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ecclésiastique; examinons devant Dieu ce que la raison et l'humanité m'ordonnent. Si je soutenais des dogmes qui outragent la raison, ce serait dans moi une démence affreuse; si pour faire triompher ces dogmes absurdes, que je ne puis croire, j'employais la voie de l'autorité, je serais un détestable tyran. Jouissons donc des richesses qui ne nous ont rien coûté, ne trompons et ne molestons personne. >> Maintenant je suppose que des laïques et des ecclésiastiques bien instruits des erreurs énormes sur lesquelles nos dogmes ont été fondés, et de cette foule de crimes abominables qui en ont été la suite, veuillent s'unir ensemble, s'adresser à Dieu, et vivre saintement, comment devraient-ils s'y prendre?

CHAPITRE XXIII.

Que la tolérance est le principal remède contre le fanatisme.

A quoi servirait ce que nous venons d'écrire, si on n'en retirait que la connaissance stérile des faits, si on ne guérissait pas au moins quelques lecteurs de la gangrène du fanatisme? Que nous reviendrait-il d'avoir fouillé dans les anciens cloaques d'un petit peuple qui infectait autrefois un coin de la Syrie, et d'en avoir exposé les ordures au grand jour ?

Que résultera-t-il de la naissance et du progrès d'une superstition si obscure et si fatale, dont nous avons fait une histoire fidèle? Voici évidemment le fruit qu'on peut recueillir de cette étude.

C'est qu'après tant de querelles sanglantes pour des dogmes inintelligibles,on quitte tous ces dogmes fantastiques et affreux pour la morale universelle qui seule est la vraie religion et la vraie philosophie. Si les hommes s'étaient battus pendant des siècles pour la quadrature du cercle et pour le mouvement perpétuel, il est certain

qu'il faudrait renoncer à ces recherches absurdes, et s'en tenir aux véritables mécaniques, dont l'avantage se fait sentir aux plus ignorants comme aux plus savants.

Quiconque voudra rentrer dans lui-même et écouter la raison qui parle à tous les hommes, comprendra bien aisément que nous ne sommes point nés pour examiner si Dieu créa autrefois des debta, des génies, il y a quelques millions d'années, comme le disent les brachmanes; si ces debta se révoltèrent, s'ils furent damnés, si Dien leur pardonna, s'il les changea en hommes et en vaches. Nous pouvons en conscience ignorer la théologie de l'Inde, de Siam, de la Tartarie et du Japon, comme les peuples de ces pays-là ignorent la nôtre. Nous ne sommes pas plus faits pour étudier les opinions qui se répandirent vers la Syrie, il n'y a pas trois mille plutôt des paroles vides de sens qui passaient pour des opinions. Que nous importe, des ébionites, des nazaréens, des manichéens, des ariens, des nestoriens, des eutychicus, et cent autres sectes ridicules?

ans, ou

Que nous reviendrait-il de passer notre vie à nous tourmenter au sujet d'Osiris? d'étudier des cinq années entières pour savoir les noms de ceux qui ont dit qu'une voix céleste annonça la naissance d'Osiris à une sainte femnie nommée Pamyle, et que cette sainte femme l'alla proclamer par tout l'univers? Nous consumerons-nous pour expliquer comment Osiris ct Isis avaient été amou reux l'un de l'autre dans le ventre de leur mère (1), et y engendrèrent le dieu Orus? C'est un grand mystère; mais vingt générations d'hommes s'égorgeront-elles pour trouver le vrai sens de ce mystère, et l'entendront-elles mieux après s'être égorgées ?

Nulle vérité utile n'est née, sans doute, des querelles sanglantes qui ont désolé l'Europe et l'Asie, pour savoir si l'Etre nécessaire, éternel et universel, a eu un fils

Foyes Plutarque, chapitre d'Isiset d'Osiris

plutôt qu'une fille; si ce fils fut engendré avant ou après les siècles; s'il est la même chose que son père, et différent en nature; si, étant engendré dans le ciel, il est en. core né sur la terre; s'il y est mort d'un supplice odieux ; s'il est ressuscité; s'il est allé aux enfers; s'il a depuis été mangé tous les jours, et si on a bu son sang après avoir mangé son corps dans lequel était ce sang; si ce fils avait deux natures; si ces deux natures composaient deux personnes; si un saint souffle a été produit par la spiration du père ou par celle du père et du fils, et si ce souffle n'a fait qu'un seul être avec le père et le fils.

Nous ne sommes pas faits, ce me semble, pour une telle métaphysique, mais pour adorer Dieu, pour cultiver la terre qu'il nous a donnée, aider mu pour nous tuellement dans cette courte vie. Tout le monde le sent, tout le monde le dit, soit à haute voix, soit en secret. La sagesse et la justice prennent enfin la place du fanatisme et de la persécution dans la moitié de l'Europe.

