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est à Dieu, dit Aaron; et il mange la brebis toute entière. C'était là à peu près la théologie de toutes les nations.

Les chrétiens, dans leur premier institut, fesaient ensemble un bon soupé à portes fermées. Ensuite ils changèrent ce soupé en un déjeuné, où il n'y avait que du pain et du vin. Ils chantaient à table les louanges de leur Christ; prêchait qui voulait. Ils lisaient quelques passa↳ . ges de leurs livres, et mettaient de l'argent dans la bourse > commune. Tout cela était plus propre que les boucheries des autres peuples; et la fraternité, établie si longtemps entre les chrétiens, était encore un nouvel attrait qui leur attirait des novices.

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L'ancienne religion de l'empire ne connaissait, contraire, que des fêtes, des usages, et les préceptes dela morale commune à tous les hommes. Elle n'avait point de théologie liée, suivie. Toutes ces mythologies fabuleuses se contredisaient ; et les généalogies de leurs dieux étaient encore plus ridicules aux yeux des philosophes que celle de Jesu ne pouvait l'être.

CHAPITRE XIV.

Affermissement de l'association chrétienne sous plusieurs empereurs, et surtout sous Dioclétien.

Le temps du triomphe arriva bientôt, et certainement ce ne fut point par des persécutions; ce fut par l'extrême condescendance, et par la protection même des empcreurs. Il est constant, et tous les auteurs l'avouent, que Dioclétien favorisa les chrétiens ouvertement pendant près de vingt années. Il leur ouvrit son palais;ses princi paux officiers, Gorgonius, Dorothéos, Migdon, Mardon, Petra, étaient chrétiens. Enfin il épousa une chrétienne nommée Prisca . Il ne lui manquait plus que d'être chré tien lui-même. Mais on prétend que Constance-le-Pâle,

nommé par lui césar, était de cette religion. Les chrétiens, sous ce règne, bâtirent plusieurs églises magnifiques, et surtout une à Nicomédie, qui était plus élevée que le palais même du prince. C'est sur quoi on ne peut trop s'indigner eontre ceux qui ont falsifié l'histoire, et insulté à la vérité, au point de faire une ère des martyrs commençant à l'avénement de Dioclétien à l'empire.

Avant l'époque où les chrétiens élevèrent ces belles et riches églises, ils disaient qu'ils ne voulaient jamaisavoir de temples. C'est un plaisir de voir quel mépris les Justin, les Tertullien, les Minutius Félix, affectaient de montrer pour les temples; avec quelle horreur ils regardaient les cierges, l'encens, l'eau lustrale ou bénite, les ornements, les images, véritables œuvres du démon. C'était le renard qui trouvait les raisius trop verds; mais dès qu'ils purent en manger, ils s'en gorgèrent.

On ne sait pas précisément quel fut l'objet de la querelle en 302, entre les domestiques de césar Galérius, gendre de Dioclétien, et les chrétiens qui demeuraient dans l'enceinte du temple de Nicomédie; mais Galerius se sentit si vivement outragé, que l'an 303 de notre ère, il demanda à Dioclétien la démolition de cette église. Il fallait que l'injure fût bien atroce, puisque l'impératrice Prisca, qui était chrétienne, poussa son indignation jusqu'à renoncer entièrement à cette secte. Cependant Dioclétien ne se détermina point encore; et après avoir assemblé plusieurs conseils, il ne céda qu'aux instances réitérées de Galérius.

L'empereur passait pour un homme très sage; on admirait sa clémence autant que sa valeur. Les lois qui nous restent de lui dans le code sont des témoignages éternels de sa sagesse et de son humanité. C'est lui qui prononça la cassation des contrats dans lesquels une partie est lésée d'outre-moitié ; c'est lui qui ordonna que les biens des mineurs portassent un intérêt légal; c'est lui qui établit des peines contre les usuriers et contre les dé

lateurs. Enfin, on l'appelait le père du siècle d'or (1): mais dès qu'un prince devient l'ennemi d'une secte, il est un monstre chez cette secte. Dioclétien et le césar Galérius, son gendre, ainsi que l'autre césar Maximien Hercule, son ami, ordonnèrent la démolition de l'église de Nicomédie. L'édit en fut affiché. Un chrétien eut la témérité de déchirer l'édit et de le fouler aux pieds. Il y a bien plus: le feu prit au palais de Galérius quelques jours après. On crut les chrétiens coupables de cet incendie. Alors l'exercice public de leur religion leur fut défendu. Aussitôt le feu prit au palais de Dioclétien. On redoubla alors la sévérité. Il leur fut ordonné d'apporter aux juges tous leurs livres. Plusieurs réfractaires furent punis, et même du dernier supplice. C'est cette fameuse persécution qu'on a exagérée de siècle en siècle jusqu'aux excès les plus incroyables, et jusqu'au plus grand ridicule. C'est à ce temps qu'on rapporte l'histoire d'un histrion, nommé Genestus, qui jouait dans une farce devant Dioclétien. Il fesait le rôle d'un malade. Je suis enflé, s'écriait-il. Veux-tu que je te rabote? lui disait un acteur. Non, je veux qu'on me baptise. Et pourquoi, mon ami? C'est que le baptême guérit de tout. On le baptise incontinent sur le théâtre. La grâce du sacrement opère. Il devient chrétien en un clin-d'œil, et le déclare à l'empereur, qui de sa loge le fait pendre sans différer.

