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temps à l'une et à l'autre de grotesques hommages. Il écrit à Axius : « Partagé entre les deux muses grecque et latine, Ausone salue Axius par un badinage en deux langues :

Ἑλλαδικῆς μετέχων Μούσης, Latiæque Camænæ

Αξίῳ Αυσόνιος Sermone alludo bilingui.»

Il continue sur ce ton. Jusque là ce sont les vers que se partagent les deux muses; elles finissent par se disputer le même mot, et l'on voit dans cet étrange exemple de macaronisme Ausone se plaindre de plaider ou d'enseigner la rhétorique dans des chaires ingrates :

Ἔντε foρῳ causαιςτε, καὶ ingratαίσι καθέδραις.

Pour désigner les jeux ridiculement laborieux auxquels il consacre ses loisirs, il est obligé d'inventer un mot nouveau.SonTechnopægnion,composé de réxvη et de пxíyviov, est un badinage sans valeur sur les monosyllabes. On peut toutefois excepter de ce blâme celui qui porte ce titre: De litteris monosyllabis græcis ac latinis. Dans cette comparaison de l'alphabet grec avec l'alphabet latin au moins peut-on recueillir un ou deux détails qui intéressent le lecteur. Ainsi ces deux vers:

Hta quod Æolidum, quodque & valet hoc latiale E Præsto, quod E Latium semper breve, Dórica vox E. prouvent qu'au temps d'Ausone, l'H n'avait pas encore le son de l'I qu'on lui donne dans la prononciation moderne. C'est un argument que peuvent faire valoir à l'appui de leur opinion, ceux qui condamnent la confusion de l'H avec l'I. L'on ne voit pas que M. Egger ait pensé à s'en servir dans son appendice à sa VII. leçon sur la prononciation du grec. Recommandons de même à l'attention des philologues ce vers-ci sur le B, il tranche aussi une question en suspens:

Dividuum Betæ monosyllabon Italicum B.

Le B italien ne se confondait pas avec le V, puisque les latins avaient imaginé cette consonne inconnue, dit l'auteur, aux descendants de Cécrops:

Cecropiis ignota notis, ferale sonans V (').

Les passages que nous venons de citer rendent donc inutile, au moins pour le temps d'Ausone, toute discussion sur la valeur du B et de l'H grecs, ils se prononçaient comme notre B et notre E.

En d'autres écrits, Ausone nous a conservé quelques détails curieux. Dans le Protrepticon de studio puerili, c'est-à-dire dans un plan d'études destiné à son petitfils, il recommande de faire lire à cet enfant Homère et Ménandre parmi les grecs, Térence, Cicéron, Horace et Virgile parmi les latins (2).

Quelques-uns de ses écrits sont des imitations de Pythagore, tel que le oui et le non; d'autres, des sommaires de chaque livre de l'Iliade et de l'Odyssée.

C'est dans la Commémoration des professeurs de Bordeaux, qu'il nous a laissé les souvenirs les plus intéressants pour la connaissance des études grecques en son temps. On sait qu'il a consacré, dans des vers de différentes natures, l'expression de sa reconnaissance pour les maîtres de sa jeunesse, pour ses collègues et ses amis, que la mort avait enlevés à l'enseignement. Cette liste, beaucoup trop courte, se recommande surtout par la mention qu'Ausone y fait de plusieurs professeurs de grec. Notons d'abord le professeur de latin Alcimus Alethius, qui unissait la science des deux lan

(1) Voir là-dessus la dissertation de M. Egger, sur la prononciation du grec. t. I. p. 462. On a souvent cité aussi le vers suivant d'une comédie de Cratinus, conservé par Eustathe, d'après le grammairien Ælius Dionysius: ὁ δ ̓ ἡλίθιος, ὥσπερ πρόβατον, βῆ, βῆ, λέγων βαδίζει.

(Et le niais s'avance en disant bê, bê, comme une brebis.)

(2) Hist. litt. de la France. t. II, p. 299.

gues, aussi habile dans celle d'Athènes que

de Rome :

Exemplar unum in litteris

Quas aut Athenis docta coluit Græcia,
Aut Roma per Latium colit.

Censorinus Atticus reçoit une louange égale :

dans celle

Tam generis tibi Celsus apex quam gloria fandi ;
Gloria Athenei cognita sede loci.

Stophylius, rhéteur, citoyen d'Ausci, c'est-à-dire d'Auch, est célébré pour avoir une aussi pleine connaissance de Tite-Live que d'Hérodote, pour savoir toute la science que Varron a renfermée dans ses six cents volumes:

Grammatice ad Scaurum atque Probum, promptissime rhetor,
Historiam callens Livii et Herodoti ;

Omnis doctrinæ ratio tibi cognita quantam
Condit sexcentis Varro voluminibus.