Si le système humain, et peut-être divin, de la tolérance avait pu dominer chez nos pères, comme il com. mence à régner chez quelques-uns de leurs enfants, nous n'aurions pas la douleur de dire en passant devant WhiteHall: c'est ici qu'on trancha la tête de notre roi Charles, pour une liturgie; son fils n'eût pas été obligé, pour éviter la même mort, de devenir le postillon de mademoiselle Lane, et de se cacher deux nuits dans le creux d'un chêne; Montross, le plus grand homme de l'Écosse, ma chère patrie, n'aurait pas été coupé en quar- . tiers par le bourreau; ses membres sanglants n'auraient pas été cloués aux portes de quatre de nos villes; quarante bons serviteurs du roi, parmi lesquels était un de mes ancêtres, n'auraient pas péri par le même supplice, et servi au même spectacle.

Je ne veux pas rappeler ici toutes les inconceva bles horreurs que les querelles du christianisme onamoncelées sur la tête de nos pères. Hélas! les mêmes

cènes de carnage ont ensanglanté cette Europe, où le christianisme n'était point né. C'est partout la même trágédie sous mille noms différents. Le polythéisme des Grecs et des Remains a-t-il jamais rien produit de semblable? Y eut-il seulement une légère querelle pour les hymnes à Apollon, pour l'ode des jeux séculaires d'Ho. race, pour le pervigilium Veneris? Le culte des dieux n'inspirait point la haine et la discorde. On voyageait en paix d'un bout de la terre à l'autre. Les Pythagore, les Apollonius de Thyane, étaient bien reçus chez tous les peuples de l'univers. Malheureux que nous sommes ! -nous avous cru servir Dieu, et nous avons servi les furies. lly avait, au rapport d'Arrien, une loi admirable chez les brachmanes: il ne leur était pas permis de dîner avaut d'avoir fait du bien. La loi contraire a été long temps établie parmi nous.

Ouvrez vos yeux et vos cœurs, magistrate, hommes d'état, princes, monarques; considérez qu'il n'existe aucun royaume en Europe où les rois n'aient pas été persécutés par des prêtres. On vous dit que ces temps sont passés et qu'ils ne reviendront plus. Hélas! ils reviendront demain si vous bannissez la tolérance aujourd'hui, et vous en serez les victimes, comme tant de vos ancêtres l'ont été.

CHAPITRE XXIV.

Excès du fanatisme.

APRÈS ce tableau si vrai des superstitions humaines et des malheurs épouvantables qu'elles ont causés, il ne nous reste qu'à faire voir comment ceux qui sont à la tête du christianisme lui ont toujours insulté, combien ils ont été semblables à ces charlatans qui montrent des ours et des singes à la populace, et qui assomment de coups ces animaux qui les font vivre

Je commencerai par la belle et respectable Hipathie dont l'évêque Sinésius fut le disciple au cinquième siècle. On sait que saint Cyrille fit assassiner cette héroïne de la philosophie, parce qu'elle était de la secte platonicienne, et non pas de la secte athanasienne. Les fidèles traînèrent son corps nu et sanglant dans l'église et dans les places publiques d'Alexandrie. Mais que firent les évêques contemporains de ce Sinésius le platonicien ? Il était très riche et très puissant, on voulut le gagner au parti chrétien, et on lui proposa de se laisser faire évêque. Sa religion était celle des philosophes; il répondit qu'iln'en changerait pas, et qu'il n'enseignerait jamais la doctrinenouvelle, qu'on pouvait le faire évêque à ce prix. Cette déclaration ne rebute point ces prêtres, qui avaient besoin de s'appuyer d'un homme si considérable; ils l'oignirent, et ce fut un des plus sages évêques dont l'Église chrétienne pût se vanter. Il n'y a point de fait plus counu dans l'histoire ecclésiastique.

Plût à Dieu que les évêques de Rome eussent imité Sinésius, au lieu d'exiger de nous deux schellings par chaque maison; au lieu de nous envoyer des légats qui venaient mettre à contribution nos provinces de la part de Dieu; au lieu de s'emparer du royaume d'An gleterre en vertu de l'ancienne maxime que les biens de la terre n'appartiennent qu'aux fidèles; au lieu de faire enfin le roi Jean-sans-terre fermier du p

pape!

Je ne parle pas de six cents années de guerres civiles. entre la couronne impériale et la mitre de Saint-Jean-de Latran, et de tous les crimes qui signalèrent ces guerres affreuses; je m'en tiens aux abominations qui ont désolé ma patrie; et je dis dans l'amertume de mon cœur: Est-ce donc pour cela qu'on a fait naître Dieu d'une Juive? Est-ce en vain que l'esprit de raison et de telé rance, dont j'ai parlé, commence à s'introduire enfin depuis l'Eglise grecque de Pétersbourg jusqu'à l'Église papiste de Madrid?

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