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mais il a son fils, qui est marié, et dont je devrais prendre la place; il n'a donc pas besoin de moi.

« Ce fut tout; Goethe ne parla plus de son projet ni à ma mère ni à moi, tout en continuant de m'appeler sa petite favorite ou sa chère fille. »

Le 18 août, la famille de Levetzow se transporta aux eaux de Karlsbad. Goethe la suivit une semaine après, et demeura encore douze jours avec elle. Le 5 septembre, il reprit à petites journées le chemin de Weimar, et ce fut pendant le voyage qu'il composa son élégie, écrivant à chaque station ce qu'il avait médité dans la voiture. Le 13, il arrivait à Iéna, et quatre jours après il rentrait à Weimar. Le 2 octobre suivant, causant avec le chancelier Frédéric de Müller de son aventure à Marienbad, il disait : << C'est un penchant qui me donne encore du mal, mais dont je triompherai. Iffland pourrait en faire une comédie, dont le sujet serait un vieil oncle qui chérit trop sa nièce1. »

Il reconnaissait à l'Élégie de Marienbad un caractère particulier parmi ses poésies. « Elle a quelque chose d'immédiat, dit-il à Eckermann, elle est d'un seul jet, ce qui peut avoir profité à l'ensemble. » Si cela n'a pas profité à l'ensemble, on peut dire du moins que certains détails y ont gagné. On sait que sa manière ordinaire de composer était toute différente; il attendait que l'impression première

1. Gothes Unterhaltungen mit dem Kanzler Friedrich von Müller, Stuttgart, 1870.

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fût bien fixée et calmée, qu'il pût la considérer en artiste et lui donner ce qu'il appelait une forme objective. L'Élégie de Marienbad a été écrite, au contraire, sous le coup de l'émotion; elle a de vrais élans du cœur, des retours de passion juvé-nile; elle n'a pas la beauté plastique des autres poésies de Goethe.

Il garda par devers lui le manuscrit qu'il avait exécuté avec un soin religieux après son retour à Weimar. Il le plaça parmi ses souvenirs, à côté d'un verre sur lequel étaient gravés les noms des trois filles de Mme de Levetzow, et qu'il avait reçu d'elle au jour anniversaire de sa naissance. Après sa mort, le manuscrit fut remis à Mme de Levetzow, qui en fit don au Musée de Weimar.

Goethe et Ulrique, après leurs adieux du 5 septembre 1823, ne se revirent jamais. Ulrique ajoutait quelquefois un post-scriptum aux lettres que sa mère écrivait à Goethe. Dans une de ces lettres, du 6 septembre 1829, Mme de Levetzow disait :

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Ulrique est toujours comme elle était, bonne, douce, ménagère, d'une gaieté tranquille et d'une humeur égale. Elle s'occupe des enfants de sa sœur Amélie. Ses manières simples et prévenantes lui font des amis de tous ceux qui la connaissent : n'est-ce pas une condition de bonheur? »

Elle ne se maria pas. Un ami de la famille, qui la vit dans son extrême vieillesse, la décrit ainsi : <«< Elle possédait une force de volonté qui la faisait

triompher de sa faiblesse physique. Malgré ses quatre-vingt-seize ans, sa figure était à peine ridée, et un sourire se jouait toujours sur sa bouche. Elle marchait droite dans son appartement, et parfois seulement, quand elle ne se croyait pas observée, elle s'affaissait sur un meuble. Quand sa femme de chambre accourait pour la soutenir, elle se défendait en disant : « Il faut que le corps obéisse au commandement de l'esprit.

>>

C'était une maxime vraiment gothienne. Ulrique de Levetzow mourut le 13 novembre 1899, la dernière survivante des femmes qui ont été aimées de Goethe et qui lui font cortège dans l'immortalité.

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