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d'un public mondain en réunissant dans la nef du milieu les objets dont la grandeur ou le luxe attirent d'ordinaire la curiosité. Sauf cette anomalie dans le système général de classement, on ne peut qu'admirer le soin et l'intelligence qui ont présidé à l'étalage particulier des produits de chaque genre d'industrie, surtout pour l'exposition des produits français, naturellement la plus nombreuse et la plus complète.

Ce progrès, que nous signalons avec bonheur, pourrait sans doute être plus parfait encore, et, si tant est que l'exposition universelle veuille réellement mériter ce titre, ne serait-il pas plus convenable, plus juste, plus intéressant et plus utile, d'étendre cette classification généralement à tous les produits, sans acception de nation ou d'origine? A quoi bon toutes ces petites exhibitions nationales, côte à côte, et sans liaison entre elles? Aurait-on la prétention de juger l'industrie d'un pays d'après ce que ce pays a envoyé au palais des ChampsElysées? Et, pour comparer ces exhibitions l'une à l'autre, ne trouverait-on pas infiniment plus commode de voir les genres divers dont elles se composent réunis à des genres analogues en une vaste synthèse? Dans une véritable exposition universelle, l'industrie doit pouvoir aisément constater ses conquêtes, inscrire ses triomphes, passer en revue, pour ainsi dire, les forces dont elle dispose à un moment donné, et, tout en récompensant les plus habiles, donner de l'émulation aux plus faibles.

Voilà quel est le but de ces fêtes glorieuses qui ne sont pas seulement, comme on semble le croire, des spectacles pour les curieux et les oisifs, pour les touristes badauds et les gens du monde. La commission organisatrice de l'exposition de Paris a compris ce but en partie, et nous l'en félicitons sincèrement; mais elle

s'en est malheureusement écarté, d'abord dans l'absurde arrangement de la nef du milieu, puis dans la séparation des divers pays représentés au concours, et cette faute est, selon nous, capitale.

Ce que l'exposition de Londres avait de réellement de plus remarquable que l'exposition de Paris, c'était le local même, c'était le crystal palace. On a reproché à cette construction l'absence d'art, l'absence d'architecture proprement dite nous reconnaissons volontiers. la justesse de cette critique, mais au moins le crystal palace était-il un essai dans la voie nouvelle ouverte aux beaux-arts par les progrès récents de la métallurgie; c'était un modèle, fort imparfait sans doute, mais un premier modèle de ce que pourrait être l'architecture en fer et en verre, et cet exemple eût dû être suivi par un peuple artiste qui sait imprimer à toutes les œuvres de l'industrie un caractère de bon goût, d'élégance et d'originalité. Et puis, à défaut d'art, les Anglais avaient fait de l'immense; ils avaient englobé dans leur édifice des arbres entiers avec toutes leurs branches, tout leur feuillage et jusqu'à leurs oiseaux; et ils avaient disposé cet édifice, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, de manière à en faire apprécier d'un coup d'œil les gigantesques proportions. A force d'être simple le crystal palace était imposant et majestueux; à force d'être grand il était grandiose : n'est-ce pas là simuler l'art et même en rapprocher de fort près?

Au lieu de ce monument, parfaitement en rapport avec sa destination et nouveau comme cette destination même, les Français n'ont su imaginer qu'une construction bâtarde, sans caractère, sans style, et pour ainsi dire sans plan arrêté. Désespérant peut-être de voir réussir leur entreprise, ils n'ont élevé d'abord qu'un édifice relativement assez restreint, sans harmonie dans les

proportions, sans perspective intérieure ou extérieure, dont l'entrée principale offre seule quelque chose de monumental, mais dont la nef du milieu, placée transversalement à cette entrée, et sans transsept, n'a ni ampleur, ni élégance. L'enceinte de cet édifice, ils l'ont construite en pierre, ainsi que les quatre pavillons qui servent d'entrée, le reste en fer et en verre. Puis, à mesure qu'arrivaient les produits, ils ont élevé des annexes qu'ils ont reliées au bâtiment principal par des ponts plus ou moins commodes. Il s'est même trouvé que l'annexe de la rotonde est devenu le point central de l'exposition par la richesse des objets qui y sont accumulés, et que l'annexe du quai de Billy, longeant la Seine sur une étendue de 1,200 mètres, s'est enrichie des produits les plus importants de l'industrie moderne, c'est-à-dire des métiers et des machines.

