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I.

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§ 8. La Trimourti.

La façon dont le brahmanisme concevait les dieux se prêtait aux combinaisons syncrétiques. De même qu'il avait conservé tous les personnages de l'ancien panthéon vêdique, en les subordonnant seulement à Brahmâ, et qu'il en avait même indéfiniment multiplié le nombre dans ses rêveries d'un mysticisme systématique; de même il pouvait facilement admettre dans son olympe de nouveaux dieux, considérés comme d'autres émanations de l'Etre suprême et unique. Il n'avait dans l'esprit de ses doctrines rien qui l'empêchât de donner satisfaction, dans une certaine limite, aux cultes populaires, en accordant aux objets de leur adoration une place, et même une place de premier ordre, dans sa hiérarchie divine. On est en droit de croire cependant que la rigueur de l'orthodoxie brahmanique, aux premiers temps de son établissement, se fût refusée à de semblables transations. Mais cette rigueur s'était rapidement affaiblie, et, nous le répétons, au vir siècle avant notre ère, le brahmanisme était déjà dans un état de complète décomposition doctrinale, due principalement à la spéculation philosophique. C'était seulement quand le bouddhisme allait menacer les bases essentielles de l'ordre social fondé sur les doctrines brahmaniques, que l'orthodoxie allait se réveiller et faire sortir de sa renaissance le système Vêdanta.

Aussi quand le brahmanisme vit le vichnouisme et le çivaïsme se former devant lui et se propager dans les masses populaires, il leur témoigna la même tolérance qu'aux théories philosophiques les plus hardies et les plus négatives. Il laissa ces deux doctrines religieuses

nouvelles se développer librement, sans chercher à les persécuter. Il alla même plus loin; il les rattacha à son système et leur donna droit de cité dans l'ordre social, intimement lié à l'ordre religieux. Ce fut alors que, pour concilier les cultes populaires avec la religion brahmanique, on inventa la conception de la Trimourti, acceptée par la caste sacerdotale, bien qu'elle fût une dérogation absolue à l'esprit originaire de la religion, qu'elle corrompait en portant atteinte à son côté le plus élevé.

L'invention de la Trimourti, placée désormais en tête de la hiérarchie divine, n'a précédé que de peu les prédications du Bouddha. Nous ne pouvons cependant hésiter à la croire antérieure: car il y est fait allusion dans les plus anciens soutras bouddhiques, et le second concile de la nouvelle doctrine s'efforça d'y opposer une sorte de contre-partie, en donnant au bouddhisme sa triade. La Trimourti est en effet une trinité placée audessus de tout le système des dieux, et composée de Brahmâ, créateur, de Vichnou, conservateur, et de Çiva, destructeur et régénérateur, trinité qui se résout dans l'unité de Brahma (neutre) ou Svayambhou, dont elle est la première émanation, ou plutôt la détermination à la fois multiple et une.

II. La conception de la Trimourti, en donnant à Brahmâ deux compagnons, regardés presque comme ses égaux, porta une grave atteinte à l'importance suprême de ce dieu métaphysique. Mais elle eut l'avantage politique et social que les brahmanes cherchaient alors de donner aux cultes populaires, dont la doctrine sacerdotale n'eût pu arrêter le développement, l'aspect extérieur d'hérésies se rattachant aux bases essentielles de la doctrine officiellement admise, de les maintenir dans le cadre des castes, et par conséquent de sauver du moins l'orthodoxie sociale, si l'orthodoxie re

avant tout

ligieuse était ébranlée. Le vichnouisme et le çivaïsme acceptèrent avec empressement le terrain de transaction qu'on leur offrait. De même que les adorateurs de Brahmâ reconnaissaient Vichnou et Civa comme supérieurs aux autres dieux, les adorateurs de Vichnou acceptèrent au même rang Brahmâ et Çiva, ceux de Civa, Brahmâ et Vichnou. Il en résulta qu'en apparence, malgré leurs différences essentielles et profondes, les trois systèmes religieux vécurent en paix et semblèrent trois rameaux sortis du même tronc, trois émanations du même principe. Mais si les trois dieux suprêmes furent ainsi réunis dans la Trimourti, chacune des doctrines garda le sien propre et prétendit lui donner le premier rang de la trinité, dans l'ordre d'émanation par rapport au premier principe, par rapport à l'Être en soi. L'orthodoxie brahmanique maintint toujours la priorité et la supériorité de Brahmâ; mais les deux autres religions revendiquèrent les mêmes prérogatives, l'une pour Vichnou, l'autre pour Çiva; ce fut par là que, malgré le lien artificiel qui les rattachait désormais au brahmanisme, elles demeurèrent toujours hétérodoxes.

