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parce qu'elles sont la conséquence des prémisses du passé, qu'on les aperçoit poindre de tous côtés dans le présent, et qu'elles recevront de plus en plus leur confirmation dans l'avenir.

FRANÇOIS VAN MEENEN.

HISTOIRE DE FLANDRE,

PAR M. KERVYN DE LETTENHOVE,

2e édition. Bruges, Bogaert-Defoort, éditeur, 4855, 4 vol. in-12.

Un vieil adage, qui était jadis extrêmement populaire, assignait à la Flandre le premier rang parmi les comtés, tant était grande l'opinion que ce pays avait su donner de lui. De notre temps sa vitalité ne s'est pas éteinte, et des germes nombreux de grandeur et de prospérité peuvent encore s'y développer. Vainement la destinée lui a toujours été contraire, vainement ses tentatives pour arriver à un sort meilleur sont restées infructueuses ou n'ont produit que des résultats assez médiocres, une infortune presque constante n'a pu éteindre chez ses enfants l'amour du travail. L'opulence de la Flandre a résisté à des catastrophes sans nombre, à des spoliations sans cesse renouvelées. Les voyageurs de toutes les époques Guicciardini et Forster, les envahisseurs de toute espèce les Français du dix-huitième siècle comme ceux du treizième, les généraux de la SainteAlliance aussi bien que les lieutenants du duc d'Albe, se sont extasiés sur la beauté de ses campagnes, le nombre et l'importance de ses villes.

Ce n'était pas chose facile que de retracer dignement les annales d'un peuple qui a brillé dans les arts comme à la guerre, qui a, à la fois, exploré les domaines de l'intelligence et porté à leur perfection plusieurs branches de l'industrie, d'un pays qui a produit Robert de Jérusalem et Charles-Quint, les d'Artevelde, Van Maerlant et Memling, où tant de trouvères ont chanté, où tant de peintres se sont formés à l'école des Van Eyck. A chaque pas que l'on hasarde dans l'étude des antiquités flamandes, on se heurte à un épisode de l'histoire générale, on découvre le germe d'une institution. féconde en résultats, on salue une illustration littéraire ou artistique.

Le seizième siècle nous a légué deux travaux considérables sur l'histoire de la Flandre Meyer et Oudegherst ont élevé à leur patrie de véritables monuments, mais leurs ouvrages, écrits, l'un dans un style vieilli, l'autre dans un langage dont les érudits seuls ont conservé la clef, devaient s'éclipser devant une histoire plus complète et mieux en rapport avec les idées des temps modernes. MM. Warnkoenig, Van Praet et Le Glay n'avaient comblé cette lacune qu'en partie, lorsque parut l'Histoire de Flandre de M. Kervyn de Lettenhove.

Accueillie avec faveur par le public, la publication de M. Kervyn a reçu une juste récompense en 1851, lorsque l'Académie royale de Belgique, conformément aux conclusions de ses commissaires, lui décerna le prix du concours quinquennal d'histoire. « Un seul ou» vrage, dit à ce propos le rapporteur, M. Moke, nous » a paru réunir à la profondeur de l'érudition et à la >> gravité du sujet le double mérite d'une grande tâche >> vigoureusement remplie, et d'une forme dont l'élé»gance est souvent remarquable: c'est l'Histoire de

» Flandre, publiée de 1847 à 1850, par M. Kervyn de » Lettenhove. Sans fermer les yeux sur quelques im» perfections que nous nous ferons aussi un devoir de » signaler, nous avons été unanimes pour y reconnaître » des peintures d'un grand intérêt historique, rendues » avec l'éclat d'un coloris brillant, et nous n'hésitons pas » à regarder ce livre comme digne de l'honneur du prix » que nous croyons devoir lui décerner. »

L'ouvrage de M. Kervyn continuera à jouir d'une vogue méritée; mais, précisément pour cette raison, il est important d'examiner quelques-unes des idées nouvelles présentées par l'auteur et ce qu'elles peuvent avoir d'inexact ou, au moins, de contestable. Traiter cette œuvre capitale avec le dédain dont on use d'ordinaire, en Belgique, à l'égard des travaux scientifiques, ce serait méconnaître la principale mission d'une Revue; ce reproche, la Revue trimestrielle essayera de ne pas l'encourir. Une seconde édition de l'Histoire de Flandre vient de paraître; c'est pour nous le moment d'en examiner la valeur.

La première édition commençait par une introduction largement et brillamment écrite; mais, par une singulière préoccupation, l'auteur y rattache constamment le passé de la Flandre à celui de la France. Les yeux fixés sur le trône des comtes, il ne peut se dégager de ce même lien odieux, qui soumettait leurs Etats à la suzeraineté despotique des Capétiens, à la juridiction tracassière du parlement de Paris. Dans le tableau qu'il trace des malheurs de sa patrie, il oublie combien son histoire se rattache à celle de l'empire germanique et de l'Angleterre. Les bourgeois de Gand, ces champions déterminés de la liberté communale, ne manquaient pas d'amis à Paris, à Rouen et dans d'autres villes de France, mais leurs véritables auxiliaires se trouvaient à Bruxel

les, à Louvain, à Liége, en Hollande, à Londres, partout où des institutions identiques aux leurs permettaient le développement des idées d'association. M. Kervyn oublie trop, ce nous semble, qu'avant d'être unis sous le sceptre de la maison de Bourgogne, le Brabant, la Flandre et le Hainaut avaient déjà scellé un pacte d'alliance, grâce au génie prévoyant de Jacques d'Artevelde. Cette introduction a été supprimée dans la seconde édition; M. Kervyn l'a remplacée par quatre pages datées de Saint-Michel, août 1855. Le passage suivant nous dévoile le but que l'auteur a poursuivi et nous explique l'idée qui a présidé à son travail :

<< Il faut surtout chercher dans les annales de la Flan>>dre les causes qui la maintinrent pendant longtemps >> à son apogée et celles qui la précipitèrent tout à coup >> vers sa chute. On ne saurait trop le remarquer; mal>> gré les invasions du dehors et les luttes intérieures » si fréquentes sous des princes hostiles à la Flandre >> par leur naissance, leur ambition et leurs intérêts, » elle fut libre et forte tant que ses institutions et ses » mœurs, se soutenant mutuellement et entourées du » même respect, restèrent également libres et fortes. » Le jour où la corruption passa dans les mœurs, l'a>> narchie pénétra dans les institutions, et dès lors, con» damnée à perdre sa glorieuse individualité, il ne lui » était réservé d'autre consolation que de se confondre, >> sous une main.qui ne lui était pas étrangère, dans le » grand empire de Charles-Quint. »

Nous ne pouvons admettre ces conclusions. Si la Flandre s'arrêta dans la route qui la conduisait à la grandeur, si ses révolutions restèrent infécondes, la faute en doit être attribuée aux tiraillements continuels dont elle avait à souffrir. A côté de ses grandes communes, de ces centres de prospérité, de civilisation, de moralité,

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