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Montpellier, lui parut précieux; mais, comme il l'ajoute lui-même, « il y a loin de là à la Basse fondamentale, dont nul ne peut se vanter de m'avoir donné la moindre notion ».

C'est ce principe de la basse fondamentale qui commençait alors à mûrir en son esprit, très lentement, au cours des longues méditations dont sans doute il était déjà coutumier. Quant aux accidents de sa vie matérielle, nous les connaissons mal en 1715 nous le trouvons à Dijon, à l'occasion du mariage de son frère et peutêtre aussi du partage de la succession paternelle. Des orgues importantes lui auraient même été offertes lors dé ce séjour : celles de la SainteChapelle et de Sainte-Bénigne; et il les aurait refusées. On ne s'étonnera point de le voir peu tenté de se fixer à Dijon, si l'on admet ce que nous rapporte son neveu en son poème de la Raméide Jean-Philippe aurait été sensible aux charmes de demoiselle Marguerite Rondelet, qui devint la femme de son frère.

Il fut l'admirateur des talents de mon père,
Mais il en fut rival pour la main de ma mère.
Les deux frères alors se divisent entre eux,
Se séparant de là pour être plus heureux.

Ges piteuses rimes ne doivent pas nous faire

1. La Raméide, poème, par JEAN-FRANÇOIS RAMEAU. Amsterdam et Paris, Humblot, 1766.

oublier que le dépit fut sans doute vif chez le rival évincé ; cependant il ne semble pas que cet incident romanesque ait altéré d'une façon durable les relations des deux frères: Claude Rameau sera le parrain du premier enfant de Jean-Philippe1; et son propre fils, lorsqu'il viendra courir les aventures à Paris, trouvera d'abord bon accueil auprès d'un oncle moins impitoyable qu'il ne veut bien le dire.

Un peu plus tard, Rameau était à Lyon, et son idée fixe le tenait toujours il faut entendre par là, non le souvenir d'un amour déçu qui n'atteignit que son cœur, mais l'ambition de découvrir le secret de l'harmonie. C'est à Lyon, ainsi qu'il nous le rapporte lui-même, que, se trouvant un soir à l'Opéra, il entendit un homme âgé de plus de soixante-dix ans, qui, depuis le parterre, « se mit à chanter tout haut et assez fort la basse fondamentale d'un chant dont les paroles l'avaient frappé ». Et ceci lui fit remarquer pour la première fois que « l'harmonie nous était naturelle ».

Il ne faut pas faire trop d'état d'un souvenir qui illumine, à la manière d'un éclair, un seul instant de la vie de notre musicien. On peut sup

1. C'était un fils, nommé Claude-François, qui naquit le 3 août 1727.

2. Réflexions de M. Rameau sur la manière de former la voix et d'apprendre la musique (Mercure, octobre 1752, p. 91).

)

poser cependant que les années qu'il vécut en province à cette époque ont été des années de recueillement, que même il a quitté Paris à seule fin de pouvoir réfléchir plus à son aise : il s'était instruit de tout ce qu'on avait écrit sur l'harmonie, et de tout ce qu'enseignaient sur ce sujet les plus savants hommes de son temps. Ce qu'il lui fallait pour arriver à édifier son système, c'était le calme et le silence de la vie provinciale. Et il ne quitta pas la province avant d'avoir mis la dernière main au grand ouvrage qu'il avait dans l'esprit après Lyon, il gagna Clermont, où il lui fut donné de retrouver la place qu'il avait quittée seize ans auparavant : sans doute le chapitre avait-il mieux gardé le souvenir de son grand talent que de son départ irrégulier; Rameau redevint donc organiste de la Cathédrale, comme s'il eût voulu terminer l'engagement interrompu. Entre deux offices, il corrigeait les épreuves de son Traité de l'Harmonie réduite à ses principes naturels, qui parut chez Ballard à Paris, en 1722.

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C'est un très gros, trop gros volume, qui sent la province et la solitude: car l'auteur y a jeté pêle-mêle et sans compter le fruit de réflexions prolongées pendant des années. Mais il abonde en idées neuves, et Rameau, qui ne se méprenait pas sur la valeur de ses découvertes, s'empressa

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de quitter Clermont, dès qu'il se trouva libre, c'est-à-dire très peu de temps après l'apparition de l'ouvrage, afin de voir ce qu'on allait en dire à Paris. C'est là que nous le trouvons installé, au début de 1723, et cette fois pour le restant de ses jours.

Comme il était à prévoir, personne ne se souvenait plus de l'ancien organiste des Pères de la Mercy, et Piron crut sans doute faire un grand honneur à son compatriote en lui demandant un air pour sa comédie de l'Endriague, ou plus exactement pour la demoiselle Petitpas, que l'on voulait signaler au public. « Ceux ou celles, nous dit-il, qui gouvernaient la Petitpas dans la noble intention d'en faire à leur profit ce qu'elle devint par la suite, me vantèrent sa voix et me prièrent de lui composer un morceau qui, mis en haute musique, lui méritât l'honneur d'être appelée au Grand Opéra. Rameau, alors très ignoré, composa pour l'amour de moi la musique de ce morceau ». La pièce, qui est une facétie burlesque, fut représentée par la troupe de Dolet à la foire Saint-Germain en février 1723. « C'est la première fois, nous apprend encore Piron, que le public vit la Petitpas devenue depuis si fameuse sur le théâtre de l'Opéra par

sa jolie voix et ses mauvaises mœurs. Elle avait alors à peine quatorze ans et deux souliers ». C'est aussi la première fois que la musique de Rameau parut à la scène : ce furent, on le voit, de fort humbles débuts.

Les années passées en province n'avaient pas été perdues pour la composition: un certain nombre de cantates avaient suivi les deux premières, et obtenu un pareil succès. Rameau luimême nous apprend que, depuis les environs de l'année 1715, les manuscrits de deux de ses cantates se sont tellement répandus en France, qu'il n'a pas cru devoir les faire graver. Ces cantates se nomment Thétis et l'Enlèvement d'Orithie. Il a aussi composé des œuvres de musique religieuse, pièces d'orgue et motets, dont l'un, Laboravi, est cité à titre d'exemple dans le Traité de l'harmonie. Mais sa réputation de compositeur n'a pas franchi les limites des provinces qu'il a parcourues; les Mémoires de Trévoux le disent « connu depuis longtemps à Dijon, à Clermont et surtout à Lyon, et déjà même à Paris, pour un des plus grands maîtres qu'il y ait dans le jeu de l'orgue et par conséquent pour fort expérimenté dans tout ce que

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1. Lettre à Houdar de la Motte, publiée par le Mercure en mars 1765.

2. Octobre-novembre 1722.

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