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On trouve dans ce même martyrologe l'histoire des sept belles pucelles de soixante-dix à quatre-vingt ans, et du saint cabaretier dont nous avons déjà parlé. On y trouve cent autres contes de la même force, et la plupart écrits plus de cinq cents ans après le règne de Diocletien. Qui croirait qu'on a mis dans ce catalogue le martyre d'une fille de joie, nommée sainte Afre, qui exerçait son métier dans Augsbourg?

(1) Voyez les Césars de Julien, grande édition avec médailles, , page 113.

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On doit rougir de parler encore du miracle et du mar tyre d'une légion thebaine ou thébéenne, composée de six mille sept cents soldats tous chrétiens, exécutés à mort dans une gorge de montagnes qui ne peut pas contenir trois cents hommes, et cela dans l'année 287, temps. où il n'y avait point de persécution, et où Diocletien favorisait ouvertement le christianisme. C'est Grégoire de Tours qui raconte cette belle histoire; il la tient d'un Eucherius mort en 454; et il y fait mention d'uu roi de y Bourgogne mort en 523.

Tous ces contes furent rédigés et augmentés par un moine du douzième siècle; et il y parait bien par l'uniformité constante du style. Quand l'imprimerie fut enfin connue en Europe, les moines d'Italie, d'E-pagne, de France, d'Allemagne, et les nôtres, firent à l'envi imprimer toutes ces absurdités qui déshonorent la nature humaine. Cet excès révolta la moitié de l'Europe, mais l'autre moitié resta toujours asservie. Elle l'est au point que dans la France, notre voisine, où la saine critique s'est établie, Fleury, qui d'ailleurs a soutenu les libertés de son Église gallicane, a trahi le sens commun jusqu'à tenir registre de toutes ces sottises, dans son Histoire ecclésiastique. Il n'a pas honte de rapporter l'interrogatoire de saint Taraque par le gouverneur Maxime, dans la ville de Mopsuète. Maxime fait mettre du vinaigre, du sel et de la moutarde dans le nez de saiut Taraque, pour le contraindre à dire la vérité. Taraque lui déclare que son vinaigre est de l'huile, et que sa moutarde est du miel. Le même Fleury copie les légendaires qui imputent aux magistrats romains d'avoir condamné au b.... les vierges chrétiennes, tandis que ces mêmes magistrats punissaient si sévèrement les vestales impudiques. En voilà trop sur ces inepties honteuses. Voyons maintenant comment, après la persécution de Diocletien, Constantin fit asscoir la secte chrétienne sur les de grés de son trône.

CHAPITRE X V.

De Constance Chlore, ou le Påle, et de l'abdication de
Dioclétien.

CONSTANCE-LE-PALE avait été déclaré césar par Dioclétien. C'était un soldat de fortune, comme Galerius, Maximien Hercule et Dioclétien lui-même; mais il était allié par sa mère à la famille de l'empereur Claude. L'empereur Diocletien lui donna une partie de l'Italie, l'Espagne, et principalement les Gaules à gouverner. Il fut regardé comme un très bon prince. Les chrétiens ne* furent presque point molestés dans son département. Il est dit qu'ils lui prêtèrent des sommes immenses; et cette politique fut le fondement de leur grandeur.

Dioclétien, qui créait tant de césars, était comme le dieu de Platon, qui commande à d'autres dieux. Il conserva sur eux un empire absolu jusqu'au moment à jamais fameux de son abdication, dont le motif fut très équivoque.

Il avait fait Maximien Hercule son collègue à l'empire dès l'année de notre ère 281. Ce Maximien adopta Constance-le-Pâle l'an 293. Mais tous ces princes obéissaient à Diocletien comme à un père qu'ils aimaient et qu'ils craignaient. Enfin en 306, se sentant malade, lassé du tumulte des affaires, et détrompé de la vanité des grandeurs, il abdiqua solennellement l'empire, comme fit depuis Charles-Quint; mais il ne s'en repentit pas, puisque son collègue Maximien Hercule, qui abdiqua comme lui, ayant voulu depuis remonter sur le trône du monde connu, et ayant vivement sollicité Diodevenu clétien d'y remonter avec lui, cet empereur, philosophe, lui répondit qu'il préférait ses jardins de Salone à l'empire romain.

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