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CHAPITRE X.

Du dogme de la fin du monde, joint au platonisme. La méthode des allégories s'étant jointe à cette philosophie platonicienne, la religion des chrétiens, qui n'était auparavant que la juive, en fut totalement différente par l'esprit, quoiqu'elle en conservât les livres, les prières, le baptême, et même assez long-temps la circoncision. Je dis la circoncision, car dès que les chrétiens eurent une espèce d'hiérarchie, les quinze premiers prètres, ou surveillants, ou évêques de Jérusalem, furent tous circoncis (1).

Auparavant les Juifs chassaient les prétendus diables, et exorcisaient les prétendus possédés au nom de Salomon; les chrétiens firent les mêmes cérémonies au nom de Jesu-Christ. Les filles malades des pâles couleurs ou du mal hystérique, se croyaient possédées, se fesaient exorciser, et pensaient être guéries. On les inscrivait de bonne foi dans la liste des iniracles.

Ce qui contribua le plus à l'accroissement de la religion nouvelle, ce fut l'idée qui se répandait alors que le temps de la fin du monde approchait. La plupart des philosophes, et encore plus le peuple de presque tous les pays, crurent que notre globe périrait un jour par le sec qui l'emporterait sur l'humide. Ce n'était pas l'op nion des platoniciens; Philon même a fait un traité exprès pour prouver que l'univers est incréé et impérissable; et il n'a guère mieux prouvé l'éternité du monde, que ses adversaires n'en ont prouvé l'embrasement futur.. Les Juifs, qui ne savaient pas mieux l'avenir que le passé, disaient, et Flavien Josèphe le raconte, que leur

(1) Voyez Grabe, Bingham, Fabricius.

Adam avait prédit deux destructions de notre terre, l'une par l'eau, l'autre par le feu: ils ajoutaient que les enfants de Seth érigèrent une grande colonne de brique pour résister au feu, quand le monde serait brûlé, et une de pierre pour résister à l'ean, quand il serait noyé; précaution assez inutile, quand il n'y aurait plus personne pour voir les deux colonnes..

On sait quels malheurs fondirent sur la Judée du temps de Néron et de Vespasien, et ensuite sous Adrien. Les Juifs furent en droit d'imaginer que la fin de toutes choses arriverait, du moins pour eux. Ce fut vers ce temps que chaque troupeau de demi-juifs, demi-chrétiens, eut son petit Évangile secret. Celui qui est attribué à Luc, parle nettement de la fin du monde qui arrive, et du jugement dernier que Jesu va prononcer dans les nuées; il fait parler ainsi Jésu:

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Il y aura des signes dans la lune et dans les étoiles; » des bruits de la mer et des flots; les hommes, séchant » de crainte, attendront ce qui doit arriver à l'univers. >> entier. Les vertus des cieux seront ébranlées. Et alors. >> ils verront le fils de l'homme venant dans une nuée » avec grande puissance et majesté. En vérité, je vous » dis que la génération présente ne passera point que » tout cela ne s'accomplisse. »

Nous avons déjà vu, au chap. VIII, que Paul écrivait aux Thessaloniciens qu'ils iraient avec lui dans les nuées au-devant de Jesu.

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Pierre dit dans une épître qu'on lui attribue: « L'É

vangile a été prêché aux morts (1); la fin du monde

approche.... nous attendons de nouveaux cieux, etune » nouvelle terre. » C'était apparemment pour vivre sous ces nouveaux cieux et dans cette nouvelle terre, que les apôtres fesaient apporter à leurs pieds tout l'argent des prosélites, et qu'ils fesaient mourir Anania et Saphira pour n'avoir pas tout donné.

(1) Chap. IV.

Le monde allant être détruit, le royaume des cieux étant ouvert, Simon Barjone en ayant les clefs, ainsi qu'il est d'usage d'avoir les clefs d'un royaume; la terre étant prête à se renouveler; la Jérusalem céleste commençant à être bâtie, comme de fait elle fut bâtie, dans l'Apocalypse, et parut dans l'air pendant quarante uuits de suite; toutes ces grandes choses augmentèrent le nombre des croyants. Ceux qui avaient quelque argent, le donnèrent à la communauté, et on se servit de cet argent pour attirer des gueux au parti; la canaille étant d'uze nécessité absolue pour établir toute nouvelle secte. Car les pères de famille qui ont pignon sur rue sont tièdes, et les hommes puissants qui se moquent long-temps d'une superstition naissante, ne l'embrassent que quand ils peuvent s'en servir pour leurs intérêts, et mener le peuple avec le licou qu'il s'est fait lui-même.

