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474 QUESTIONS SUR L'EMPEREUR JULIEN,

et Jovien, son successeur chrétien, ne vécut que six mois après son clection.

Les chrétiens, qui n'avaient cessé de se déchirer sous Constantin et sous ses enfants, ne purent être humanisés par Julien. Ils se plaignaient, dit ce grand homme dans ses lettres, de n'avoir plus la liberté de s'égorger mu-tuellement: ils la reprirent bientôt cette liberté affreuse; et ils l'ont poussée sans relâche à des excès incroyables, depuis les querelles de la consubstantialité jusqu'à celles de la transsubstantiation; fatale preuve, dit le pectable milord Bolingbroke mon bienfaiteur. que l'arbre de la croix n'a pu-porter que des fruits de mort.

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CHAPITRE XXII.

En quoi le christianisme pouvait être utile.

NULLE secte, nulle école, ne peut être utile que par ses dogmes purement philosophiques; car les hommes en seront-ils meilleurs quand Dieu aura un verbe, ou quand il en aura deux, ou quand il n'en aura point? Qu'importe au bonheur de la société que Dieu se soit incarné quinze fois vers le Gange, ou cent cinquante fois à Siam, ou une fois dans Jérusalem?

Les hommes ne pouvaient rien faire de mieux que d'admettre une religion qui ressemblât au meilleur gouvernement politique. Or ce meilleur gouvernement humain consiste dans la juste distribution des récompenscs et des peines; telle devait donc être la religion la plus raisonnable.

Soyez juste, vous serez favori de Dieu; soyez injuste, vous serez puni. C'est la grande loi dans toutes les sociétés qui ne sont pas absolument sauvages.

L'existence des âmes, et ensuite leur immortalité, ayant été une fois admises chez les hommes, rien ne pa

raissait done plus convenable que de dire: Dieu peut nous récompenser ou nous punir après notre mort selon nos couvres. Socrate et Platon, qui les premiers développérent cette idée, rendirent done un grand service au genre humain, en mettaut un frein aux crimes que les lois ne peuvent punir.

La loi juive attribuée à Moïse, ne promettant pour récompense que du vin et de l'huile, et ne menaçant que de la rogne et d'ulcères dans les genoux, était donc une loi de barbares ignorants et grossiers.

Les premiers disciples de Jean le baptiseur et de Jesu, s'étant joints aux platoniciens d'Alexandrie, pouvaient donc former une société vertueuse et utile, à peu près semblable aux thérapeutes d'Égypte.

Il était très indifférent en soi que cette société pratiquât la vertu au nom d'un Juif nommé Jésu ou Jean, avec qui les premiers chrétiens, soit d'Alexandrie soit de Grèce, n'avaient jamais conversé, ou au nom d'un autre homme, quel qu'il pût être. De quoi s'agissait-il? d'être honnêtes gens, et de mériter d'être heureux après la mort.

On pouvait donc établir une société vertueuse dans quelque canton de la terre, comme Lycurgue avait établi une petite société guerrière dans un coin de la Grèce.

Si cette société, sous le nom de chrétiens, ou de socrátiens, ou de thérapeutes, cût été véritablement sage, il est à croire qu'elle eût subsisté sans contradiction; car, supposé qu'elle eût été telle qu'on.a peint les thérapeutes et les esséniens, quel empereur romain, quel tyran, aurait jamais voulu les exterminer? Je suppose qu'une légion romaine passe par les retraites de ces bonnes gens, et que le tribun militaire leur dise: Nous venons loger chez vous à discrétion. Très volontiers, répondent-ils; tout ce qui està nous est à vous; bénissons Dieu, et soupons ensemble. — Payeż le tribut à César. tribut? nous ne savons ce que c'est ; mais prenez tout.

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Puisse notre substance engraisser César! - Venez avec vos pioches et vos pelles nous aider à creuser des fossés et à élever des chaussées. Allons, l'homme est né pour le travail puisqu'il a deux mains. Nous vous aiderons tant que nous aurons de la force. Je demande s'il eût été possible qu'une légion romaine eût été tentée de faire une Saint-Barthélemi d'une colonie si douce et si serviable; l'aurait-on exterminée pour n'avoir pas connu Jupiter et Mercure? Il le faut avouer avec sincérité et avec admiration, les Philadelphiens que nous nommons quakers, trembleurs, ont été jusqu'à présent ce peuple de thérapeutes, de socratiens, de chrétiens, dont nous parlons: on dit qu'il ne leur a manqué que de parler de la bouche, et de gesticuler sans contorsions, être les plus estimables des hommes. Ils sont jusqu'à présent sans temples, sans autels, comme furent les premiers chrétiens pendant cent cinquante ans ; ils travaillent comme eux; ils se secourent mutuellement comme eux; ils ont comme eux la guerre en horreur. Si de telles mœurs ne se corrompent pas, ils seront dignes de commander à la terre; car du sein de leurs illusions ils enseigneront la vertu qu'ils pratiquent. Il paraît certain que les chrétiens du premier siècle commencèrent à peu près comme nos Philadelphiens d'aujourd'hui; mais la fureur de l'enthousiasme, la rage du dogme, la haine contre toutes les autres religions, gâtèrent bientôt tout ce que les premiers chrétiens, imitateurs en quelque sorte des esséniens, pouvaient avoir. de bon et d'utile: ils détestaient d'abord les temples, l'encens, les cierges, l'eau lustrale, les prêtres; et bientôt ils eurent des prêtres, d de l'eau lustrale, de l'encens et des temples. Ils vècurent cent ans d'aumônes; et leurs successeurs vécurent de rapines: enfin quand ils furent les maîtres, ils se déchirèrent pour des arguments; ils devinrent calomniateurs, parjures,

