonio le gêne, revient subitement sur sa résolution, et se jette dans les bras de celui qu'il considérait à tort comme un rival : « ainsi le matelot s'attache au rocher contre lequel il pensait échouer ».

v.

RETOUR A WEIMAR.

LES ÉLÉGIES ROMAINES.

LA CAMPAGNE DE FRANCE.

Le poète ministre était rentré à Weimar le 18 juin 1788. Quelques semaines après, un jour qu'il se promenait au parc, une jeune fille vint lui présenter un placet. C'était Christiane Vulpius, la sœur d'un écrivain qui cherchait péniblement sa voie et qui acquit plus tard une célébrité momentanée par un mauvais roman, Rinaldo Rinaldini, imité des Brigands de Schiller. Goethe a gardé le souvenir de cette rencontre dans une poésie :

« Je me promenais dans le bois, et je suivais mon chemin sans rien chercher, sans penser

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brillante comme une étoile, belle comme un

regard.

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« Je voulus la cueillir; elle me dit gentiment :

«Est-ce pour me flétrir

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que je dois être

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<< Et je la replantai - dans un lieu paisible. Maintenant elle verdoie, elle fleurit toujours 1. >> Cela veut dire, sans symbole, que Christiane devint la femme de Goethe; mais l'aversion qu'il avait rapportée d'Italie pour les cérémonies de l'Église lui fit différer son mariage avec elle jusqu'en 1806. Elle lui donna, le 25 décembre 1789, un fils qui fut nommé Auguste, en l'honneur du duc de

1.

Ich ging im Walde
So für mich hin,
Und nichts zu suchen
Das war mein Sinn.

Im Schatten sah ich
Ein Blümchen stehn,
Wie Sterne leuchtend,
Wie Euglein schön.

Ich wollt es brechen,
Da sagt es fein:
Soll ich zum Welken
Gebrochen sein?

Ich grub's mit allen

Den Würzlein aus,
Zum Garten trug ich's
Am hübschen Haus,

Und pflanzt es wieder
Am stillen Ort;

Nun zweigt es immer
Und blüht so fort.

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