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Et s'il se trompe, c'est par un excès de générosité; des compositions médiocres lui paraissent remarquables, sans doute parce que, sans y prendre garde, il les achève par la pensée, les refait à sa façon. « Je l'ai vu m'aborder », dit Chabanon, « en se récriant sur les mérites d'une musique que nous venions d'entendre. J'osai lui dire que mon avis différait entièrement du sien. - Vous m'étonnez, dit-il, j'avais trouvé cela très beau. » Et le public donna raison à Chaba

non.

Les opéras-comiques italiens, qui firent invasion en 1752 et faillirent lui être si funestes, l'intéressaient, et « reçurent ses applaudissements. Il trouva celui des Troqueurs2 admirable et, présageant jusqu'à quel point de perfection on pourrait porter ce genre dans la suite, il réfléchissait avec attendrissement au progrès que le goût pour cet opéra ferait faire à la bonne musique. » Voilà donc à quoi songe Rameau, pendant qu'on cherche à détruire son œuvre, que Rousseau noie la musique française sous des flots d'encre, que Grimm et Diderot chantent victoire à ses côtés les œuvres auxquelles on le sacrifie lui

1. P. 55.

2. C'est un opéra-comique de Dauvergne, un des musiciens à qui Rameau s'est intéressé. Il fut donné en 1753.

3. MARET, P. 71.

découvrent un avenir si beau qu'il en est attendri.

Revenu à lui-même, il lui arrive de s'attrister, de regretter, comme il l'avoue à Chabanon', « de n'avoir pas séjourné plus longtemps en Italie », car il s'y fùt «perfectionné le goût ». A ses ennemis, comme Diderot, il semble qu'il a de l'humeur, parce qu'il se voit « menacé de survivre à sa réputation 2 ». Ils ne peuvent deviner que la consolation lui vient justement de savoir qu'il sera dépassé. C'est une pensée trop haute, qui leur échappe; et Rameau lui-même n'arrive à la saisir qu'aux meilleurs moments de sa vie inégale. Il s'oublie alors, tout absorbé dans la contemplation de son art. Lorsqu'il se retrouve, c'est une désillusion amère, qu'il veut dérober à tous les yeux. Son génie le hante et le tourmente, et tantôt le domine et tantôt l'abandonne; c'est un maître despotique, aux caprices brusques et rudes. De là cette inquiétude, cette fièvre, ces fureurs, ces absences. De là aussi cette dureté, cet abord sévère, ce visage fermé. Une volonté toujours tendue, une lutte violente et secrète, une poursuite acharnée, voilà son existence; telle du moins elle se dessine en traits indis

1. P. 7.

2. DIDEROT, Le neveu de Rameau.

tincts, dans l'ombre où il a voulu la tenir enfermée. Il ne trouve la paix, la confiance et le contentement, qu'à l'heure où il entre en possession de son esprit. Il n'a d'estime que pour ses idées; c'est par elles seules qu'il eût souhaité de se faire connaître.

LALOY.

7

L'ESPRIT

Le besoin de comprendre est inné chez Rameau. L'instinct ne lui suffit pas; les lumières de l'intelligence lui sont indispensables, et la musique, qui est son art, est aussi pour lui une science, qu'il étudie avec passion. Mal lui en prit d'ailleurs sa théorie devint célèbre avant ses œuvres, et leur fit du tort. On ne put croire qu'un homme aussi doué pour le raisonnement fût également capable d'invention, et plusieurs, même de ceux qui s'intéressaient à sa musique, n'y reconnurent jamais qu'un jeu savant de combinaisons, quelque chose comme une suite d'exemples destinés à illustrer ses traités. En 1743, un homme qui cependant admire Hippolyte et Aricie explique ainsi son goût1: « J'en éprouve peu d'attendrissement; j'y suis peu remué; mais j'y suis occupé et amusé; la mécanique en est prodigieuse ».

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1. Lettre de M. de' à Mme sur les opéras de Phaeton et d'Hippolyte et Aricie. Paris, 1743.

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