assassins, tyrans et bourreaux.

Il n'y a pas cent ans que le démon de la religion fesait

encore couler le sang daus notre Irlande et dans notre Écosse. On commettait cent mille meurtres, soit sur des échafauds, soit derrière des buissons; et les querciles théologiques troublaient toute l'Europe.

J'ai vu encore en Écosse des restes de l'ancien fanatisme, qui avait changé si long-temps les hommes en bêtes carnassières.

Un des principaux citoyens d'Inverness, presbytérien rigide, dans le goût de ceux que Butler nous a si bien peints, ayant envoyé son fils unique faire ses études à Oxford, affligé de le voir à son retour dans les principos de l'Église anglicane, et sachant qu'il avait signé les trente neuf articles, s'emporta contre lui avec tant de violence, qu'à la fin de la querelle il lui donna un coup de couteau, dont l'enfant mourut en peu de minutes entre les bras de sa mère. Elle expira de douleur au bout de quelques jours; et le père se tua dans un accès de désespoir et de rage.

Voilà de quoi j'ai été témoin. Je puis assurer que, si le fanatisme n'a pas été porté partout à cet excés d'horreur, il n'y a guère de familles qui n'aient éprouvé de tristeseffets de cette sombre et turbulente passion. Notre peuple a été long-temps réellement attaqué de la rage Cette maladie, quoi qu'on en disc, peut renaître encore. On ne peut la prévenir qu'en adorant Dieu sans superstition, et entolérant son prochain.

C'est une chose bien déplorable et bien avilissante pour la nature humaine, qu'une science digne de Punch (1). ait été plus destructive que les inondations des Huns, des Goths et des Vandales, et que dans toute notre Europe il y ait eu un corps d'énergumènes destiné à séduire, à piller et à faire égorger le reste des hommes. Cet enfer sur la terre a duré quinze siècles entiers. Il n'y a eu enfin d'autre remède que le mépris et l'indifférence des honnêtes gens dét rompés.

() Punch est le Polichinelle de Londres..

que

C'est ce mépris des honnêtes gens, c'est cette voix de la raison entendue d'un bout de l'Europe à l'autre, quitriomphe aujourd'hui du fanatisme sans autre effort la force de la vérité. Les sages éclairés ont persuadé les ignorants qui n'étaient pas sages. Peu à peu les nations ont été étonnées d'avoir cru si long-temps des absurdités horribles qui devaient épouvanter le bon sens et la na

ture.

Le colosse élevé sur nos têtes pendant tant de siècles subsiste encore; et comme il fut forgé avec l'or des peuples, il n'est pas possible que la raison seule le détruise: mais ce n'est plus qu'un fantôme semblable à celui des augures chez les Romains. Un de ces augures, dit Ciceron, ne pouvait aborder un de ses confrères sans rire; et parmi nous un abbé de moines, riche de cent mille écus de rente, ne peut dîner avec un de ses confrères sans rire des idiots qui se sont dépouillés du nécessaire pour enrichir la fainéantise. On ne croit plus en eux, mais ils jouissent. Le temps viendra où ils ne jouiront plus. Il se trouvera des occasions favorables; on en profitera. Bénissons Dieu nous autres qui depuis deux cent cinquante ans avons brisé un joug aussi pesant qu'infâme, et qui avous restitué à la nation et au roi les richesses envahies par des imposteurs qui étaient la honte et le fardeau de la terre.

Il y a eu de grands hommes, et surtout des hommes. charitables, dans toutes les communions; mais ils auraient été bien plus véritablement grands et bons, si la - peste de l'esprit de parti n'avait pas corrompu leur vertu.

Je conjure tout prêtre qui aura lu attentivement toutes les vérités évidentes qui sont dans ce petit ouvrage, de se dire à lui-même: «Je ne suis riche que par les fondations de mes compatriotes qui eurent autrefois la faiblessc de dépouiller leurs familles pour enrichir l'Église ; seraije assez lâche pour tromper leurs descendants, ou assez barbare pour les persécuter? Je suis homme avant d'être

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