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Ce sera là une rare merveille, s'écrie Simplice. Comment cela serait-il possible?

« Je vais te l'expliquer, dit Jupiter. Après que mon héros aura établi la paix générale, il réunira les théologiens les plus pieux et les plus instruits de toutes les religions chrétiennes dans un lieu agréable et tranquille, où ils pourront méditer et délibérer à leur aise. Il leur soumettra les points litigieux, et les chargera de formuler la vraie doctrine chrétienne, d'après les saintes Écritures, la tradition primitive et les témoignages authentiques des saints Pères. Le diable les tentera, les excitera les uns contre les autres, flattera leur ambition et leur orgueil. Mais mon héros aura l'œil sur eux, et s'il les voit faiblir dans leur tâche, il commencera par leur couper les vivres comme dans un conclave, en attendant qu'il leur inflige des peines plus sévères. Pendant toute la durée du concile, les cloches sonneront dans toute la chrétienté, et les fidèles ne cesseront d'invoquer le Grand Esprit, pour qu'il descende sur ses élus. Enfin on publiera un grand jubilé pour célébrer l'union des Églises, et ceux qui ensuite voudront encore créer des sectes seront offerts en holocauste au diable, après avoir été dûment châtiés sur la terre.... >>

On voit que les procédés de pacification de Jupiter sont précisément ceux qui ont causé la guerre. Simplice l'emmène avec lui; il a maintenant luimême son fou, après avoir été longtemps le fou des

autres. Au reste, Jupiter n'est fou que par intervalles, et sa folie consiste, comme celle de la plupart des hommes, à prendre ses rêves pour des réalités.

VII

Simplice était en garnison à Soest. Il servait aux avant-postes de l'armée impériale commandée par le général Gætz. Quelques forteresses de la Westphalie étaient encore aux mains des Suédois et des Hessois : c'étaient principalement Lippstadt à l'est, et Coesfeld à l'ouest. Il n'y a que deux lieues de Soest à Lippstadt: on se voyait presque d'un rempart à l'autre, et des deux côtés on était toujours sur le qui-vive. Simplice, avec une quinzaine de hardis cavaliers, menaçait tous les abords de Lippstadt; il percevait le droit du soldat sur tout ce qui entrait et sur tout ce qui sortait; il disparaissait aussi vite qu'il apparaissait; on le disait invulnérable et invisible.

Un jour cependant il tombe au milieu d'une troupe nombreuse, et il est obligé de rendre son épée à un sous-officier, un Hollandais au service de la Suède. Celui-ci le traite selon la coutume de son pays d'origine : il s'abstient de le fouiller, se contente de lui prendre son cheval, et lui en donne même un autre en échange. Simplice reconnaît ses

bons procédés en lui révélant que la selle qu'il montait est doublée d'écus. Le prisonnier et son vainqueur font assaut de courtoisie, et finissent par devenir frères d'armes, tout en combattant dans des rangs ennemis.

Simplice refuse de prendre du service chez les Suédois, ne voulant pas trahir le serment qu'il a prêté à l'empereur. Mais il s'engage à ne pas porter les armes pendant six mois. Que faire d'un si long loisir? Il en profite pour voyager. Il va d'abord à Cologne; ensuite la curiosité le pousse jusqu'à Paris. Il ne nous apprend rien sur ces deux villes, sinon qu'à Cologne il est mal nourri, et qu'à Paris les rues sont fort sales et les mœurs très libres. Au retour, il tombe malade dans une hôtellerie, est dépouillé du peu d'argent qui lui reste, et se voit forcé, pour pouvoir continuer sa route, de vendre des drogues sur les places publiques. Il atteint le Rhin à Philipsbourg, alors occupé par une garnison impériale, et il est versé malgré lui dans une compagnie de mousquetaires. Devenir mousquetaire, après avoir été dragon, c'était déchoir. « Je dois le confesser, dit-il, un mousquetaire est un bien pauvre sire. Il vit de pain sec dans sa garnison, et encore n'en a-t-il pas toujours assez. Son sort est pire que celui d'un prisonnier, qui du moins n'a pas à monter la garde et à travailler dans les tranchées, et qui peut attendre tranquillement le jour où il sera racheté ou délivré. Certains de mes compa

gnons se procuraient un peu de bien-être en trichant au jeu ou en vendant de l'eau-de-vie falsifiée. D'autres cherchaient un gain dans le mariage, et épousaient des laveuses, des sages-femmes ou des filles de mauvaise vie. C'était une femme qui portait l'enseigne de notre compagnie, et elle touchait sa solde comme un soldat. »

Simplice rencontre par hasard un ancien compagnon d'armes, qui a été attaché à la personne du général Goetz, et dont le nom indique déjà la nature honnête et loyale: il s'appelait Herzbruder, ce qui peut se traduire par « Ami de cœur ». Herzbruder lui procure un cheval et un domestique; mais l'un et l'autre lui sont enlevés presque aussitôt par les Suédois, et le voilà encore à pied. Il pourrait reprendre son mousquet; mais il semble que l'auteur ait voulu lui faire traverser toutes les armes. Lassé, découragé, Simplice finit par se joindre aux << Frères de la Maraude ». Qu'est-ce que cette corporation? « C'est une engeance qu'on ne peut mieux définir, dit Simplice, qu'en les comparant à des tziganes; ils ont les mêmes habitudes. Ils vont, à leur gré, ou devant ou derrière l'armée, ou à côté, ou au milieu. On les voit par bandes, comme les perdrix en hiver, tantôt étendus à l'ombre, tantôt accroupis autour d'un feu et mâchant du tabac, tandis qu'un honnête soldat qui se tient près du drapeau souffre la faim et la soif et le chaud et le froid. Ils sont légers sur leurs jambes, lorsqu'ils

flairent un butin, tandis que le soldat s'affaisse sous le poids de ses armes. Ils font main basse sur tout, et détruisent même ce qu'ils ne peuvent emporter, si bien que les régiments, quand ils arrivent au camp ou au quartier, ne trouvent plus une goutte d'eau; et quand, par mesure de rigueur, on les force à rester auprès des bagages, on les trouve plus nombreux que le reste de l'armée. Quand ils marchent ou qu'ils campent ensemble, ils n'ont ni officier pour les commander, ni fourrier pour leur assigner des logements, ni tambour pour leur annoncer le couvre-feu, ni sergent pour les rosser comme ils le méritent. Ils sont leurs propres maîtres; mais, à la distribution des vivres, ils sont les premiers qui tendent la main. Parfois, quand ils passent toute mesure, on leur met des bracelets de fer en guise de bijoux, ou on leur serre le cou dans une cravate de chanvre c'est leur seul ennui. Ils sont comme les oiseaux du ciel dont parle l'Évangile, qui ne sèment ni ne moissonnent ils ne vont ni au combat, ni à la corvée, ni à la manœuvre, et ils n'en sont pas moins bien nourris. Mais le mal qu'ils font à l'armée, et au général, et au paysan, est indicible.... C'est pourtant dans cet honorable corps que je vécus jusqu'à la veille de la bataille de Witten

weiher. >>>

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