Tel qu'il est cependant, le palais des Champs-Élisées est bien un monument du génie français ou plutôt du génie parisien à l'époque actuelle. Dans cette construction se révèle tout entier ce peuple étrange, à la fois impressionnable et sceptique, acceptant avec ardeur une idée nouvelle, mais sans y croire et sans rien faire. pour amener son triomphe, vivant au jour le jour sans principe et sans règle de conduite, avide de posséder, avide de jouir, parce qu'il ne sait et ne veut savoir ce que l'avenir lui réserve.

L'exposition des produits français est elle-même la manifestation la plus curieuse des tendances actuelles de la France. Le premier, le principal but des ouvriers français semble être de satisfaire le luxe le plus effréné, la frivolité la plus vaine, l'apparat et l'ostentation; ils ne s'occupent pas même, comme les ouvriers anglais, de la recherche du confortable, qui du moins se rapproche de l'utile; la seule qualité réelle dont ils fassent

preuve et qui leur sert en quelque sorte d'excuse, c'est le bon goût parfait qu'ils impriment à toutes leurs productions. En voyant cette admirable main-d'œuvre on se prend à y trouver une jouissance presque artistique, et l'on ferme volontiers les yeux sur le but réel, le but suprême de l'industrie moderne. Telles sont du reste les propensions du public même. Les meubles de luxe, les étoffes de tenture, les bronzes, la bijouterie, les châles, les dentelles et les broderies, tous les objets de fantaisie ou de mode, tout ce qu'on appelle de commun accord, l'industrie parisienne, l'occupe de prime abord et, pour ainsi dire, exclusivement. Là même où des richesses plus considérables sont étalées à ses yeux, il jette à peine un coup-d'oeil rapide sur les véritables objets d'art qui l'entourent : c'est ainsi que, dans la rotonde, les merveilleux tapis des Gobelins et de Beauvais, les charmantes porcelaines de Sèvres, et le magnifique service de table reproduit par le procédé Christoffle, attirent bien moins l'attention que les gros diamants de la couronne, non montés, mais représentant des valeurs presque fabuleuses.

Il s'écoulera bien du temps sans doute avant que le public ait fait, sous ce rapport, sa véritable éducation, tant au point de vue de l'art qu'au point de vue de l'industrie. Combien nous avons vu de gens s'arrêter avec admiration devant des cheminées du plus mauvais goût mais surchargées d'émaux et de dorures, devant des lits, des tables, des bibliothèques, des meubles de tous genres d'un usage fort peu commode, mais que leur prix énorme ne mettaient qu'à la portée d'un très-petit nombre de fortunes. Peut-être, après tout, n'est-ce là qu'une curiosité d'enfant, comme celle qui fait courir la foule devant les exhibitions de l'Algérie, de la Turquie, de l'Inde et de la Chine.

Nous préférons, pour notre part, la partie de l'exposition que le public déserte et que la commission ellemême a reléguée dans les obscures galeries du rez-dechaussée, dans les coins les plus retirés de l'étage, dans le pourtour de la rotonde, dans les enclos à ciel ouvert et surtout dans la grande annexe du quai de Billy. C'est là que nous trouvons les industries relatives à l'extraction et à la production des matières premières, celles qui ont pour objet l'emploi des forces mécaniques, physiques ou chimiques, et enfin l'industrie manufacturière proprement dite. Et que l'on ne dise pas que cette partie de l'exposition manque d'intérêt et de variété: ce serait fort mal comprendre ces deux mots; ce serait aussi condamner en principe toute exposition de l'industrie.

L'annexe du quai de Billy est particulièrement une admirable chose, dont l'aspect général rappelle ce qu'il y avait de vraiment saisissant dans l'aspect général du crystal palace. Rien de plus féerique que cette galerie immense dont l'oeil interroge en vain la profondeur et dont près de la moitié est remplie de machines et de métiers en mouvement; rien qui donne une plus haute idée dela puissance humaine et des progrès qu'elle peut accomplir encore dans cette voie merveilleuse. Or c'est dans ce local, et nous sommes heureux de pouvoir le constater, que l'industrie belge brille avec le plus d'éclat et dans ses véritables manifestations.

On peut caractériser l'industrie belge en peu de mots en disant qu'elle tend d'abord à l'utile et au bon marché, et que, plus que toute autre peut-être, elle a réalisé ces deux conditions importantes. En cela surtout elle diffère de ce qu'on nomme vulgairement l'industrie parisienne; mais ce sont précisément ces qualités, infiniment précieuses à nos yeux, qui l'empêchent d'attirer la curiosité dans une exposition telle que la veut le public actuel.

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