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là audit Estienne de Vers, qui nourrissoit son maistre en ce langage, que ce roy Charles dernier mort, comte de Provence, fils de Charles d'Anjou, comte du Maine, et neveu du roy René, luy (1) avoit laissé par son testament; car le roy René l'institua en son lieu avant que de mourir, et le prefera devant ledit duc de Lorraine, qui estoit fils de sa fille. Et disoient que le roy René (2) fit cela à cause desdits testamens faicts par ce Charles premier et sa femme, comtesse de Provence; disans que le royaume et comté de Provence ne pouvoient estre separez ny aller à fille, tant qu'il y eut fils de la lignée; et que semblable testament firent les premiers venans aprés eux, comme fut Charles le second audit royaume.

En ce temps desdites quatre années, ceux qui gouvernoient ledit Roy (qui estoient le duc et duchesse de Bourbon, et un chambelan appellé le seigneur de Graville (3), et autres chambelans qui en ce temps eurent grand regne) appellerent en cour, en authorité et crédit, ledit duc de Lorraine, pour en avoir support et aide; car il estoit homme hardy, et plus. qu'homme de cour; et leur sembloit qu'ils s'en des chargeroient bien quand il seroit temps, comme ils firent quand ils se sentirent assez forts, et et que force du duc d'Orleans, et de plusieurs autres dont avez ouy parler, fut diminuée, Aussi ne peurent-ils plus tenir ledit duc de Lorraine, les quatre ans passez, sans luy bailler ladite comté, ou l'asseurer à certains temps et par escrit, et tousjours payer les treate

la

(1) Luy: se doit entendre du roi Louis XI. → (2) Le roi René mou rut en 1481. (3) Louis Malet, seigneur de Graville, depuis amiral de France. Voyez ci-après, livre 8, chap. 23

six mille francs, en quoy ne se peurent accorder; et à cette cause il partit trés- mal content d'eux de la

cour.

Quatre ou cinq mois avant son partement de cour, luy advint une bonne aventure (1), s'il l'eust sceu entendre. Tout le royaume de Naples se rebella contre le roy Ferrand, pour la grande tyrannie de luy et de ses enfans, et se donnerent tous les barons et les trois parts du royaume à l'Eglise (2). Toutesfois ledit roy Ferrand, qui fut secouru des Florentins, les pressoit fort; et par ce le Pape et lesdits seigneurs du royaume, qui s'estoient rebellez, manderent ledit duc de Lorraine pour s'en faire roy; et long-temps l'attendirent des galées à Gennes, et le cardinal de Sainct Pierre (3) ad-vincula, cependant qu'il estoit en ces broüillis de cour, et sur son départ : et avoit avec luy gens de tous les seigneurs du royaume, qui le pressoient de partir.

Fin de compte, le Roy et son conseil monstroient en tout et partout de luy vouloir aider et luy fut

(1) Le soulèvement du royaume de Naples contre le roi Ferrand arriva vers l'an 1488.

(2) Ferrand ou Ferdinand avoit refusé de payer au Pape le cens de quarante mille écus, sous prétexte que le comtat d'Avignon n'avoit été cédé par la reine Jeanne au Saint-Siége que pour tenir lieu de ce tribut. Innocent vIII, offensé de ce refus, et excité par les grands du royaume, leva une armée dont il donna le commandement à Robert de San-Severin, et appela le duc René, comme roi légitime de Naples. Le duc se mit sur-le-champ en route; mais quand il fut à Lyon le Roy lui fit défendre de passer outre, disant qu'il vouloit terminer lui-même cette querelle, qui le concernoit seul, les rois René et Charles d'Anjou lui ayant cédé leurs droits.

(3) Julien de La Rovère, depuis pape sous le nom de Jules 11, dont il a été parlé sous le règne de Louis XI.

:

promis soixante mille francs, dont il en eut vingt mille; le reste se perdit, et luy fut consenty mener les cent lances qu'il avoit du Roy, et envoyer ambassades par tout en sa faveur. Toutesfois le Roy estoit ja de dix-neuf ans, ou plus, nourry de ceux que j'ay nommez, qui luy disoient journellement que ledit royaumé de Naples luy devoit appartenir. Je le dis volontiers, parce que souvent petites gens en menoient grande noise et ainsi le sceus par aucuns de ces ambassadeurs, qui alloient à Rome, Florence, Gennes et ailleurs, pour ledit duc de Lorraine; et le sceus mes mement par ledit duc propre, qui vint passer par Moulins, où lors me tenois pour les differends de cour avec ledit duc Jehan de Bourbon. Ja son entreprise estoit demy perduë, pour la longue attente: et allay au-devant de luy, combien que ne luy fusse tenu,, car il m'avoit aidé à chasser de la cour avec rudes et folles paroles. Il me fit la plus grande chere du monde, soy doulant de ceux qui demeuroient au gouvernement. Il fut deux jours avecques le duc Jean de Bourbon, et puis tira vers Lyon.