Sans doute le système de la Trimourti, aussi bien que ceux du vichnouisme et du civaïsme, ne se développérent complétement que plus tard, dans la lutte contre le bouddhisme, dont il nous reste maintenant à parler. Mais toutes les évolutions, toutes les transformations que subit dans la suite des temps la religion de l'Inde, étaient déjà en germe dans la conception de la Trimourti, ébauchée antérieurement au Bouddha. Cette conception, qui faisait admettre par le brahmanisme les personnages de Vichnou et de Çiva au premier rang après Brahmâ et presque au même degré que lui, fut du reste ce qui permit à la religion des brahmanes de tenir constamment tête à la doctrine qui prétendait la détruire et d'en triompher à la fin dans l'Inde. Elle lui assura, en effet, l'appui

des religions populaires, où elle puisa une force que son dieu abstrait n'aurait pas eue à lui seul; elle lui permit de s'allier étroitement avec l'une et avec l'autre, suivant les besoins du moment. C'est alors que commencèrent à se former ces recueils de traditions, véritables Vêdas populaires, composés en l'honneur de Çiva ou de Vichnou, que l'on désignait sous le nom de Pourânas, « antiquités », recueils qui ont entièrement péri et qu'il ne faut pas confondre avec les poëmes interminables, composés dans les siècles qui correspondent à notre moyen âge et qui portent aujourd'hui le nom de Pourânas.

Cependant il est juste de reconnaître que si le brahmanisme admit Çiva comme la troisième personne de la Trimourti, son alliance avec le civaïsme fut toujours beaucoup moins étroite qu'avec le vichnouisme. Elle lui prit son dieu suprême, mais non ses principes et ses croyances. Jamais le culte du Lingam ne fut accepté par le brahmanisme, non plus que les crimes et les débauches placés sous le patronage du Mahadêva et de Kali. Les sectateurs exclusifs de Civa furent toujours regardés comme les sectateurs d'une religion fausse et mauvaise, seulement tolérée. Aux yeux des brahmanes ce culte demeura impur et inférieur, comme la caste des Coudras, à laquelle il appartenait spécialement. Ce n'est du moins que fort tard que Sankara Atcharya tenta un compromis célèbre et contre nature entre les doctrines du brahmanisme et l'adoration du Lingam.

CHAPITRE VI

LE BOUDDHA ET LE BOUDDHISME.

SOURCES PRINCIPALES de ce chapitre:

- Le

Sources indiennes : Le Mahavança, chronique singhalaise, et son commentaire le Mahavançatîka; traduits par G. Turnour. Le Saddharma poundarîka ou « Lotus de la bonne loi », traduit par Eugène Burnouf. Karounapoundarika ou « Lotus de la miséricorde ». — Le Dighasanghaya ou Collection des Soutras singhalais. Le Lalitavistára ou « Vie légendaire ◄ du Bouddha », traduit par Ed. Foucaux, L'Abhidharmakoça ou < Trésor de la loi superieure ». — Le Djataka pita ou « Livre des nais«sances du Bouddha. » — Le Radja-Tarangini ou « Chronique royale » de Kachmir. La Pradjná páramitá ou ‹ Perfection de la sagesse. » — Pratimokcha ou Soutra de l'affranchissement. » Le Mahanidána soutra, ou « Soutra des grandes causes ». Le Dharma pradipika, recueil religieux. Le Mahávastou ou Grande histoire légendaire de la vie de Çakyamouni. L'Avadana çataka, recueil de légendes.

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Le

Le

Souvarna prabhasa ou « Eclat de l'or ». Sources chinoises: Abel Remusat, Foe-Koue-Ki ou Relation des royaumes bouddhiques; traduction du pèlerinage de Fa-Hian. Stanislas Julien, Histoire de la vie et des voyages de Hiouen-Thsang; Mémoires de HiouenThsang sur les contrées occidentales.

1

Travaux des indianistes modernes : Hodgson, Notice of the religion of the Bauddhas of Nepal; Sketch of buddhism; Remarks on an inscription; Quotations from original sanscrit authorithies; European speculations on buddhism. Csoma Korosi, Notices on the life and death of Shakya; Analysis of the Doulva; Notices on the differents systems of buddhism. Wilson, Notice of three tracts received from Nepal. — J. Prinsep, Interpretation of the most ancient of the inscriptions on the pillar called the Lat of Feroz Shah, near Delhi. - G. Turnour, The Mahavanso; The pali buddhistical annals. Joinville, On the religion and manners of the people of Fr. Buchanan, On the religion and litterature of the Burmas. Schmidt, Ueber einige Grundlehren des Buddhaïsmus. — Eugène Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien; le Lotus de la bonne Schoebel, le Bouddha et le bouddhisme. Spence Hardy, Manual

Ceylon.

loi.

of buddhism.

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- Barthélemy Saint-Hilaire, le Bouddha et sa religion.

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