Une même épitaphe consacre les noms de Crispus et d'Urbicus, grammairiens latins et grecs. Nous y voyons que Crispus enseignait aux enfants les éléments de la langue latine et qu'il puisait parfois dans le vin une inspiration qui l'égalait à Virgile et à Horace. Urbicus enseignait le grec et Ausone lui fait l'honneur de pleurer sa mémoire en introduisant un mot grec dans la strophe latine :

Et tibi, Latiis posthabite orsis,
Urbice, Graiis celebris, carmen
Sic ἐλελίσω.

Nous regrettons que le temps ne nous ait laissé parvenir aucun des vers de Citarius. Il était né à Syracuse, en Sicile, il avait la docte critique d'Aristarque et de Zénodote. Sa muse était plus habile que celle de Simonide :

Citario, Siculo Syracusano, Grammatico Burdigalensi Græco.

Et Citari dilecte, mihi memorabere, dignus Grammaticos inter qui celebrere bonos. Esset Aristarchi tibi gloria, Zenodotique, Graiorum antiquus si sequeretur honos. Carminibus, quæ prima suis sunt condita in annis, Concedit Cei musa Simonidei.

Corinthe, Sperchée, Menesthée forment un autre groupe qu'Ausone salue. Menesthée ne fut pas son maître, les deux autres le comptèrent parmi leurs élèves. Le poète s'accuse de n'avoir pas assez profité de leurs leçons. L'aveuglement ordinaire de l'enfance l'empêcha de se rendre docile à l'enseignement du grec. Cet aveu ne doit pas affaiblir en nous l'idée qu'Ausone peut nous donner de sa science. Il répara sans doute plus tard le temps perdu :

Grammaticis Græcis Burdigalensibus.

Romulum post hos prius, an Corinthi,
Anne Sperchei, pariterque nati
Atticas musas memorem Menesthei
Grammaticorum?

Sedulum cunctis studium docendi ;
Fructus exilis, tenuisque sermo.
Sed quia nostro docuere in ævo,
Commemorandi.

Tertius horum, mihi non magister,
Ceteri primis docuere in annis,
Ne forem vocum rudis, aut loquendi ;
Sed sine cultu.

Obstitit nostræ quia, credo, mentis
Tardior sensus; neque disciplinis
Appulit Græcis puerilis ævi

Noxius error.

On aura remarqué que ces professeurs ne tiraient de leur enseignement que de maigres ressources, probablement les douze annones accordées par le décret de

Gratien, et que leur renom ne faisait pas grand bruit,

Fructus exilis, tenuisque sermo.

Il ne faut attribuer cette chétive existence sans doute qu'au peu d'éclat du talent de ces maîtres. On n'en saurait conclure que les études grecques fussent méprisées à Bordeaux quand on y trouve un pareil nombre d'hellénistes, et qu'on voit d'ailleurs Citarius faire dans cette ville un brillant mariage.

Urbe satus Sicula, nostram peregrinus adisti;
Excultam studiis quam prope reddideras,
Conjugium nactus cito nobilis et locupletis....

Ces vers disent beaucoup. Il y avait à Bordeaux des auditeurs qui profitaient du savoir de Citarius et se formaient à l'élégance attique; celui-ci avait eu assez d'éloquence, de bonne grâce et d'adresse pour entrer dans une riche famille par une alliance qu'il ne devait qu'à sa réputation et à son mérite.

Il est inutile de nous arrêter aux noms des professeurs latins qu'Ausone rappelle avec éloges. Tout ce que nous en dirons c'est qu'ils forment un groupe de maîtres nombreux et instruits. Bordeaux était alors le foyer des lumières. On y venait enseigner de tous côtés. Ce n'est pas une des moindres surprises du lecteur que d'y trouver, à côté de Siciliens et de Grecs, un Baiocasse, c'est-à-dire un gaulois de Bayeux, nommé Patera. Il était issu de la race des Druides, son père avait été prêtre du temple de Belenus: c'était ce que désignait son nom celtique de Patera, prêtre d'Apollon. Les Delphidius, les Axius, les Jucundus, les Phoebitius, les Concordius, ne s'enfermaient certainement pas dans l'unique cercle des études latines. Le grec avait une bonne part de leurs soins, et la société de Bordeaux devait offrir, dans plus d'une maison, un échange actif

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