En somme, ses amis estoient si las et si foulez pour l'avoir attendu, que le Pape avoit appointé, et les barons du royaume aussi; lesquels, sur la seureté dudit appointement, allerent à Naples, où tous furent pris, combien que le Pape, les Venitiens et le roy d'Espagne, et les Florentins, s'estoient obligez de faire tenir ledit appointement, et eussent juré et promis leur seureté. Le prince de Salerne eschappa, qui vint par deça, et ne voulut point estre compris audit ap-. pointement, cognoissant ledit Ferrand. Ledit duc de Lorraine s'en alla bien honteux en son pays, et onques

puis n'eut authorité vers le Roy, et perdit ses gensd'armes, et les trente-six mille francs qu'il avoit pour Provence, et jusques à cette heure (qui est l'an 1497) est encore en cet estat (1).

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Comment le prince de Salerne, du royaume de Naples, vint en France; et comment Ludovic Sforce, surnommé le More, et luy, taschoient à faire que le Roy menast guerre au roy de Naples; et pour quelle cause.

LEDIT prince de Salerne (2) alla à Venise, parce qu'il y avoit grande accointance, et avec luy trois de ses neveux, enfans du prince de Bisignan, où demanderent conseil (comme m'a dit ledit prince) à la seigneurie où il leur plaisoit mieux qu'ils tirassent, ou vers ledit duc de Lorraine, ou devers le roy de France ou d'Espagne. Il me dist qu'ils luy respondirent que le duc de Lorraine estoit un homme mort, et qu'il ne les sçauroit ressourdre. Le roy d'Espagne seroit trop grand s'il avoit le royaume, avec l'isle de Cecile et les autres choses qu'il avoit en ce gouffre de Venise, et qu'il estoit puissant par mer mais qu'ils luy conseilloient d'aller en France, et qu'avec

(1) C'est donc en 1497 que l'auteur écrivit la présente suite de ses Mémoires. Ce fait nous avoit échappé lors de la rédaction de la Notice sur Comines.(Voyez le t. 11, p. 141.)

(2) Le prince de Salerne, qui se réfugia en France en 1489, étoit Antoine de San-Severin.

les roys de France qui avoient esté audit royaume ils avoient eu bonne amitié et bon voisin; et croy qu'ils ne pensoient point que ce qui en advint aprés deust advenir. Ainsi vindrent ces barons dessusdits en France, et furent bien recueillis, mais pauvrement traitez de biens. Ils firent grande poursuite environ deux ans, et du tout s'adressoient à Estienne de Vers, lors seneschal de Beaucaire, et chambelan du Roy.

Un jour vivoient en esperance, autre au contraire, et faisoient diligence en Italie, et par especial à Milan, où avoit pour duc Jean Galeas, non pas le grand, qui est enterré aux Chartreux de Pavie, mais celuy qui estoit fils du duc Galeas et de la duchesse Bonne, fille de Savoye (1), qui estoit de petit sens. Elle eut la tutelle de ses enfans: et l'ay veuë en grande authorité, estant veufve, conduite par un appellé messire Cico (2), secretaire, nourry de long-temps en cette maison, qui avoit chassé et confiné tous les freres du duc Galeas, pour la seureté de ladite dame et de ses enfans. Entre les autres avoit chassé un appellé le seigneur Ludovic (qui depuis fut duc de Milan), qu'elle rappella depuis, estant son ennemy, et en guerre contre elle; et le seigneur Robert de Sainct-Severin, vaillant capitaine, que pareillement avoit chassé ledit Cico.

Pour conclusion, par le moyen d'un jeune homme qui trenchoit devant elle, natif de Ferrare, de petite lignée, appellé Antoine Thesin (3), elle les rappella par sottise, cuidant qu'ils ne fissent nul mal audit

(1) Bonne de Savoie, mère et tutrice de Jean Galeas, duc de Milan. -() Cico: Il est nommé Cecco dans Machiavel. —(3) Thesin ou Tassino, suivant Machiavel.

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