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de Paris, quoique avec discrétion d'abord en septembre 1688, on donnait, au Collège de Poitiers, une tragédie accompagnée d'un magnifique ballet << dont quatre divinités firent l'ouverture ». Ces quatre divinités, qui mêlent vertueusement la mythologie païenne à l'allégorie chrétienne, sont Mars, la Paix, Thémis et la Religion, et elles viennent disputer ensemble « la gloire d'avoir le plus contribué à donner au Roi le surnom de grand ».

Nous ne savons ce qui se passait à Dijon pendant le temps que Rameau fut élève de la maison, mais il eût été contraire à l'esprit de la Compagnie qu'un Collège se distinguât des autres, même en ses divertissements. Quant au goût des Jésuites, nous le connaissons: il est tout italien. A Paris, l'auteur de l'opéra représenté en 1688, David et Jonathas, n'est autre que Marc-Antoine Charpentier, l'élève de Carissimi, le défenseur de la tradition italienne sacrifiée par Lully aux exigences du public. Les

la robe, il est nécessaire que cette jeunesse s'accoutume à prendre la hardiesse et le bon air qui sont nécessaires pour parler en public. C'est dans cette vue que les Jésuites se donnent la peine de l'exercer en faisant représenter deux tragédies tous les ans... Ces tragédies n'étaient autrefois mêlées que de ballets, parce que la danse est fort nécessaire pour donner de la bonne grâce, et rendre le corps agile; mais depuis que la musique est en règne, on a trouvé à propos d'y en mêler, afin de rendre ces divertissements complets, » 1. Mercure Galant, septembre 1688.

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Jésuites de Dijon avaient de bonnes raisons pour se déclarer, eux aussi, partisans de la musique italienne: elle était fort à la mode dans leur ville. Le fervent amateur dont nous avons déjà rencontré le nom, M. de Malteste, était curieux de toutes les nouveautés d'outre-monts, au point de faire venir « à ses dépens », pour ses concerts, les derniers opéras de Venise. Ce magistrat dilettante.était mort au temps où Rameau faisait ses études; mais le goût italien dut trouver après lui d'autres représentants. Il est donc fort probable que, soit au Collège, soit dans les concerts privés auxquels il lui fut donné d'assister ou de prendre part, Jean-Philippe Rameau fut initié de bonne heure aux beautés d'un style qui à cette époque était sans contredit plus libre et plus riche que le style français.

Après sa sortie du collège, Rameau demeura encore quelque temps à Dijon, puis, lorsqu'il eut atteint ses dix-huit ans, il se mit en route pour l'Italie sans jouir encore du prestige universel qu'il devait gagner par la suite, ce pays était déjà la terre promise des connaisseurs. Dès les dernières années du règne de Lully, le musicien Desmarets, qui avait l'esprit aventu

reux, «eut dessein d'aller en Italie pour connaître le goût de la musique italienne et pour se perfectionner encore plus dans son art1 ». Louis XIV, à qui il appartenait, n'y entendit pas malice et lui avait déjà accordé le congé nécessaire, lorsque Lully vint le mettre en garde le jeune Desmarets, à l'entendre,,« avait un excellent goût pour la musique française, et le perdrait s'il allait en Italie ». Lully sentait le danger de la comparaison, et n'avait pas tort. Il était mort à peine, que M. de Callières, qui avait entendu les opéras italiens, faisait vivement ressortir la pauvreté du chant français 2. L'érudit Sébastien de Brossard employait ses loisirs à copier de sa main toutes les cantates et tous les airs italiens qu'il pouvait se procurer3, et un prêtre bel esprit du diocèse de Rouen, l'abbé Raguenet, ayant suivi en Italie un prélat français, en rapporta la matière d'un petit livre

1. TITON DU TILLET, Le Parnasse français, 1er supplément, p. 755.

2. Histoire poétique de la guerre récemment survenue entre les Anciens et les Modernes. Paris, Auboin, 1688. C'est un musicien italien qui fait son procès à Lully: il faut l'entendre parler de « ces fades récitatifs en musique qui se ressemblent tous, où les passions ne sont pas exprimées, et où il y a si peu d'art que j'ai entendu fort souvent des chanteurs médiocres en faire sur-le-champ de si ressemblants à ceux de l'Opéra qu'on aurait cru facilement qu'ils les avaient appris sur la note de Lully ».

3. Les recueils qu'il a formés ainsi sont conservés à la Bibliothèque Nationale de Paris où ils occupent les premiers numéros de la série Vm7.

enthousiaste et niais, qui parut en 1702 et devint l'origine d'une « querelle » aussi vive que celle des anciens et des modernes. Le voyage de Rameau fut donc un voyage d'études, et son père, que nous avons vu si soigneux de son éducation, dut l'y engager et y subvenir. Mais le jeune musicien, formé à une école sévère, ne trouva rien, dans la faconde italienne, qui lui parût digne d'intérêt; et, comme il était fort peu patient, il s'arrêta à Milan et reprit le chemin de la France, quelques mois à peine après son départ; il n'avait pas poussé jusqu'à Venise, dont l'opéra, précisément à cette date, entreprenait la conquête de l'Europe. Devenu vieux et sage, il se prenait à regretter le mouvement d'humeur auquel il avait alors cédé, et il répétait à son ami Chabanon que, s'il eût séjourné plus longtemps en Italie, « il se fût perfectionné le goût ». Ce regret est l'indice d'une modestie bien rare, mais il semble superflu. Rameau connaissait assez la musique italienne pour n'avoir pas besoin de l'étudier sur place; et même il était mieux placé en France pour s'en former une idée avantageuse les œuvres qui avaient passé jusqu'à nous, sur la fin du XVII siècle, étaient certainement supé

1. Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la musique et les opéras, 1702.

rieures aux dernières productions d'Alessandro Scarlatti ou de Giovanni Bononcini, car l'opéra italien commençait, dès cette époque, à devenir la victime de sa facilité.

De retour en France, Rameau ne semble pas avoir rejoint le foyer paternel. Mis en goût par ce premier voyage, il continua de vivre à l'aventure, gagnant ses frais de route à jouer de l'orgue dans les églises, ou du violon dans l'orchestre d'une troupe ambulante1. Au mois de janvier 1702, un an environ après son départ, il se trouvait en Avignon, et, comme il avait acquis déjà, de ville en ville, une certaine réputation d'organiste, le chapitre lui confia la maîtrise de l'église métropole Notre-Dame des Doms, en attendant que le nouveau maître, Jean Gilles, fût arrivé de Toulouse. Ce n'était là qu'une suppléance, mais fort honorable, et, au mois de mai de la même année, le jeune musicien passait engagement pour six années, en qualité d'organiste, avec le chapitre de la cathédrale de Clermont en Auvergne. Jean Rameau, à cette nouvelle, dut se réjouir, et considérer que la carrière de son fils aîné était désormais assurée.

Il n'en était rien cependant, et Jean-Philippe Rameau ne pouvait se contenter de la vie médiocre et monotone que son père avait menée.

1. Decroix du moins l'affirme (Biographie Michaud).

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