Les religions dominantes, la grecque, la romaine, l'égyptiaque, la syriaque, avaient leurs mystères. La secte christiaque voulut avoir les siens aussi. Chaque société christiaque eut donc ses mystères, qui n'étaient pas même communiqués aux catéchumènes, et que les baptisés juraient sous les plus horribles serments de ne jamais révéler. Le baptême des morts était un de ces mystères; et cette singulière superstition dura si longtemps, que Jean Chrysostome ou bouche d'or, qui mourut au cinquième siècle, dit, à propos de ce baptême des morts qu'on reprochait tant aux chrétiens: « Je voudrais » m'expliquer plus clairement, mais je ne le puis qu'à > des initiés. On nous met dans un triste défilé; il faut » être inintelligible, ou trahir des mystères que nous devons cacher. »>

Les chrétiens, en minant sourdement la religion dominante, opposaient donc mystères à mystères, initiation à initiation, oracles à oracles, miracles à miracles.

ES

de mœurs,

CHAPITRE XI.

De l'abus étonnant des mystères chrétiens. Les sociétés chrétiennes étant partagées dans les premiers siècles en plusieurs Églises, différentes de pays, de rites, de langages, d'étranges infamies se glissèrent dans plusieurs de ces Églises. On ne les croirait pas, si elles n'étaient attestées par un saint au-dessus de tout soupçon, saint Épiphane, père de l'Église du quatrième siècle, celui-là même qui s'éleva avec tant de force contre l'idolâtrie des images déjà introduite dans l'Église. Il fait éclater son indignation contre plusieurs sociétés chrétiennes qui mêlaient, dit-il, à leurs cérémonies religieuses les plus abominables impudicités. Nous rapportons ses propres paroles:

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<< Pendant leur synaxe (c'est-à-dire pendant la messc » de ce temps-là), les femmes chatouillent les hommes » de la main, et leur font répandre le sperme, qu'elles >> reçoivent. Les hommes en font autant aux jeunes gens; >> tous élèvent leurs mains remplies de ce.... sperme, et >> disent à Dieu le père: Nous t'offrons ce présent qu » est le corps du Christ; c'est là le corps du Christ: en>> suite ils l'avalent, et répètent: C'est le corps du Christ, » c'est la pâque; c'est pourquoi nos corps souffrent tout cela pour manifester les souffrances du Christ.

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» Quand une femme de l'Eglise a ses ordinaires, ils « prennent de son sang et le mangent, et ils disent: C'est >> le sang du Christ; car ils ont lu dans l'Apocalypse ces » paroles : J'ai vu un arbre qui porte du fruit douze mois » de l'année, et qui est l'arbre de vie; ils en ont conclu >> que cet arbre n'est autre chose que les menstrues des » femmes. Ils ont en horreur la génération, c'est pour>> quoi ils ne se servent que de leurs mains pour se don» ner du plaisir, et ils avalent leur propre sperme. S'il >> en tombe quelques gouttes dans la vulve d'une femme,

» ils la font avorter; ils pilent le fœtus dans un mortier, » et le mêlent avec de la farine, du miel et du poivre, » et prient Dieu en le mangeant (1).

L'évêque Epiphane, continuant ses accusations contre d'autres chrétiens, dit qu'ils assistent tout nus à la synaxe (à la messe ), qu'ils y commettent l'acte de sodomie sur les garçons et sur les filles, qu'ils mettent la partie virile tantôt dans le derrière, et tantôt dans la bouche; qu'ils consomment ce sacrifice, tantôt dans l'un, et tantôt dans l'autre, etc. etc. etc. (2).

Il est vrai que ceux à qui l'évêque reproche ces épouvantables infamies, sont appelés par lui hérétiques ; mais enfin ils étaient chrétiens. Et le sénat romain, ni les proconsuls des provinces, ne pouvaient savoir ce que c'est qu'une hérésie et me erreur dans la foi. Il n'est donc pas surprenant qu'ils aient quelquefois défendu ces as semblées secrètes, accusées par des évêques même de crimes si énormes.

A Dieu ne plaise qu'on reproche à toutes les sociétés chrétiennes des premiers siècles, ces infamies qui n'étaient le partage que de quelques énergumènes. Comme on allégorisait tout, on leur avait dit que Jésus était le second Adam. Cet Adam fut le premier homme selon le peuple juif. Il marchait tout nu aussi-bien que sa femme, De là ils conclurent qu'on devrait prier Dieu tout nu. Cette nudité donna lieu à toutes les impuretés auxquelles la nature s'abandonne, quand, loin d'être retenue, elle s'autorise de la superstition.

Si de pieux chrétiens ont fait ces reproches à d'autres chrétiens qui se croyaient pieux aussi au milieu de leurs ordures, ne soyons donc pas étonnés que les Romains et les Grecs aient imputé aux chrétiens des repas de Thieste, des noces d'OEdipe, et des amours de Giton.

(r)Saint Épiphane, pages 33 et suivantes,édition de Paris, chez Petit, à l'enseigne de Saint-Jacques.

(2) Saint Épiphane, pages 41, 46, 47.

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